La procédure d’arbitrage touche à sa fin, les arguments ont été échangés, les preuves administrées, et le tribunal arbitral a rendu sa décision : la sentence. C’est l’aboutissement du processus que vous aviez choisi pour régler votre différend commercial. Mais quelle est la portée exacte de cette décision ? Est-elle immédiatement applicable ? Comment faire si la partie adverse refuse de s’y conformer ? Et, question tout aussi importante, est-il possible de contester une sentence arbitrale si vous l’estimez incorrecte ou injuste ? Cet article se penche sur la nature de la sentence arbitrale, les mécanismes de son exécution, et explore les voies de recours, souvent plus restreintes que pour un jugement classique, qui permettent éventuellement de la remettre en cause.
Qu’est-ce qu’une sentence arbitrale ?
Il est essentiel de comprendre qu’une sentence arbitrale n’est pas un simple avis ou une recommandation. Malgré son origine privée (elle émane de juges choisis par les parties), elle constitue une véritable décision de justice. Elle tranche le litige qui a été soumis aux arbitres. On peut distinguer les sentences définitives, qui règlent tout ou partie du fond du différend, des sentences avant dire droit, qui ordonnent une mesure préalable (comme une expertise) sans trancher le fond, ou encore des sentences provisoires ordonnant une mesure conservatoire ou provisoire en cours d’instance. Seules les sentences qui tranchent définitivement une partie du litige au fond ont pleinement les attributs que nous allons décrire.
Pour être valide, la sentence doit respecter certaines formes et contenir des mentions essentielles, précisées notamment aux articles 1481 et 1482 du Code de procédure civile. Elle doit indiquer le nom des parties et de leurs conseils, le nom des arbitres qui l’ont rendue, la date et le lieu où elle a été prononcée. Surtout, elle doit être motivée : les arbitres doivent exposer les raisons de fait et de droit qui fondent leur décision. Cette obligation de motivation s’applique même s’ils ont reçu le pouvoir de statuer en « amiable compositeur » (c’est-à-dire en équité). Enfin, la sentence doit être signée par tous les arbitres (ou au moins par la majorité d’entre eux, avec mention du refus de signer de la minorité), conformément à l’article 1480 du Code de procédure civile. L’absence de motivation, de date ou de signatures peut entraîner la nullité de la sentence (article 1492, 6° du Code de procédure civile).
Dès son prononcé, la sentence arbitrale acquiert l’autorité de la chose jugée relative à la contestation qu’elle tranche, comme le stipule l’article 1484, alinéa 1er, du Code de procédure civile. Cela signifie qu’elle s’impose aux parties avec la même force qu’un jugement définitif et que le litige ne peut plus être rejugé sur les mêmes points entre les mêmes parties.
Enfin, en rendant la sentence finale, les arbitres accomplissent leur mission et sont dessaisis du litige (article 1485, alinéa 1er). Ils ne peuvent plus modifier leur décision ou rejuger l’affaire. Il existe toutefois des exceptions limitées : les arbitres peuvent être à nouveau saisis pour rectifier une erreur matérielle (faute de frappe, erreur de calcul…), pour interpréter une disposition obscure de la sentence, ou pour compléter leur décision s’ils ont omis de statuer sur un chef de demande qui leur avait été soumis (articles 1485, alinéa 2 et 1486). Ces demandes doivent généralement être présentées dans un délai de trois mois après la notification de la sentence.
Comment faire exécuter une sentence arbitrale ?
Avoir une sentence en sa faveur est une chose, obtenir son application concrète en est une autre, surtout si la partie adverse est condamnée à payer une somme d’argent ou à accomplir une action.
Idéalement, l’exécution se fait volontairement. La partie condamnée respecte la décision et s’exécute spontanément. C’est la conséquence logique de l’engagement pris par les parties en choisissant l’arbitrage.
Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas. Si la partie condamnée refuse d’obtempérer, il faut passer à l’exécution forcée. Pour cela, la sentence arbitrale, bien qu’ayant l’autorité de chose jugée, n’a pas d’emblée la « force exécutoire » d’un jugement étatique. Il faut obtenir une formalité supplémentaire : l’exequatur. Selon l’article 1487 du Code de procédure civile, la partie qui souhaite poursuivre l’exécution forcée doit déposer l’original de la sentence (accompagné de la convention d’arbitrage) au greffe du Tribunal Judiciaire du lieu où la sentence a été rendue. Elle demande alors au « juge de l’exequatur » (un magistrat de ce tribunal) d’apposer une ordonnance d’exequatur sur la sentence. Le contrôle effectué par ce juge est limité : il ne rejuge pas l’affaire au fond. Il vérifie essentiellement, comme le prévoit l’article 1488, si la sentence n’est pas manifestement contraire à l’ordre public. Si l’exequatur est accordé, la sentence devient alors un titre exécutoire (conformément à l’article L. 111-3 du Code des procédures civiles d’exécution) et peut être mise à exécution par un huissier de justice (commissaire de justice), par exemple par des saisies.
Il est aussi possible que la sentence elle-même ordonne l’exécution provisoire de tout ou partie de ses dispositions (article 1484, alinéa 2). Cela signifie que la décision doit être exécutée immédiatement, même si un recours est exercé contre elle. C’est un outil puissant pour la partie qui obtient gain de cause. Toutefois, la partie qui subit l’exécution provisoire peut demander au Premier Président de la cour d’appel (saisi du recours) d’arrêter ou d’aménager cette exécution si elle risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives (articles 1497 et 1498 du Code de procédure civile).
Peut-on contester une sentence arbitrale ? Les voies de recours
La volonté des parties en choisissant l’arbitrage est souvent d’obtenir une décision rapide et définitive. En conséquence, les possibilités de contester une sentence arbitrale sont nettement plus restreintes que celles ouvertes contre un jugement rendu par un tribunal étatique.
Certaines voies de recours classiques sont exclues : l’article 1503 du Code de procédure civile précise que la sentence arbitrale n’est susceptible ni d’opposition (recours contre un jugement par défaut), ni d’un pourvoi direct en cassation.
La principale voie de recours qui pouvait exister, l’appel, est devenue l’exception. Depuis une réforme de 2011 (applicable aux conventions d’arbitrage conclues après le 1er mai 2011), l’article 1489 du Code de procédure civile pose le principe que la sentence n’est pas susceptible d’appel, sauf volonté contraire des parties exprimée dans leur convention. Si l’appel est ouvert (parce que les parties l’ont prévu), il permet un réexamen complet de l’affaire en fait et en droit par la cour d’appel. Il doit être formé dans le délai d’un mois à compter de la notification de la sentence (article 1494). L’appel suspend l’exécution de la sentence, sauf si l’exécution provisoire a été ordonnée (article 1496). Fait notable : si l’arbitre avait reçu mission de statuer en amiable compositeur, la cour d’appel statuera elle aussi en amiable compositeur (article 1490).
Lorsque l’appel est exclu (ce qui est donc le cas le plus fréquent désormais), la seule voie de recours spécifique contre la sentence est le recours en annulation, prévu aux articles 1491 et 1492 du Code de procédure civile. Ce recours ne vise pas à faire rejuger l’affaire au fond. Son unique objectif est d’obtenir l’annulation de la sentence pour l’un des motifs limitativement énumérés par l’article 1492. Ces motifs sont graves et concernent principalement la régularité de la procédure ou la conformité à l’ordre public :
- Le tribunal arbitral s’est déclaré à tort compétent ou incompétent (absence de convention d’arbitrage valable, litige non arbitrable…).
- Le tribunal arbitral a été irrégulièrement constitué (non-respect des règles de désignation, problème d’indépendance ou d’impartialité d’un arbitre…).
- Le tribunal arbitral a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été confiée (décision allant au-delà de ce qui était demandé – ultra petita, ou omettant de répondre à une demande – infra petita, non-respect du délai d’arbitrage…).
- Le principe de la contradiction n’a pas été respecté (une partie n’a pas pu présenter ses arguments ou répondre à ceux de l’adversaire).
- La reconnaissance ou l’exécution de la sentence est contraire à l’ordre public (il s’agit ici de l’ordre public de fond, la décision elle-même heurte des principes fondamentaux).
- La sentence n’est pas motivée, ou elle ne mentionne pas la date, le nom des arbitres, ou n’est pas signée conformément aux règles.
Le recours en annulation doit aussi être formé devant la cour d’appel dans le délai d’un mois suivant la notification de la sentence (article 1494) et a également un effet suspensif (article 1496). Si la cour d’appel annule la sentence, l’article 1493 prévoit qu’elle doit alors, sauf si toutes les parties s’y opposent, statuer elle-même sur le fond du litige, dans les limites de la mission initialement confiée à l’arbitre.
Enfin, deux autres recours existent mais sont très exceptionnels : le recours en révision (article 1502), possible si l’on découvre après coup que la sentence a été obtenue par fraude, et la tierce opposition (article 1501), ouverte aux personnes qui n’étaient pas parties à l’arbitrage mais dont les droits sont lésés par la sentence.
La phase post-sentence, qu’il s’agisse d’en obtenir l’exécution ou d’envisager une contestation, soulève des questions juridiques complexes. Les voies de recours étant limitées et techniques, une analyse experte est nécessaire. Notre cabinet est à vos côtés pour faire exécuter une sentence arbitrale ou pour examiner les possibilités de recours et vous représenter devant la cour d’appel.
Sources
- Code de procédure civile (notamment articles 1480 à 1503)
- Code des procédures civiles d’exécution (notamment article L.111-3)