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L’appel en garantie en procédure civile : mécanismes, stratégies et pièges à éviter

Table des matières

L’appel en garantie est un outil procédural puissant, permettant d’attraire un tiers dans un procès pour qu’il supporte les condamnations qui pourraient être prononcées. Bien que fondamental en contentieux civil et commercial, son articulation avec des mécanismes comme la solidarité ou l’arbitrage révèle des complexités souvent méconnues. Cet article, mis à jour en 2024, propose une vue d’ensemble de ses fondamentaux, avant d’explorer des aspects plus pointus, essentiels pour sécuriser les intérêts d’une partie et optimiser sa stratégie judiciaire en France.

Définition : la notion de garantie et ses implications procédurales

Le terme « garantie » recouvre en droit plusieurs réalités. Sur le plan procédural, il s’exerce soit à titre principal, lorsque le créancier a assigné directement le garant, soit à titre incident, au sein d’une instance déjà engagée. C’est dans ce second cas que l’on parle d’appel en garantie, une forme d’intervention forcée définie par l’article 331 du Code de procédure civile (CPC), dont l’objet est de rendre une personne tierce partie au procès.

Cette procédure vise à obtenir la condamnation d’un tiers qui doit légalement ou contractuellement garantir une partie contre une éventuelle condamnation à venir. L’article 334 du même code (version en vigueur) distingue deux régimes : la garantie simple et la garantie formelle, dont les effets sur la décision de justice diffèrent notablement.

Il est important de ne pas confondre l’appel en garantie avec des actions voisines. Il se distingue de l’action directe en matière d’assurance, prévue par l’article L.124-3 du Code des assurances, qui permet à la victime d’agir directement contre l’assureur du responsable. De même, il diffère de l’action en paiement du débiteur solidaire ; un codébiteur qui a payé la dette doit attendre sa condamnation pour agir contre les autres, alors que l’appel en garantie peut être initié préventivement, dès que l’appelé est personnellement obligé (Civ. 1re, 6 octobre 1998, pourvoi n°96-20.111, publié au Bulletin officiel).

Conditions de recevabilité : un encadrement précis selon les instances

La mise en œuvre de l’appel en garantie est soumise à des conditions de recevabilité qui varient selon le stade de la procédure et la juridiction saisie.

En première instance : un cadre souple fondé sur le lien suffisant

Devant les juges du premier degré, la recevabilité de toute demande incidente, y compris l’appel en garantie, est appréciée avec une certaine souplesse. Les articles 70 et 325 du Code de procédure civile (CPC) exigent simplement que la demande « se rattache aux prétentions originaires par un lien suffisant ». La jurisprudence de la Cour de cassation considère que cette condition, relative au lien de connexité, n’est pas d’ordre public, ce qui signifie que le juge ne peut soulever d’office son absence (Chambre sociale, 23 novembre 1995, n°92-14.887).

En appel : un cadre restrictif lié à l’évolution du litige

Le principe du double degré de juridiction impose une approche plus stricte devant la cour d’appel. L’article 555 du Code de procédure civile (CPC, version en vigueur depuis le Décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019) limite les interventions forcées aux cas où « l’évolution du litige implique la mise en cause » du tiers. L’Assemblée plénière de la Cour de cassation définit cette évolution comme « la révélation d’une circonstance de fait ou de droit, née du jugement ou postérieure à celui-ci, modifiant les données juridiques du litige » (Ass. plén., 11 mars 2005, pourvoi n°03-20.484). Une simple évocation de l’affaire sur contredit ou la connaissance d’un fait dès la première instance ne suffisent pas à caractériser une telle évolution, ce qui souligne la nécessité d’anticiper cette action en justice dès que possible.

Devant la Cour de cassation : une irrecevabilité de principe

L’article 327 du Code de procédure civile (CPC) exclut toute intervention forcée devant la Cour de cassation. Seules les interventions volontaires à titre accessoire y sont admises, confirmant le rôle de cette haute juridiction, qui est de juger en droit et non de réexaminer les faits lors d’un pourvoi en cassation.

Mise en œuvre procédurale : compétence, délais et formalisme

L’article 333 du Code de procédure civile (CPC) instaure une prorogation de la compétence territoriale : la juridiction saisie de la demande principale devient compétente pour connaître de l’appel en garantie, sans que le tiers puisse décliner cette compétence. Cette règle, relevant du droit procédural spécial, ne s’applique cependant pas à la compétence matérielle ou dans un contexte international (Union Européenne ou autre).

L’appel en garantie peut être initié par une partie ou suggéré par le juge, y compris le juge de la mise en état (art. 332 et 786 du CPC, version applicable). La demande, qui prend la forme d’une assignation en garantie, doit être formée avant la clôture de l’instruction pour respecter le principe du contradictoire. Une fois engagée, elle est considérée comme une défense au fond, rendant irrecevable toute exception d’incompétence ultérieure (art. 74 du CPC). Pour permettre au défendeur d’organiser sa défense, le juge peut lui accorder un délai pour appeler un garant ; il s’agit d’une exception dilatoire, une forme d’exception de procédure qui doit être soulevée in limine litis.

Les effets juridiques : garantie simple vs garantie formelle

Les conséquences de l’appel en garantie dépendent de sa nature, simple ou formelle, une distinction clé en droit français.

Dans le régime de la garantie simple, l’appelant demeure la partie principale au procès. Le garant n’est qu’une partie jointe, et il n’existe pas de lien juridique direct entre le demandeur initial et le garant. Le jugement rendu est d’abord prononcé contre le garanti, puis contre le garant. Ce dernier ne peut exercer de voie de recours contre la décision sur l’action principale que si ce jugement lui fait grief et qu’il a présenté des défenses au fond contre le demandeur initial.

La garantie formelle, plus rare en pratique, intervient lorsque l’appelant n’est poursuivi qu’en tant que détenteur d’un bien (par exemple, dans une action en revendication). Le garant peut alors être substitué au garanti, qui est mis hors de cause s’il le souhaite et si les autres parties ne s’y opposent pas (art. 336 du CPC). Le jugement est alors rendu directement contre le garant mais acquiert autorité de la chose jugée à l’égard du garanti et reste exécutable contre lui.

Appel en garantie et coobligés : le rôle clé de la solidarité

L’articulation entre l’appel en garantie et les obligations solidaires est une question stratégique, particulièrement en droit commercial où la solidarité passive est un mécanisme fondamental, souvent invoqué devant le tribunal de commerce.

La présomption de solidarité passive comme fondement de l’action

Contrairement au droit civil, le droit commercial instaure une présomption de solidarité passive entre codébiteurs d’une même dette commerciale. Fondée sur un usage contra legem, cette règle, dont la constitution et l’application sont constantes, a pour but de renforcer le crédit et de sécuriser le créancier, qui peut alors réclamer la totalité de la dette à n’importe lequel de ses débiteurs. Cette présomption constitue un fondement autonome pour une action en garantie entre coobligés.

Le recours du codébiteur solvens contre les autres coobligés

Le codébiteur qui a payé l’intégralité de la dette (le solvens) dispose d’un recours contre ses coobligés pour la part de responsabilité que chacun doit supporter, conformément à l’article 1317 du Code civil (version en vigueur depuis le Décret n° 2016-131 du 10 février 2016). Il peut exercer un appel en garantie préventif dès qu’il est poursuivi, sans attendre de payer effectivement. Le garant appelé (un autre codébiteur) pourra opposer au demandeur les exceptions communes à tous les débiteurs, ainsi que celles qui lui sont personnelles, mais pas celles purement personnelles au débiteur qui l’appelle en garantie.

L’appel en garantie dans le cadre de l’arbitrage : une compétence conditionnée

Le recours à l’arbitrage pour trancher les litiges commerciaux modifie profondément les règles de compétence judiciaire et soulève des questions spécifiques quant à la recevabilité d’un appel en garantie.

Principe : l’inopposabilité de la convention d’arbitrage au garant

La convention d’arbitrage, qui prévoit le recours à cette forme de justice privée, ne lie que les parties qui l’ont signée. En vertu de l’effet relatif des contrats (art. 1199 du Code civ.), un garant, qui est tiers au contrat initial contenant ladite convention, ne peut se voir imposer la compétence d’un tribunal arbitral. En principe, aucun appel en garantie n’est donc possible dans une procédure d’arbitrage sans l’accord exprès du garant.

Exception : l’acceptation unanime de la compétence arbitrale

L’intervention volontaire ou forcée d’un garant dans une procédure arbitrale reste possible, mais elle est soumise à une condition très stricte : l’accord de toutes les parties. Non seulement le garant doit accepter la compétence du tribunal arbitral, mais toutes les parties originaires à l’instance arbitrale doivent également consentir à son intervention. Cette exigence d’unanimité rend l’appel en garantie en arbitrage particulièrement difficile à mettre en œuvre en pratique.

Articulation avec la médiation et la conciliation préalables

De nombreux contrats commerciaux prévoient une étape de médiation ou de conciliation préalable obligatoire avant toute action contentieuse. Une telle disposition peut constituer une fin de non-recevoir si elle n’est pas respectée, pouvant même entraîner une nullité de procédure si le texte le prévoit. Cependant, sauf stipulation expresse, cette obligation ne s’applique généralement pas à l’appel en garantie, qui est une action incidente. La portée de ces dispositions doit donc être analysée avec attention pour éviter toute irrecevabilité.

Cas complexes : focus sur le cautionnement de compte courant en procédure collective

La situation de la caution garantissant le solde d’un compte courant devient particulièrement complexe lorsque le titulaire du compte, souvent une société ou une entreprise, fait l’objet d’une procédure collective (sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire).

Il est alors essentiel de distinguer deux obligations pour la caution :

  1. L’obligation de couverture : elle concerne les dettes nées avant le jugement d’ouverture de la procédure collective. La caution reste tenue de garantir le solde débiteur existant à cette date.
  2. L’obligation de règlement : elle vise le solde définitif qui sera arrêté à la clôture du compte. Les remises effectuées sur le compte après le jugement d’ouverture viennent en principe diminuer le solde que la caution doit garantir, sauf stipulations contractuelles contraires. Le dommage final pour la caution peut ainsi être réduit.

La caution doit être particulièrement vigilante et déclarer sa créance éventuelle au passif de la procédure collective dans le délai légal pour préserver ses droits et ses recours ultérieurs contre le débiteur principal, en vue de la réparation, même partielle, de son préjudice.

Évolutions récentes et points de vigilance stratégiques

La réforme de la procédure civile, avec la création du tribunal judiciaire (qui fusionne l’ancien tribunal de grande instance et le tribunal d’instance) et la généralisation de l’exécution provisoire, a modernisé le cadre de l’appel en garantie sans en altérer les principes fondamentaux. La jurisprudence continue de préciser les contours de ce mécanisme, notamment en matière d’assurance et de restitutions, et il convient de noter que des règles distinctes peuvent s’appliquer en contentieux administratif, où la jurisprudence administrative a développé ses propres solutions.

Le choix entre une action principale en garantie et un appel en garantie incident relève d’une analyse fine des avantages et des risques de chaque option. La complexité de cette procédure, qui doit être initiée dans un certain délai, justifie un accompagnement juridique dès les premières étapes du contentieux. Pour une analyse approfondie de votre situation et une information complète, prenez contact avec notre équipe d’avocats.

Foire aux questions

Qu’est-ce que la présomption de solidarité en matière commerciale ?

Il s’agit d’un usage selon lequel, lorsqu’un engagement est souscrit par plusieurs débiteurs commerçants, ils sont présumés être tenus solidairement au paiement de la totalité de la dette. Le créancier peut alors réclamer le paiement intégral à l’un quelconque d’entre eux, ce dernier disposant ensuite d’un recours contre les autres.

Peut-on forcer un garant à participer à une procédure d’arbitrage ?

Non, en principe. Le garant étant un tiers à la convention d’arbitrage, il ne peut être contraint d’y participer. Son intervention n’est possible qu’avec son accord et celui de toutes les autres parties à l’instance arbitrale, une information cruciale à valider avant d’engager une telle démarche.

L’appel en garantie est-il possible en appel ?

Oui, mais de manière très restrictive. Il n’est recevable devant la cour d’appel que si une « évolution du litige » (un fait ou un élément de droit nouveau survenu depuis le premier jugement) rend nécessaire la mise en cause du garant.

Quelle est la différence entre l’obligation de couverture et l’obligation de règlement d’une caution ?

L’obligation de couverture engage la caution pour les dettes nées pendant la durée de son engagement. L’obligation de règlement concerne le paiement du solde final de la dette, après imputation des paiements et remises ultérieurs. Leur constitution et leur portée sont définies dans le contrat de cautionnement.

Une clause de conciliation préalable empêche-t-elle un appel en garantie ?

En général, non. Une telle disposition, si elle n’est pas respectée, peut rendre irrecevable une action principale au fond, mais elle n’est généralement pas opposable à une demande incidente comme l’action en garantie, sauf stipulation expresse dans le contrat. L’application de ce principe demeure à l’appréciation du juge.

Quelle différence entre garantie simple et garantie formelle ?

La garantie simple laisse le garanti comme partie principale à l’instance. La garantie formelle, plus rare et liée à la détention d’un bien, permet au garant de se substituer au garanti, qui peut alors être mis hors de cause. Cette dernière a des effets plus radicaux sur la procédure.

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