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La saisie des droits d’associé et valeurs mobilières est souvent mise en avant dans le droit de l’exécution. Elle mérite une attention particulière. Mais d’autres biens immatériels peuvent également être saisis par un créancier muni d’un titre exécutoire.
Ces « autres droits incorporels » constituent un univers vaste et complexe. Ils ont gagné une importance majeure dans notre économie mais restent méconnus. Pour en comprendre la définition juridique et les distinctions essentielles avec d’autres types de saisies, le code des procédures civiles d’exécution (CPCE) leur consacre pourtant un article spécifique, l’article R. 231-1.
Une catégorie résiduelle mais essentielle
Les « autres droits incorporels » sont définis par exclusion. Ce sont tous les biens immatériels qui ne sont ni des droits d’associé, ni des valeurs mobilières, ni des créances de sommes d’argent. Ils doivent avoir une valeur économique et pouvoir être cédés.
Ces droits représentent parfois des actifs stratégiques pour leur titulaire. Un brevet, une marque ou un nom de domaine peuvent constituer le cœur de l’activité d’une entreprise.
L’évolution technologique a multiplié ces droits. Aux propriétés intellectuelles traditionnelles s’ajoutent désormais de nouveaux actifs numériques comme les cryptomonnaies ou les biens virtuels. Cette expansion des biens saisissables illustre bien comment l’histoire et l’évolution du droit de l’exécution ont permis d’étendre la saisie à une multitude de droits incorporels.
Les droits de propriété intellectuelle
Droits d’auteur
Les droits d’auteur comprennent deux aspects :
- Les attributs d’ordre moral (insaisissables)
- Les attributs d’ordre patrimonial (saisissables)
La saisie ne peut porter que sur le droit d’exploitation, à condition que l’œuvre ait été divulguée. Si l’artiste a confié la gestion de ses droits à un tiers, c’est à ce dernier que l’acte de saisie doit être signifié.
Les produits générés par l’exploitation des œuvres bénéficient d’un régime protecteur. Ils peuvent être partiellement insaisissables s’ils ont un caractère alimentaire.
Brevets d’invention
Les brevets font l’objet d’une procédure spéciale décrite à l’article L. 613-21 du code de la propriété intellectuelle. L’acte de saisie doit être signifié simultanément au propriétaire du brevet, à l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) et aux personnes possédant des droits sur le brevet.
Particularité importante : le créancier saisissant doit, dans un délai de quinze jours, saisir le tribunal judiciaire en validation de la saisie. Cette procédure rappelle l’ancienne saisie-arrêt.
Marques
La saisie des marques ne bénéficie pas d’un régime spécifique. Elle relève donc du droit commun de la saisie des droits incorporels. L’acte est signifié à l’INPI puis dénoncé au débiteur.
Après la saisie, le créancier dispose d’un mois pour procéder à la vente amiable. À défaut, il pourra faire procéder à une vente forcée aux enchères.
Les licences d’exploitation
Licences de débits de boissons
Ces licences, particulièrement les licences IV, peuvent atteindre des sommes importantes (jusqu’à 50 000 € dans les grandes villes). La création de nouvelles licences étant généralement interdite, leur valeur reste élevée.
La Cour de cassation a confirmé leur saisissabilité dans un avis du 8 février 1999. L’acte de saisie doit être signifié au maire du lieu d’exploitation ou au préfet de police pour Paris.
Autorisations de stationnement pour taxis
Appelées couramment « licences de taxi », ces autorisations peuvent valoir entre 30 000 € et 300 000 € selon le lieu d’exploitation. Attention toutefois : seules les licences délivrées avant le 1er octobre 2014 sont saisissables, les nouvelles étant incessibles.
Pour ces licences, l’acte est également signifié à l’autorité administrative compétente.
Le cas particulier des offices ministériels
Les offices ministériels (notaires, commissaires de justice, etc.) représentent un cas particulier. Bien que théoriquement saisissables en tant que droits incorporels, ils sont en pratique insaisissables.
La Cour de cassation a expliqué ce paradoxe dans un arrêt du 4 novembre 2003 : l’exigence d’agrément préalable du cessionnaire par le garde des Sceaux est incompatible avec une vente forcée sur saisie.
Seul le prix d’une cession volontaire peut faire l’objet d’une saisie-attribution, une fois l’agrément ministériel obtenu.
Noms de domaine et actifs numériques
Noms de domaine
Un nom de domaine est une adresse internet unique qui peut avoir une valeur économique significative. Pour le saisir, l’acte doit être signifié soit au bureau d’enregistrement, soit directement à l’Association française pour le nommage internet en coopération (AFNIC) pour les extensions françaises.
Le cahier des charges de la vente doit mentionner des éléments d’évaluation comme les statistiques de trafic ou la durée d’existence du nom.
Cryptoactifs
Les cryptomonnaies et jetons non fongibles (NFT) sont théoriquement saisissables. En pratique, leur saisie se heurte à des obstacles majeurs :
- Difficulté de localiser ces actifs
- Absence de tiers centralisateur
- Nécessité d’une clé cryptographique
Pour contourner ces problèmes, le commissaire de justice peut demander au juge de l’exécution d’ordonner sous astreinte la remise de la clé cryptographique. Ces défis, tant au niveau national qu’international, invitent à comparer les approches nationales et internationales face à la saisie des nouveaux actifs numériques (cryptoactifs, NFT).
Biens virtuels
Ces objets numériques existent uniquement dans des jeux vidéo ou des métavers. Bien que leur statut juridique soit débattu, ils font l’objet de transactions à valeur réelle.
Pour les saisir, l’acte doit être signifié à l’éditeur du jeu ou du métavers. Celui-ci doit alors collaborer pour fournir les informations nécessaires et faciliter le transfert du bien virtuel.
Un obstacle majeur : l’éditeur doit avoir un siège social ou une succursale en France pour que la procédure soit applicable.
Une procédure adaptable selon le droit concerné
La saisie des « autres droits incorporels » repose sur un principe simple : appliquer les règles de la saisie des droits d’associé et valeurs mobilières « dans la mesure où leur spécificité n’y met pas obstacle ».
Concrètement, pour comprendre les étapes procédurales clés, consultez le mode d’emploi général de la saisie des droits incorporels qui, applicable également à ces droits plus spécifiques, comprend trois étapes principales :
- Signification de l’acte de saisie au tiers qui centralise les informations
- Dénonciation de la saisie au débiteur
- Vente amiable ou forcée selon les cas
Les adaptations concernent surtout le tiers destinataire de l’acte et les conditions de la vente.
Une pratique confrontée à des défis contemporains
La saisie des « autres droits incorporels » rencontre plusieurs obstacles :
- Incertitudes juridiques sur la cessibilité de certains droits
- Inadaptation des règles classiques aux nouveaux actifs numériques
- Limites techniques pour appréhender certains biens immatériels
Ces difficultés expliquent pourquoi cette procédure reste peu utilisée par les praticiens. Pourtant, l’évolution des patrimoines vers davantage d’actifs immatériels rend son développement nécessaire.
L’intervention du législateur serait bienvenue pour préciser le régime de ces saisies particulières. En attendant, c’est aux commissaires de justice et aux juges de l’exécution d’adapter les règles existantes. Pour une assistance juridique experte sur la saisie de parts sociales, mais aussi d’autres droits incorporels complexes, nos avocats sont à votre écoute pour défendre vos intérêts.
Sources
- Code des procédures civiles d’exécution, article R. 231-1
- Code de la propriété intellectuelle, articles L. 613-21, L. 622-7, R. 714-4
- Avis de la Cour de cassation du 8 février 1999, n° 98-00.015
- Arrêt de la Cour de cassation du 4 novembre 2003, n° 99-13.965
- Répertoire de procédure civile, « Saisie des droits incorporels » par Rudy Laher, Dalloz, juillet 2023
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