Outil juridique souple et efficace du droit français, la sommation est un acte formel par lequel une personne, par l’intermédiaire d’un commissaire de justice, enjoint à une autre de faire ou de ne pas faire quelque chose, sans pour autant que ce soit une citation à comparaître devant un tribunal. Bien que souvent perçue comme un simple préalable à une action en justice, ses applications sont bien plus larges et stratégiques, notamment en droit commercial où elle joue un rôle déterminant dans la constitution de preuves, le recouvrement de créances et la gestion des délais. Pour en saisir toute la portée, une analyse de la définition de la sommation et ses principes fondamentaux est un point de départ éclairant.
Définition et caractéristiques juridiques de la sommation
La sommation définie comme un acte extrajudiciaire, c’est-à-dire qu’il est réalisé en dehors de toute procédure judiciaire déjà engagée. Délivré par un commissaire de justice (profession qui a succédé à celle d’huissier de justice), cet acte a pour but d’adresser une injonction ou une interpellation officielle à une personne, appelée le sommé, à la demande d’une autre, le requérant. Sa force réside dans son caractère formel : il ne laisse aucun doute sur la volonté du requérant et sur la parfaite information du destinataire. Le Code de procédure civile n’impose pas de formalisme strict, ce qui lui confère une grande adaptabilité, bien au-delà de la simple mise en demeure.
Les trois finalités de la sommation : contraindre, prouver, interpeller
On distingue traditionnellement trois grandes catégories de sommations selon leur objectif principal. La première est la sommation d’exécuter, qui vise à contraindre le destinataire à remplir une obligation, le plus souvent de payer une somme d’argent. C’est la forme de mise en demeure la plus connue, un synonyme courant dans le langage non-juridique, comme le prévue l’article 1344 du Code civil. La deuxième, la sommation interpellative, est une arme redoutable pour obtenir une preuve. Sa fin est de provoquer une réponse ou une réaction du sommé sur une question précise. Les déclarations recueillies par le commissaire de justice peuvent alors constituer un aveu extrajudiciaire. Enfin, la sommation de juger, plus rare, est un outil permettant de mettre en cause la responsabilité de l’État pour déni de justice si un juge tarde à statuer.
La sommation en droit commercial : du recouvrement de créances au protêt
En matière commerciale, la rapidité et la sécurité des transactions sont essentielles. La sommation y trouve un champ d’application privilégié, que ce soit pour formaliser une demande de paiement ou pour préserver des droits spécifiques liés aux effets de commerce. Elle constitue une arme juridique dont les usages en droit commercial sont multiples et stratégiques.
La sommation de payer : une mise en demeure renforcée pour le créancier
La sommation de payer est l’outil de base dans la procédure de recouvrement de créances commerciales. Plus impressionnante et formelle qu’une lettre recommandée, elle met le feu aux poudres en signifiant au débiteur que le créancier a officiellement engagé des démarches. Cet acte fait courir les intérêts de retard et ouvre la voie, en cas d’échec, à des procédures plus contraignantes comme l’injonction de payer ou l’assignation devant le tribunal de commerce. Elle constitue une étape quasi-obligatoire pour démontrer la volonté du créancier de recouvrer sa dette de manière amiable avant de judiciariser le conflit.
Le protêt : la sommation spécifique aux effets de commerce impayés
Le protêt est une forme particulière et solennelle de sommation, indispensable en droit cambiaire. Défini par le Code de commerce, il s’agit d’un acte authentique dressé par un commissaire de justice ou un notaire pour constater officiellement le non-paiement d’un effet de commerce (lettre de change, billet à ordre) ou le refus d’acceptation d’une traite. Son importance est majeure : l’établissement d’un protêt faute de paiement dans les délais légaux est la condition impérative pour que le porteur de l’effet puisse conserver ses recours cambiaires contre les signataires précédents (tireur, endosseurs), sans lesquels tout appel en garantie est vain. Sans cet acte, le porteur est considéré comme « négligent » et perd ses garanties, sauf exceptions très limitées. Le protêt est donc bien plus qu’une simple formalité ; c’est une arme essentielle, véritable sentinelle de la chaîne de paiement en droit commerciale.
Force probante de la sommation : la supériorité de l’acte de commissaire de justice
L’un des avantages majeurs de la sommation par rapport à d’autres formes de notification réside dans sa valeur juridique. L’intervention d’un officier public lui confère une sécurité et une autorité qui la distinguent nettement, par exemple, d’une lettre recommandée. Pour bien mesurer l’intérêt de recourir à cet acte, il est utile d’analyser en détail sa force probante et sa valeur juridique en matière de preuves.
De l’acte extrajudiciaire à la valeur d’un acte authentique
Une sommation délivrée par un commissaire de justice est un acte authentique pour les faits que l’officier public y relate comme les ayant personnellement accomplis ou constatés. Concrètement, la date de l’acte, la remise au destinataire (ou la tentative de remise), ainsi que les éventuelles réponses consignées par le commissaire font foi jusqu’à inscription de faux. Cela signifie que pour contester ces éléments, il ne suffit pas d’apporter une preuve contraire ; il faut engager une procédure judiciaire complexe et lourde visant à démontrer que l’officier public a commis un faux en écriture publique. Cette force probante maximale offre une sécurité juridique sans équivalent.
Sommation vs Lettre Recommandée : le poids de la preuve en justice
La comparaison avec la lettre recommandée avec accusé de réception (LRAR) est éclairante. La LRAR prouve l’envoi d’un courrier à une certaine date et, si l’accusé de réception est signé, sa réception par le destinataire. Cependant, elle ne prouve en rien le contenu de la lettre. Un destinataire de mauvaise foi, votre adversaire, pourra toujours prétendre avoir reçu une enveloppe vide ou un document sans rapport. La sommation, elle, résout ce problème : le commissaire de justice atteste du contenu même de l’acte qu’il signifie. Sa date est incontestable et sa remise est prouvée de manière irréfutable, y compris en cas de refus du destinataire, ce que ne permet pas la LRAR.
L’impact stratégique de la sommation sur les délais de prescription
Une croyance répandue attribue à la sommation le pouvoir systématique d’interrompre les délais de prescription. Cette idée, fréquente dans la pratique juridique française, est juridiquement inexacte et peut conduire à de graves erreurs stratégiques, notamment en droit des affaires où la maîtrise des délais est fondamentale. Comprendre le rôle précis de la sommation est donc essentiel pour interrompre ou suspendre les délais de prescription à bon escient.
Le principe : une sommation valant mise en demeure n’interrompt pas la prescription
Depuis la loi portant réforme de la prescription en matière civile du 17 juin 2008, qui a mis fin à une jurisprudence antérieure, la mise en demeure, y compris lorsqu’elle prend la forme d’une sommation de payer, n’est plus une cause d’interruption du délai de prescription. L’article 2241 du Code civil liste limitativement les actes interruptifs de prescription. Il s’agit principalement de la demande en justice (même en référé), d’une mesure conservatoire prise en application du code des procédures civiles d’exécution, ou d’un acte d’exécution forcée. Une sommation de payer qui ne fait que réclamer une somme, sans s’appuyer sur un titre exécutoire, ne suffit donc pas à interrompre le délai pour agir.
L’exception : la sommation de payer valant commandement de payer un titre exécutoire
La situation change radicalement lorsque la sommation est délivrée sur le fondement d’un titre exécutoire, comme un jugement définitif ou un acte notarié revêtu de la formule exécutoire. Dans ce cas, l’acte n’est plus une simple mise en demeure mais un commandement de payer, qui est le premier acte de l’exécution forcée. À ce titre, en vertu de l’article 2244 du Code civil, cet acte, véritable sentinelle des droits du créancier, interrompt valablement le délai de prescription. La distinction est donc technique mais fondamentale : la sommation n’interrompt la prescription que lorsqu’elle constitue le premier pas d’une procédure d’exécution forcée déjà autorisée par un titre.
Cas d’usages avancés et implications procédurales
Au-delà de ses fonctions classiques, la loi confère à la sommation un rôle clé dans des procédures spécifiques où elle devient un outil indispensable pour contraindre une partie à se positionner ou pour purger des droits de tiers. Ces cas d’usages, souvent techniques, illustrent la polyvalence de cet instrument juridique.
En droit des successions : sommer un héritier à opter
L’article 771 du Code civil prévoit un cas d’usage typique : la sommation d’opter. Lorsqu’un héritier (un enfant, un parent éloigné) reste silencieux et ne prend pas parti sur l’acceptation ou la renonciation à une succession, un créancier, un cohéritier ou l’État peut, après un certain délai, le sommer de se décider, de prendre parti sur son option successorale. En l’absence de réponse dans les deux mois, l’héritier est réputé avoir accepté purement et simplement la succession, avec toutes les conséquences que cela implique sur son propre patrimoine.
En droit commercial : la purge des privilèges sur un fonds de commerce
Lors de la vente d’un fonds de commerce, l’acquéreur doit s’assurer que le fonds n’est pas grevé de dettes garanties par des inscriptions (privilège du vendeur, nantissement). La procédure de purge, organisée par le Code de commerce, permet de libérer le fonds de ces charges. Dans ce cadre, la sommation joue un rôle central. L’acquéreur doit notifier par acte de commissaire de justice le prix de vente aux créanciers inscrits. Ces derniers disposent alors d’un délai pour faire opposition ou pour surenchérir. La sommation est ici l’acte qui déclenche la procédure et garantit que tous les créanciers ont été formellement informés.
Sommation par commissaire de justice : procédure, coûts et alternatives
Le recours à une sommation implique une procédure simple mais formalisée. Le requérant doit donner mandat à un commissaire de justice en lui fournissant les informations nécessaires (identité du destinataire, objet de la sommation). Le coût d’une sommation est réglementé et se compose d’émoluments fixes ou proportionnels définis par le Code de commerce, auxquels s’ajoutent les frais de déplacement et les débours. Bien que plus onéreuse qu’une lettre recommandée, son coût doit être mis en balance avec la sécurité juridique et l’efficacité qu’elle procure. Pour des situations sans enjeu majeur, la mise en demeure par lettre recommandée, rédigée de manière respectueuse, reste une alternative valable, mais elle n’offrira jamais la même force probante ni le même impact psychologique qu’un acte délivré par un officier public.
La sommation est un acte juridique bien plus stratégique qu’il n’y paraît. Elle permet de formaliser une demande, de créer une preuve irréfutable ou de déclencher des mécanismes procéduraux complexes. Pour évaluer la pertinence de cet outil dans votre situation et sécuriser vos démarches, il est recommandé de solliciter l’avis d’un professionnel. Si vous faites face à un impayé, à une situation litigieuse nécessitant une preuve ou à une procédure commerciale, n’hésitez pas à contacter notre cabinet d’avocats pour une analyse personnalisée.
Sources
- Code civil
- Code de commerce
- Code de procédure civile
- Code monétaire et financier
- Droit et pratique des procédures d’exécution, Droit.org, 2023 (ISBN 978-2-247-18920-2)