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La régularisation des irrégularités procédurales – Principes et limites

Table des matières

La procédure civile tolère les erreurs, mais pas toutes. Une assignation entachée d’un vice, une déclaration d’appel incorrecte, un argument juridique présenté tardivement – autant d’irrégularités qui peuvent compromettre vos chances d’obtenir gain de cause. La question n’est pas théorique : quand peut-on corriger ces erreurs pour sauver l’instance? Quand la régularisation est-elle impossible?

1. Le principe de la faculté de régularisation

La procédure civile n’est pas un jeu de massacre où la moindre erreur entraîne la perte définitive du droit d’agir. Les articles 121 et 126 du Code de procédure civile permettent, dans certains cas, de réparer les erreurs procédurales.

Contenu du moyen et possibilité matérielle

La régularisation n’est juridiquement possible que lorsqu’elle est matériellement concevable. Certaines irrégularités, par nature, ne peuvent être corrigées:

  • L’exception de péremption (extinction de l’instance après deux ans d’inaction)
  • La fin de non-recevoir fondée sur la prescription ou la forclusion
  • La défense au fond tirée de l’absence de responsabilité

En revanche, il est parfaitement envisageable de:

  • Refaire un acte entaché d’un vice de forme
  • Compléter un acte incomplet par des conclusions ultérieures
  • Conférer un pouvoir à un représentant qui en était dépourvu
  • Se désister d’une instance parallèle en cas de litispendance

La Cour de cassation rappelle que « les ordonnances du juge de la mise en état statuant sur une exception de procédure ont autorité de chose jugée, qu’elles mettent ou non fin à l’instance » (Civ. 2e, 9 janvier 2020, n°18-21.997).

Limites liées à l’esprit des exigences légales

Même matériellement possible, la régularisation n’est admissible que si l’esprit de l’exigence méconnue ne s’y oppose pas.

Ainsi, aucune régularisation n’est possible lorsque le moyen repose sur l’absence d’une formalité préalable à la demande, comme l’illustre la décision de la 3e chambre civile du 16 novembre 2017 (n°16-24.642), concernant le non-respect d’une clause contractuelle instituant une procédure de conciliation préalable.

De même, la régularisation est exclue lorsqu’une condition doit être impérativement remplie à un moment précis, comme pour le pouvoir spécial devant accompagner la déclaration d’inscription de faux (Civ. 2e, 13 juillet 1999, n°97-12.116).

2. Les conditions d’application de la régularisation

Antériorité par rapport au jugement

Pour neutraliser un moyen de défense, la régularisation doit intervenir avant que le juge ne statue sur ledit moyen (art. 121 et 126 CPC). Cette formule vise moins le jugement que l’ordonnance de clôture ou la clôture des débats, selon que la procédure est écrite ou orale.

Une question importante: une irrégularité survenue en première instance peut-elle être régularisée en appel?

La jurisprudence répond par l’affirmative. La régularisation en appel est admise tant pour les défenses au fond et les fins de non-recevoir (Civ. 2e, 12 juin 2008, n°07-12.510) que pour les exceptions (Soc. 26 janvier 2016, n°14-11.992).

Cette possibilité connaît des limites. La régularisation en appel devient impossible lorsque l’effet dévolutif de l’appel n’a pas joué, c’est-à-dire quand cette voie de recours vise l’annulation du jugement et que le premier juge n’a pas été valablement saisi (Civ. 2e, 7 mars 1984, n°82-12.804).

Absence de forclusion

Pour certains moyens, la régularisation doit intervenir « avant toute forclusion », c’est-à-dire avant l’expiration du délai pour agir.

Cette exigence a longtemps été appliquée systématiquement aux exceptions de nullité pour vice de forme (art. 115 CPC) et, par extension jurisprudentielle, à celles fondées sur une irrégularité de fond (Civ. 3e, 14 février 1990, n°88-18.422).

Conditions spécifiques à certains moyens

L’exception de nullité pour vice de forme exige que la régularisation ne laisse subsister aucun grief (art. 115 CPC). Le grief s’apprécie concrètement comme une désorganisation de la défense avec risque de perdre le procès.

Pour la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité, l’article 126, alinéa 2 du Code de procédure civile précise que la régularisation par intervention de la personne ayant qualité doit intervenir « avant toute forclusion ».

3. L’impact de la réforme de la prescription

La loi n°2008-561 du 17 juin 2008 réformant la prescription en matière civile a profondément modifié le régime des régularisations.

Effets sur les exceptions de nullité

Avant cette réforme, l’assignation nulle n’interrompait pas la prescription ou la forclusion. Une fois ce délai expiré, aucune régularisation n’était plus possible.

Désormais, l’article 2241, alinéa 2 du Code civil prévoit que la demande en justice interrompt les délais de prescription et de forclusion même lorsque l’acte de saisine est annulé pour vice de procédure.

La conséquence est majeure: l’exigence de régularisation avant forclusion a perdu sa raison d’être pour les nullités de forme. La jurisprudence l’a confirmé dans plusieurs arrêts (Civ. 1re, 25 novembre 2010, n°09-69.124; Civ. 2e, 19 novembre 2020, n°19-13.642).

Modification du régime des nullités pour vice de fond

La même évolution s’observe pour les exceptions de nullité fondées sur un vice de fond. La Cour de cassation a jugé que ces vices constituaient aussi des « vices de procédure » au sens de l’article 2241 du Code civil (Civ. 3e, 11 mars 2015, n°14-15.198).

En conséquence, la condition d’absence de forclusion n’est plus exigée (Civ. 2e, 1er juin 2017, n°16-14.300; Civ. 2e, 17 septembre 2020, n°19-18.608).

Maintien pour certaines fins de non-recevoir

En revanche, pour les fins de non-recevoir tenant au défaut de qualité, l’exigence d’absence de forclusion demeure (Com. 13 novembre 2013, n°12-28.572; Com. 3 novembre 2015, n°14-16.750).

C’est logique: l’article 2243 du Code civil maintient le caractère non avenu de l’interruption en cas de rejet de la demande, et ce rejet peut résulter d’une fin de non-recevoir.

Quant aux fins de non-recevoir de procédure, elles connaissent des solutions variées. La condition d’absence de forclusion est exigée pour le défaut de motivation de la déclaration d’appel (Civ. 2e, 10 décembre 2020, n°19-12.257), mais pas pour l’irrecevabilité tenant au contenu incomplet de l’assignation en partage (Civ. 1re, 28 janvier 2015, n°13-50.049).

Les règles de régularisation peuvent sembler techniques, voire byzantines. Elles répondent pourtant à une logique: respecter l’équilibre entre le droit d’accès au juge et la sécurité juridique. Mal les maîtriser peut conduire à la perte définitive de votre action en justice.

Devant la complexité du sujet et les enjeux qu’il soulève, un conseil personnalisé s’impose. N’attendez pas que votre dossier soit compromis par une erreur de procédure.

Sources

  • Code de procédure civile, articles 121, 126, 115, 789, 794 et 795
  • Code civil, articles 2241 et 2243
  • Civ. 2e, 9 janvier 2020, n°18-21.997, Bull. civ., p. 210
  • Civ. 3e, 16 novembre 2017, n°16-24.642, Bull. civ. III, n°123
  • Civ. 2e, 13 juillet 1999, n°97-12.116, Bull. civ. II, n°135
  • Civ. 2e, 12 juin 2008, n°07-12.510
  • Civ. 2e, 7 mars 1984, n°82-12.804, Bull. civ. II, n°45
  • Civ. 3e, 14 février 1990, n°88-18.422, Bull. civ. III, n°50
  • Civ. 1re, 25 novembre 2010, n°09-69.124
  • Civ. 2e, 19 novembre 2020, n°19-13.642, Bull. civ., p. 78
  • Civ. 3e, 11 mars 2015, n°14-15.198, Bull. civ. III, n°31
  • Civ. 2e, 1er juin 2017, n°16-14.300, Bull. civ. II, n°116
  • Civ. 2e, 17 septembre 2020, n°19-18.608, Bull. civ., p. 361
  • Loi n°2008-561 du 17 juin 2008 réformant la prescription en matière civile

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