Un produit défectueux vendu à des milliers d’exemplaires, une clause abusive glissée dans d’innombrables contrats d’abonnement, des frais bancaires injustifiés prélevés sur les comptes de nombreux clients… Ces situations, malheureusement fréquentes, placent souvent les victimes dans une position délicate. Individuellement, le préjudice subi peut sembler trop faible pour justifier les coûts et la complexité d’une action en justice. Face à un professionnel puissant, le consommateur ou le petit entrepreneur se sent isolé, démuni. C’est précisément pour répondre à cette problématique que l’action de groupe a été introduite en droit français. Il s’agit d’une procédure permettant à un représentant qualifié, comme une association ou un syndicat, d’agir en justice au nom de toutes les personnes ayant subi un dommage similaire du fait d’un même responsable, afin d’obtenir réparation pour chacune d’elles.
Cet article a pour but de vous éclairer sur les fondements de cet outil juridique : son fonctionnement général, les raisons de sa création en France, les domaines où il peut être utilisé et qui peut le mettre en œuvre. Comprendre ces bases est essentiel si vous pensez être concerné par un litige de masse.
Qu’est-ce que l’action de groupe ?
L’action de groupe, parfois appelée « class action » par référence au modèle américain dont elle s’inspire partiellement, est donc une procédure judiciaire spécifique. Elle permet à une entité habilitée par la loi – généralement une association de consommateurs agréée ou un syndicat représentatif – d’agir devant un tribunal pour défendre les intérêts d’un ensemble de personnes qui se trouvent dans une situation comparable et qui ont été victimes d’un manquement identique commis par le même professionnel ou responsable.
L’objectif premier et fondamental de cette action est d’obtenir la réparation des préjudices individuels subis par chaque membre du groupe. Il ne s’agit pas de défendre un intérêt général abstrait, mais bien de faire indemniser concrètement chaque personne lésée pour le dommage qu’elle a personnellement subi. Imaginez une compagnie aérienne annulant un vol sans proposer l’indemnisation légale due ; l’action de groupe visera à ce que chaque passager concerné reçoive l’indemnité à laquelle il a droit.
Il est important de ne pas confondre l’action de groupe avec d’autres types d’actions collectives, comme l’action en défense de l’intérêt collectif. Cette dernière, aussi menée par des associations, vise à faire sanctionner une atteinte portée à l’intérêt général d’une catégorie de personnes (par exemple, demander la suppression d’une clause abusive dans tous les contrats d’un opérateur, indépendamment des préjudices individuels déjà causés). L’action de groupe, elle, se concentre sur la réparation des dommages déjà subis par des individus identifiables ou identifiables.
On peut dire que l’action de groupe repose sur deux piliers :
- Le rôle du représentant : Ce n’est pas chaque victime qui agit individuellement, mais une association ou un syndicat désigné par la loi, qui porte l’action au nom de tous.
- La défense des intérêts individuels : L’action vise à obtenir une compensation pour chaque personne lésée, et non pour la collectivité dans son ensemble.
Pourquoi l’action de groupe a-t-elle été créée en France ?
L’introduction de l’action de groupe dans le paysage juridique français a été un processus long et débattu. Pendant des années, les victimes de préjudices de masse se heurtaient à des obstacles importants pour faire valoir leurs droits.
Les actions individuelles présentaient des limites évidentes. Engager une procédure judiciaire a un coût (frais d’avocat, d’expertise, de procédure) qui peut facilement dépasser le montant du préjudice subi, surtout dans les litiges de consommation où les sommes en jeu sont souvent modestes. La complexité des démarches et la longueur des procédures décourageaient également nombre de justiciables. Le résultat était une forme d’impunité pour certains professionnels commettant des manquements à grande échelle, car le risque d’être poursuivi par chaque victime individuellement était faible.
Historiquement, certains arguments juridiques ont aussi été avancés pour freiner son adoption, comme l’adage « nul ne plaide par procureur », signifiant qu’en principe, on ne peut agir en justice au nom d’autrui sans mandat précis. Des craintes, parfois alimentées par une vision caricaturale du système américain des « class actions », existaient également quant à un risque de « judiciarisation » excessive ou de dérives procédurales.
Cependant, la nécessité d’offrir un recours efficace aux victimes de litiges de masse s’est progressivement imposée. Sous l’impulsion notamment du droit européen et face à des scandales retentissants, le législateur français a fini par intégrer ce mécanisme. L’action de groupe a d’abord été introduite de manière limitée en droit de la consommation par la loi Hamon de 2014. Puis, son champ a été étendu, notamment par la loi de modernisation de notre système de santé de 2016 et surtout par la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle (dite « loi J21 ») de 2016, qui a créé un socle commun et ouvert l’action à de nouveaux domaines comme la discrimination, l’environnement ou les données personnelles.
Les objectifs poursuivis par le législateur en créant l’action de groupe sont multiples :
- Améliorer l’accès à la justice pour les petits litiges où une action individuelle n’est pas rentable.
- Rééquilibrer le rapport de force entre les consommateurs/usagers et les professionnels puissants.
- Assurer une réparation effective des préjudices de masse.
- Avoir un effet dissuasif sur les entreprises tentées par des pratiques illicites à grande échelle.
Dans quels domaines peut-on lancer une action de groupe ?
Le droit français actuel prévoit la possibilité de lancer une action de groupe dans six domaines principaux bien définis. Il n’existe pas (encore) d’action de groupe « universelle » applicable à n’importe quel type de litige. Voici les domaines concernés :
- Droit de la consommation : C’est le champ historique de l’action de groupe. Elle vise les manquements d’un professionnel lors de la vente de biens, de la fourniture de services, ou dans le cadre de la location d’un bien immobilier. Elle couvre aussi les préjudices résultant de pratiques anticoncurrentielles (ententes, abus de position dominante). C’est typiquement le cas des litiges de masse liés aux contrats, aux produits défectueux (hors dommages corporels graves), aux clauses abusives ou aux pratiques commerciales trompeuses.
- Santé publique : Cette action permet de rechercher la responsabilité d’un producteur, fournisseur ou prestataire pour des dommages corporels causés par certains produits de santé (médicaments, dispositifs médicaux, produits cosmétiques, etc., listés par le Code de la santé publique). Elle a été pensée suite à des affaires sanitaires majeures.
- Discrimination (générale) : Elle vise à faire cesser une discrimination directe ou indirecte (fondée sur l’origine, le sexe, l’âge, le handicap, etc.) et à obtenir réparation des préjudices subis par un groupe de personnes physiques du fait d’une même personne (qui n’est pas nécessairement un employeur).
- Discrimination au travail : Action spécifique pour les discriminations commises par un employeur envers des candidats à l’embauche, des stagiaires ou des salariés. Elle présente des règles procédurales particulières, notamment concernant les préjudices indemnisables pour les salariés déjà en poste.
- Environnement : Cette action permet de réparer les préjudices corporels et matériels subis par un groupe de personnes (physiques ou morales) et résultant d’un dommage causé à l’environnement dans certains domaines précis (pollutions, nuisances, atteintes à la nature, etc.).
- Données personnelles : Introduite pour répondre aux enjeux du numérique, elle permet d’agir contre un responsable de traitement ou un sous-traitant en cas de manquement au RGPD ou à la loi Informatique et Libertés, afin d’obtenir réparation des préjudices matériels et moraux subis.
Chacun de ces domaines a ses propres spécificités quant aux conditions précises pour engager l’action, que nous aborderons plus en détail dans de futurs articles.
Qui peut lancer une action de groupe ?
Une des particularités majeures du système français, par différence avec le modèle américain par exemple, est que l’initiative de l’action de groupe n’est pas laissée à n’importe quelle victime ou à un avocat entreprenant. Le droit français a réservé cette possibilité à des représentants spécifiquement habilités par la loi.
Il s’agit principalement :
- D’associations agréées : Selon le domaine, il peut s’agir d’associations de consommateurs agréées au niveau national (pour l’action consommation), d’associations d’usagers du système de santé agréées (pour l’action santé), d’associations de protection de l’environnement agréées, ou encore d’associations spécialisées dans la lutte contre les discriminations ou la protection de la vie privée. L’agrément vise à garantir le sérieux, la compétence et la représentativité de l’association.
- D’organisations syndicales représentatives : Elles sont habilitées à agir pour les actions de groupe en matière de discrimination au travail, et parfois aussi pour les discriminations générales ou les données personnelles lorsque le traitement affecte les personnes qu’elles représentent statutairement (salariés, fonctionnaires, magistrats…).
Ce choix de confier un monopole à ces entités vise à encadrer la procédure, à éviter les actions fantaisistes ou purement lucratives, et à s’assurer que l’action est portée par une structure ayant les moyens et la légitimité pour défendre l’intérêt du groupe.
Cependant, ce système présente aussi des limites. Le nombre d’associations habilitées est parfois très restreint (quinze seulement pour l’action consommation au niveau national). De plus, ces structures n’ont pas toujours les ressources financières et humaines suffisantes pour engager des procédures longues et coûteuses contre de grandes entreprises, ce qui explique en partie le bilan pour l’instant mitigé de l’action de groupe en France. La question du financement de ces actions reste un défi majeur.
Si vous pensez être victime, avec d’autres, d’un manquement relevant de ces domaines, comprendre le fonctionnement de l’action de groupe est une première étape. Pour une analyse de votre situation spécifique, contactez notre cabinet.
Sources
- Loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation
- Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé
- Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle
- Code de la consommation (Articles L623-1 et s., R623-1 et s.)
- Code de la santé publique (Articles L1143-1 et s.)
- Code de l’environnement (Article L142-3-1)
- Code du travail (Articles L1134-6 à L1134-10)
- Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés (Article 37)
- Loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations (Article 10)