Dans l’univers procédural, toutes les nullités ne se valent pas. Contrairement aux vices de forme, soumis à un régime relativement souple, les vices de fond bénéficient d’un traitement particulier qui témoigne de leur gravité. Cette « nullité-sanction » s’applique aux irrégularités qui touchent aux éléments essentiels de l’acte juridique.
Les irrégularités de fond selon l’article 117 du Code de procédure civile
L’article 117 du Code de procédure civile (CPC) énumère les irrégularités de fond affectant la validité d’un acte de procédure :
Défaut de capacité d’ester en justice
Ce défaut peut concerner tant la capacité de jouissance que la capacité d’exercice.
La capacité de jouissance, c’est l’aptitude à être titulaire d’un droit d’agir en justice. Son absence est constatée lorsque la personne n’existe pas juridiquement. Par exemple, la Cour de cassation a jugé nul pour vice de fond un acte accompli au nom d’une personne décédée (Civ. 2e, 18 octobre 2018, n°17-19.249).
De même, constitue un vice de fond l’acte de procédure formé par une société en cours de formation ou par une entité dépourvue de personnalité juridique comme une indivision ou une famille (Civ. 2e, 9 juin 2011, n°10-19.241).
Quant à la capacité d’exercice, son défaut est caractérisé lorsque la personne existe mais ne peut pas exercer elle-même ses droits. Il en va ainsi d’une requête en adoption présentée par un majeur placé sous tutelle (Civ. 1re, 4 juin 2007, n°05-20.243) ou d’un acte accompli par une société en liquidation judiciaire et non par son liquidateur (Civ. 2e, 6 décembre 2007, n°06-19.268).
Défaut de pouvoir de représentation
L’article 117 vise également deux formes de défaut de pouvoir :
- Le défaut de pouvoir ad agendum : c’est l’absence de pouvoir d’agir au nom d’autrui. Tel est le cas de l’acte accompli par un président-directeur général démissionnaire (Civ. 2e, 13 octobre 1976, n°75-13.244) ou par un maire sans autorisation du conseil municipal (Civ. 1re, 3 février 2010, n°08-21.433).
- Le défaut de pouvoir ad litem : il s’agit de l’absence de pouvoir de représentation en justice. Par exemple, constitue un vice de fond le défaut de pouvoir spécial d’un héritier chargé de représenter ses cohéritiers dans une procédure en contestation d’honoraires d’avocat (Civ. 2e, 21 avril 2005, n°02-20.183).
Défaut ou vice du consentement
Plus rares sont les hypothèses où le défaut ou le vice du consentement de l’auteur de l’acte est qualifié de vice de fond. On peut néanmoins citer le cas d’une assignation délivrée « à l’insu » des bailleurs (Civ. 2e, 6 mai 2004, n°02-14.070).
Le régime spécifique des nullités de fond
Le régime des nullités de fond se distingue nettement de celui des nullités de forme.
Inapplication des adages traditionnels
Deux adages habituellement applicables aux nullités de forme sont écartés :
- « Pas de nullité sans texte » : selon l’article 119 du CPC, la nullité pour vice de fond peut être prononcée « alors même que la nullité ne résulterait d’aucune disposition expresse ».
- « Pas de nullité sans grief » : le demandeur à l’exception de nullité n’a pas à démontrer que l’irrégularité lui a causé un préjudice. La nullité est automatique.
Cette sévérité s’explique par la gravité de l’irrégularité qui affecte l’acte dans sa substance même.
Condition unique : l’absence de régularisation
La seule condition d’annulation est l’absence de régularisation de l’acte. L’article 121 du CPC dispose : « Dans les cas où elle est susceptible d’être couverte, la nullité ne sera pas prononcée si sa cause a disparu au moment où le juge statue. »
Deux éléments sont donc à considérer :
- Le vice doit être réparable
- La régularisation doit intervenir avant que le juge ne statue
Vices de fond réparables et irréparables
Certains vices sont si graves qu’ils ne peuvent être régularisés. La jurisprudence considère comme irréparables les vices qui confinent à une absence totale de volonté.
Par exemple, n’est pas régularisable l’acte accompli par une personne inexistante. L’action engagée par une personne décédée ne peut être couverte par la reprise d’instance par les héritiers (Civ. 3e, 5 octobre 2017, n°16-21.499).
De même, la nullité d’une assignation délivrée à une personne morale inexistante n’est pas susceptible d’être couverte par l’intervention de la société qui aurait dû être assignée (Civ. 2e, 23 septembre 2010, n°09-70.355).
À l’inverse, sont régularisables les vices affectant le choix d’un représentant non habilité, comme la constitution d’un avocat qui n’est pas inscrit au barreau du ressort du tribunal (Civ. 2e, 5 mai 2011, n°10-14.066).
Modalités de mise en œuvre de l’exception de nullité pour vice de fond
Possibilité d’invoquer l’exception en tout état de cause
Contrairement à l’exception de nullité pour vice de forme, l’article 118 du CPC prévoit que les exceptions de nullité fondées sur l’inobservation des règles de fond « peuvent être proposées en tout état de cause ».
La nullité peut donc être soulevée à n’importe quel moment de la procédure, y compris en cause d’appel (Civ. 2e, 9 janvier 2014, n°12-28.399).
Le juge peut cependant condamner à des dommages-intérêts celui qui s’est abstenu, dans une intention dilatoire, de soulever l’exception plus tôt.
Particularités dans le cadre de la mise en état
Dans le cadre d’une procédure de mise en état devant le tribunal judiciaire ou devant la cour d’appel, des règles particulières s’appliquent.
L’article 789 du CPC impose de soulever les exceptions de procédure auprès du juge de la mise en état. Cette disposition semble entrer en contradiction avec l’article 118 qui permet d’invoquer l’exception « en tout état de cause ».
Cette contradiction apparente soulève des difficultés pratiques non résolues définitivement par la jurisprudence.
Pouvoirs variables du juge
Les pouvoirs du juge varient selon la nature de l’irrégularité de fond :
- Obligation de relever d’office l’inobservation des règles de fond d’ordre public (art. 120, al. 1er)
- Faculté de relever d’office la nullité pour défaut de capacité d’ester en justice (art. 120, al. 2)
- Impossibilité de relever d’office les autres nullités de fond, notamment le défaut de pouvoir
Par exemple, le juge ne peut relever d’office le vice de fond tenant au défaut de pouvoir de l’avocat d’agir en justice (Civ. 1re, 19 septembre 2007, n°06-17.408).
Connaître ces subtilités procédurales s’avère déterminant dans une stratégie contentieuse efficace. Un avocat expérimenté saura identifier les vices de fond, évaluer leur caractère régularisable et déterminer le moment opportun pour les soulever. Notre cabinet vous accompagne dans l’analyse et l’optimisation de vos procédures. Pour tout conseil personnalisé ou question concernant la validité de vos actes de procédure, prenez contact avec notre équipe.
Sources
- Code de procédure civile, articles 117 à 121
- Civ. 2e, 18 octobre 2018, n°17-19.249
- Civ. 3e, 5 octobre 2017, n°16-21.499
- Civ. 2e, 9 juin 2011, n°10-19.241
- Civ. 1re, 4 juin 2007, n°05-20.243
- Civ. 2e, 6 décembre 2007, n°06-19.268
- Civ. 2e, 6 mai 2004, n°02-14.070
- Civ. 2e, 5 mai 2011, n°10-14.066
- Civ. 2e, 9 janvier 2014, n°12-28.399
- Civ. 1re, 19 septembre 2007, n°06-17.408
- Civ. 2e, 23 septembre 2010, n°09-70.355
- L. Mayer, Actes du procès et théorie de l’acte juridique, 2009, éd. IJRS