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La lettre d’intention : comprendre cet engagement clé en droit des affaires

Table des matières

La lettre d’intention est un mécanisme fréquemment rencontré dans le monde des affaires, particulièrement au sein des groupes de sociétés. Pourtant, sa nature juridique précise et la portée réelle de l’engagement qu’elle représente sont souvent mal comprises. S’agit-il d’une simple déclaration morale ou d’une véritable obligation contraignante ? Cet article a pour but de démystifier la lettre d’intention en droit français, d’en exposer les caractéristiques, la valeur juridique et les conséquences pratiques pour les entreprises qui y ont recours ou en sont bénéficiaires. Une bonne compréhension de cet outil est essentielle pour sécuriser vos relations commerciales et financières. Le Code civil la définit d’ailleurs de manière concise à l’article 2322 comme « l’engagement de faire ou de ne pas faire ayant pour objet le soutien apporté à un débiteur dans l’exécution de son obligation envers son créancier ».

Qu’est-ce qu’une lettre d’intention exactement ?

Définition et contexte d’utilisation

Au sens juridique qui nous intéresse ici, la lettre d’intention est donc un document par lequel un tiers, appelé le « confortant », manifeste son intention de soutenir un débiteur, le « conforté », afin que ce dernier puisse remplir ses engagements envers un créancier. Le confortant renforce ainsi la confiance du créancier envers le débiteur. Il est important de ne pas la confondre avec les « lettres d’intention » parfois échangées lors de la phase de négociation d’un contrat (les pourparlers), qui visent à encadrer ces discussions sans forcément créer d’obligation de conclure.  

Son usage s’est développé en France à partir des années 1970, inspiré de la pratique anglo-saxonne (« letter of comfort »). Elle trouve son terrain de prédilection dans les relations intra-groupe : une société mère adresse une lettre à une banque pour appuyer la demande de crédit de sa filiale. L’objectif est clair : rassurer le prêteur sur la capacité de la filiale à rembourser, grâce au soutien implicite ou explicite de la maison mère. La valeur perçue de la lettre dépend alors largement de la réputation et de la solidité financière du confortant.  

Une nature juridique variable : attention aux pièges

Toutes les lettres dites « d’intention » ne créent pas les mêmes effets juridiques. Il est fondamental de distinguer plusieurs situations.

Certaines lettres peuvent n’exprimer qu’un engagement purement moral, une sorte de « gentlemen’s agreement ». Le confortant indique son soutien sans prendre d’obligation juridiquement sanctionnable. L’absence de sanction juridique directe ne signifie pas une absence totale d’efficacité : le non-respect d’un tel engagement peut nuire gravement à la réputation commerciale du confortant.  

À l’extrême opposé, une lettre d’intention peut, par sa rédaction, s’analyser en un véritable cautionnement déguisé. C’est le cas si le confortant s’engage clairement à se substituer au débiteur en cas de défaillance de ce dernier, par exemple en promettant de payer à sa place. La jurisprudence n’hésite pas à requalifier de tels actes. Par exemple, une lettre par laquelle une société mère s’engageait, si nécessaire, à se substituer à sa filiale pour faire face à ses engagements a été analysée comme un cautionnement (Com. 21 déc. 1987, n° 85-13.173). La conséquence de cette requalification est l’application de tout le régime juridique du cautionnement, ce qui peut entraîner la nullité de l’acte s’il ne respecte pas les conditions de forme ou d’autorisation propres au cautionnement.  

Entre ces deux extrêmes se situe la véritable lettre d’intention au sens juridique : celle qui crée un engagement juridiquement contraignant, mais distinct du cautionnement. Le confortant assume de réelles obligations, mais sans promettre de payer la dette d’autrui. La Cour de cassation a consacré sa validité dès 1987 (Com. 21 déc. 1987, n° 85-13.173). Elle est considérée comme un contrat unilatéral : seul le confortant s’engage, mais l’acceptation du créancier destinataire est nécessaire pour former le contrat.  

Quelles obligations crée la lettre d’intention ?

L’engagement principal : faire ou ne pas faire

La distinction fondamentale entre la lettre d’intention (valable) et le cautionnement ou la garantie autonome réside dans la nature de l’obligation du confortant. Alors que la caution ou le garant s’engage à payer une somme d’argent (obligation de donner), le confortant, lui, s’engage à accomplir une action (obligation de faire) ou à s’abstenir d’une action (obligation de ne pas faire). Il ne promet jamais de payer directement la dette du conforté. S’il est amené à verser de l’argent, ce sera à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par la violation de son obligation de faire ou de ne pas faire.  

Les obligations de faire peuvent être variées. Les plus fréquentes consistent pour une société mère à s’engager à maintenir sa participation dans le capital de sa filiale, ou à faire en sorte que celle-ci dispose des moyens financiers nécessaires pour honorer ses échéances. D’autres exemples incluent : surveiller la trésorerie ou la gestion de la filiale, combler un déficit de trésorerie, ou fournir une garantie de remplacement en cas de cession de la filiale. Parfois, la formulation est plus générale, comme s’engager à « faire le nécessaire pour que » la filiale respecte ses engagements.  

Concernant les obligations de ne pas faire, on trouve principalement l’engagement de ne pas céder sa participation dans la filiale, ou de ne pas la réduire. On pourrait aussi imaginer l’engagement de ne pas modifier le siège social ou la forme juridique de la filiale.  

Obligation de moyens ou de résultat : une distinction déterminante

La jurisprudence a longtemps distingué, au sein des lettres d’intention créant une obligation de faire ou de ne pas faire, selon l’intensité de l’engagement : s’agit-il d’une obligation de moyens ou d’une obligation de résultat?  

Dans le cas d’une obligation de moyens, le confortant s’engage seulement à employer tous les efforts raisonnables pour parvenir à un objectif (par exemple, faire ses « meilleurs efforts » pour que la filiale ait une trésorerie suffisante). Le créancier devra alors prouver que le confortant n’a pas mis en œuvre les moyens promis pour engager sa responsabilité.  

Dans le cas d’une obligation de résultat, le confortant promet l’atteinte d’un résultat précis : typiquement, que le débiteur sera en mesure de payer sa dette. S’engager à assurer une trésorerie suffisante à la filiale a souvent été interprété comme une obligation de résultat (voir par ex. Com. 17 déc. 2002, n° 00-11.566 ; Com. 17 mai 2011, n° 09-16.186). Ici, la simple défaillance du débiteur suffit à établir la faute du confortant, sauf force majeure.  

Cette distinction avait une importance considérable avant la réforme du droit des sûretés de 2006. Notamment, elle conditionnait la charge de la preuve et, surtout, l’application des règles d’autorisation préalable par le conseil d’administration dans les sociétés anonymes : seules les lettres créant une obligation de résultat étaient considérées comme des « garanties » soumises à cette autorisation. L’interprétation des termes employés (« faire le nécessaire », par exemple) a d’ailleurs donné lieu à des hésitations jurisprudentielles, source d’insécurité (comparer Com. 23 oct. 1990, n° 89-12.924 et Com. 26 janv. 1999, n° 97-10.003, puis Com. 26 févr. 2002, n° 99-10.729).  

Depuis l’ordonnance du 23 mars 2006, l’article 2287-1 du Code civil qualifie expressément la lettre d’intention de « sûreté personnelle ». Cette qualification légale tend à rendre la distinction moyens/résultat moins décisive pour certaines questions, comme celle de l’autorisation préalable (toute sûreté étant une garantie au sens du Code de commerce). Elle demeure cependant pertinente pour apprécier la faute du confortant et la charge de la preuve.  

Comment se forme et s’éteint une lettre d’intention ?

Les conditions de validité à vérifier

Comme tout contrat, la lettre d’intention doit respecter les conditions de validité du droit commun. Le consentement des parties (confortant et créancier bénéficiaire) doit être libre et éclairé. La capacité de s’engager est requise. L’objet de l’obligation du confortant (la prestation de faire ou de ne pas faire) doit être déterminé ou déterminable, possible et licite. La question de la cause de l’engagement a suscité peu de débats en pratique. L’intérêt économique de l’opération pour le groupe suffit généralement à la justifier. Enfin, la lettre d’intention est un acte consensuel : aucun formalisme particulier, notamment aucune mention manuscrite comme pour le cautionnement, n’est exigé pour sa validité.  

S’ajoutent des conditions spécifiques lorsque le confortant est une société. L’engagement doit être conforme à l’objet social, bien que cette exigence ait une portée limitée dans les sociétés à risque limité (SARL, SA, SAS) où la société est engagée même par des actes hors objet social, sauf mauvaise foi prouvée du tiers. La conformité à l’intérêt social est aussi une condition, mais sa violation n’entraîne pas la nullité de l’engagement vis-à-vis des tiers dans les SARL et probablement les sociétés par actions.  

Point essentiel dans les sociétés anonymes (et par extension SAS et SCA) : l’article L. 225-35 du Code de commerce impose une autorisation préalable du conseil d’administration ou de surveillance pour les « cautions, avals et garanties » données par la société. Puisque la lettre d’intention est désormais qualifiée de sûreté personnelle, cette autorisation est requise quelle que soit l’intensité de l’obligation (moyens ou résultat). L’autorisation doit être préalable à la signature de la lettre, limitée dans son montant et pour une durée maximale d’un an (même si la lettre elle-même couvre une période plus longue). Le défaut d’autorisation n’entraîne pas la nullité de la lettre, mais son inopposabilité à la société : le créancier ne pourra pas s’en prévaloir contre elle. La responsabilité du dirigeant ayant signé sans autorisation est difficile à engager sur ce seul fondement.  

La fin de l’engagement : quand la lettre d’intention s’éteint-elle ?

L’engagement du confortant prend fin selon les modalités du droit commun des obligations. Si une durée déterminée était prévue, l’arrivée du terme éteint l’obligation pour l’avenir. Si la durée est indéterminée, le confortant (comme le créancier) peut y mettre fin unilatéralement, sous réserve de respecter un préavis raisonnable.  

L’extinction de l’obligation principale garantie (par exemple, le remboursement du crédit par la filiale) a aussi une incidence. Comme la lettre d’intention vise à garantir l’exécution de cette obligation, si celle-ci disparaît (paiement, prescription, annulation du contrat principal…), le créancier ne subit plus de préjudice du fait d’un éventuel manquement du confortant. La responsabilité de ce dernier ne peut donc plus être engagée. Il ne s’agit pas d’une extinction « accessoire » comme pour le cautionnement, mais d’une disparition d’une condition de la responsabilité.  

Que se passe-t-il si le lien entre le confortant et le conforté disparaît après la signature de la lettre (par exemple, la société mère cède sa filiale)? En principe, cette seule circonstance ne libère pas le confortant de ses engagements. La disparition du motif initial (le lien capitalistique) n’affecte pas la validité du contrat déjà formé. Permettre au confortant de se libérer par la simple cession de sa participation serait trop facile. Il est donc prudent, pour le confortant, de prévoir explicitement dans la lettre que son engagement est conditionné au maintien de ce lien.  

Quelles conséquences en cas de problème ?

La responsabilité du confortant en cas d’inexécution

Si le confortant ne respecte pas les obligations de faire ou de ne pas faire stipulées dans la lettre (par exemple, il cède sa participation alors qu’il s’était engagé à la maintenir, ou il n’apporte pas le soutien financier promis), il engage sa responsabilité contractuelle envers le créancier bénéficiaire.  

Toutefois, cette responsabilité n’est engagée que si deux conditions sont réunies :

  1. Une faute : le confortant n’a pas exécuté son obligation (ou n’a pas mis tous les moyens en œuvre si c’était une obligation de moyens).
  2. Un préjudice pour le créancier : typiquement, le non-paiement de la dette par le débiteur conforté.
  3. Un lien de causalité entre la faute et le préjudice : le créancier doit prouver que c’est bien le manquement du confortant qui a causé ou contribué à la défaillance du débiteur. Ce lien n’est pas toujours évident à établir, notamment si l’obligation était de ne pas céder ses parts.  

Si la responsabilité est établie, le confortant sera condamné à verser des dommages-intérêts. Le montant vise à réparer intégralement le préjudice subi par le créancier. Il peut être égal au montant de la dette impayée, mais aussi inférieur (si le créancier a commis une faute ayant contribué au dommage, ou si le confortant n’a fait perdre qu’une chance au débiteur) ou même supérieur (si le défaut de paiement a causé un préjudice supplémentaire au créancier). Le principe selon lequel le cautionnement ne peut excéder la dette principale (Art. 2290 C. civ.) ne s’applique pas ici.  

Les moyens de défense possibles

Le confortant poursuivi en responsabilité peut invoquer plusieurs moyens de défense. Il peut d’abord contester l’existence d’une faute de sa part, notamment s’il prouve avoir mis en œuvre tous les moyens requis par une obligation de moyens. Il peut également invoquer la force majeure (un événement extérieur, imprévisible et irrésistible l’ayant empêché d’exécuter son obligation, comme une menace grave pour sa propre survie financière s’il aidait la filiale, ou la saisie des fonds mis à disposition par un autre créancier ) ou le fait fautif du créancier ayant contribué au dommage.  

Concernant les exceptions tirées de la relation entre le créancier et le débiteur principal (nullité du contrat principal, paiement déjà effectué, prescription de la dette…), le confortant ne peut pas les opposer directement comme le ferait une caution (car la lettre d’intention n’est pas accessoire). Cependant, si ces exceptions font disparaître le préjudice du créancier, la responsabilité du confortant ne peut plus être engagée faute de préjudice à réparer.  

En revanche, le confortant ne peut jamais invoquer les bénéfices de discussion (obliger le créancier à poursuivre d’abord le débiteur) ou de division (obliger le créancier à diviser ses poursuites entre plusieurs confortants). Ces mécanismes sont propres au cautionnement.  

Les recours du confortant après avoir indemnisé

Lorsqu’un confortant a indemnisé le créancier suite à la mise en jeu de sa responsabilité, dispose-t-il de recours contre le débiteur conforté qu’il a indirectement « aidé » ? La loi est muette.  

La doctrine majoritaire admet l’existence d’un recours personnel du confortant contre le débiteur conforté. Ce recours pourrait se fonder sur la gestion d’affaires (le confortant a géré l’affaire du conforté en payant à sa place, même si c’était via des dommages-intérêts) ou sur une théorie plus générale des sûretés personnelles. Il permettrait au confortant de réclamer au débiteur le remboursement des sommes versées au créancier.  

La question d’un recours subrogatoire est plus débattue. La subrogation permet à celui qui paie la dette d’autrui de se substituer au créancier initial et de bénéficier de tous ses droits et garanties contre le débiteur (Art. 1251 ancien, 1346 s. nouveaux C. civ.). Or, le confortant paie une dette qui lui est personnelle (sa dette de dommages-intérêts), et non la dette du conforté. Malgré une interprétation large de la subrogation par la jurisprudence pour d’autres garants, il est permis de douter qu’elle s’applique au confortant qui paie non pas en exécution de son obligation principale, mais en sanction de son inexécution. Le recours personnel semble plus adapté.  


La lettre d’intention est un instrument utile mais complexe. Une rédaction imprécise ou une mauvaise compréhension de ses implications peut entraîner des conséquences importantes. Pour sécuriser vos engagements ou analyser la portée d’une lettre d’intention que vous avez reçue ou signée, notre cabinet se tient à votre disposition pour un conseil adapté.

Sources

  • Code civil (notamment anciens art. 1129, 1234, 1251, 1326, 1372, et actuels art. 1415, 2287-1, 2290, 2298, 2303, 2305, 2306, 2313, 2314, 2322)
  • Code de commerce (notamment art. L. 110-3, L. 221-5, L. 223-18, L. 225-35, L. 225-56, L. 225-68, L. 226-7, L. 227-6, L. 232-1, R. 225-28, R. 225-53)
  • Ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 relative aux sûretés

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