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L’astreinte : quelle juridiction peut la prononcer et selon quelle procédure ?

Table des matières

L’astreinte constitue un outil redoutable dans l’arsenal juridique français. Cette mesure de contrainte indirecte vise à inciter un débiteur à exécuter ses obligations sous la menace d’une sanction financière. À la différence des dommages-intérêts, l’astreinte n’a pas de fonction réparatrice mais coercitive.

Qui peut prononcer une astreinte ? Comment est-elle mise en œuvre ? Quels sont ses effets juridiques ? Cet article aborde ces questions essentielles pour comprendre le mécanisme de l’astreinte.

1. Les juridictions compétentes pour prononcer l’astreinte

Une compétence largement partagée

Le principe est clair : « Tout juge peut, même d’office, ordonner une astreinte pour assurer l’exécution de sa décision » (article L. 131-1 du Code des procédures civiles d’exécution). Cette formulation englobante signifie que toute juridiction, qu’elle soit de droit commun ou spécialisée, peut assortir sa décision d’une astreinte.

Le tribunal judiciaire comme le tribunal de commerce ou le conseil des prud’hommes disposent de ce pouvoir. Les juridictions pénales peuvent également prononcer des astreintes pour les aspects civils de leurs décisions.

Le juge des référés : une compétence confirmée

Longtemps débattue, la compétence du juge des référés pour prononcer une astreinte est aujourd’hui pleinement reconnue. L’article 491 du Code de procédure civile la confirme explicitement : « Le juge des référés qui assortit sa décision d’une astreinte peut s’en réserver la liquidation ».

Selon la Cour de cassation (Civ. 2e, 4 mai 1977, n° 74-14.917), le juge des référés peut même prononcer une astreinte définitive, à condition qu’une astreinte provisoire ait été préalablement ordonnée.

Le juge de l’exécution : un rôle spécifique

Le juge de l’exécution occupe une place particulière. Au-delà de son pouvoir général de prononcer une astreinte pour ses propres décisions, l’article L. 131-1, alinéa 2 du Code des procédures civiles d’exécution lui confère une prérogative supplémentaire : « Le juge de l’exécution peut assortir d’une astreinte une décision rendue par un autre juge si les circonstances en font apparaître la nécessité ».

Cette compétence n’est toutefois pas exclusive. La Cour de cassation a jugé que « la compétence conférée au juge de l’exécution pour assortir d’une astreinte une décision rendue par un autre juge ne fait pas obstacle à ce que celui-ci puisse être saisi en vue d’assortir d’une astreinte la décision qu’il a rendue » (Civ. 2e, 18 février 1999, n° 97-13.885).

Pour saisir le juge de l’exécution d’une demande d’astreinte, il faut procéder par assignation et non par requête (Com. 10 sept. 2009, n° 08-16.616).

2. La procédure de prononcé de l’astreinte

Initiative du prononcé : juge ou parties

L’astreinte peut être prononcée à l’initiative du juge ou à la demande d’une partie. L’article L. 131-1 du Code des procédures civiles d’exécution précise que le juge peut ordonner une astreinte « même d’office ».

Cette faculté distingue l’astreinte d’autres mesures d’exécution et souligne son caractère d’ordre public. Comme l’explique le Professeur Perrot, « l’astreinte est une mesure plus administrative que juridictionnelle. Elle est un procédé d’intimidation extérieur au procès, qui se situe au niveau de l’imperium lorsque, déjà, le droit a été dit ».

Si le juge n’est jamais tenu de prononcer une astreinte, il doit motiver son refus lorsqu’une partie l’a expressément demandée. Le rejet d’une demande d’astreinte n’a toutefois pas autorité de chose jugée (Civ. 2e, 4 juin 2009, n° 08-11.129).

Forme et contenu de la décision

La décision prononçant une astreinte doit en préciser la nature (provisoire ou définitive), le montant et les modalités de calcul. Une astreinte non qualifiée est présumée provisoire.

L’astreinte définitive ne peut être ordonnée qu’après le prononcé d’une astreinte provisoire et pour une durée déterminée (article L. 131-2, alinéa 2 du Code des procédures civiles d’exécution). À défaut, elle sera liquidée comme une astreinte provisoire.

Fixation du montant et modalités de calcul

Le juge fixe librement le montant de l’astreinte. Cette liberté découle de l’indépendance de l’astreinte vis-à-vis des dommages-intérêts (article L. 131-2, alinéa 1er du Code des procédures civiles d’exécution).

Dans la pratique, l’astreinte est généralement fixée à un montant par jour de retard, par infraction constatée ou par période déterminée. Le montant doit être proportionné aux facultés financières du débiteur et à l’importance de l’obligation à exécuter.

La Cour de cassation a d’ailleurs précisé que « le juge disposant du pouvoir de prononcer d’office une astreinte, il peut, sans statuer ultra petita, retenir un taux supérieur à celui demandé » (Civ. 3e, 4 avril 2012, n° 10-23.527).

3. Point de départ et effets de l’astreinte

Le début de l’astreinte

L’article R. 131-1 du Code des procédures civiles d’exécution dispose que « l’astreinte prend effet à la date fixée par le juge, laquelle ne peut être antérieure au jour où la décision portant obligation est devenue exécutoire ».

En pratique, l’astreinte commence à courir à compter de la notification de la décision qui l’ordonne, généralement par voie de signification par huissier. Si le juge n’a pas précisé de date, l’astreinte court à partir de cette notification (Civ. 2e, 23 juin 2005, n° 03-16.851).

Impact des voies de recours

L’effet des voies de recours sur l’astreinte dépend du caractère exécutoire de la décision qui l’a prononcée.

Si la décision bénéficie de l’exécution provisoire (ce qui est devenu le principe depuis le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019), l’appel n’affecte pas le cours de l’astreinte. Elle peut donc être liquidée avant l’arrêt de la cour d’appel.

En revanche, si la décision n’est pas exécutoire, l’astreinte ne produit ses effets qu’à partir du jour où la décision de la cour d’appel est notifiée (Civ. 2e, 11 juin 1997, n° 95-13.961).

Cas particulier: l’appel et le pourvoi

La cassation d’un arrêt prononçant une astreinte entraîne « de plein droit, pour perte de fondement juridique, l’anéantissement des décisions prises au titre de la liquidation de l’astreinte » (Com. 6 mai 2003, n° 01-01.118).

Si la cour d’appel confirme un jugement assorti de l’exécution provisoire, l’astreinte jouit de son efficacité à compter du jour fixé par les premiers juges. En revanche, si elle modifie le taux de l’astreinte, la nouvelle astreinte ne court qu’à partir de la notification de l’arrêt (Civ. 2e, 8 juillet 2004, n° 02-20.368).

4. L’astreinte et les titres exécutoires étrangers

L’astreinte sur un jugement étranger

Le juge français peut assortir d’une astreinte un jugement étranger ayant reçu l’exequatur. Cette compétence découle de son pouvoir juridictionnel général.

Comme l’a souligné la Cour de cassation, l’astreinte étant une mesure accessoire à une obligation principale, la compétence pour la prononcer suit celle relative à cette obligation (Civ. 1re, 19 novembre 2002, n° 00-22.334).

Reconnaissance des astreintes étrangères

La reconnaissance en France d’une astreinte prononcée par un juge étranger suppose que celle-ci ait été liquidée dans l’État d’origine.

D’après l’article 55 du règlement Bruxelles I bis, « les décisions étrangères rendues dans un État membre condamnant à une astreinte ne sont exécutoires dans l’État membre requis que si le montant en a été définitivement fixé par la juridiction d’origine ».

Cadre européen applicable

Dans l’espace judiciaire européen, l’exécution des astreintes est régie par plusieurs textes, notamment le règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 (Bruxelles I bis).

La Cour de justice de l’Union européenne a précisé que « le recouvrement d’une astreinte ordonnée par le juge de l’État membre d’origine qui a statué au fond sur le droit de visite aux fins d’assurer l’effectivité de ce droit relève du même régime d’exécution que la décision sur le droit de visite que garantit ladite astreinte » (CJUE 9 septembre 2015, Bohez c/ Wiertz, aff. C-4/14).

En fin de compte, le mécanisme de l’astreinte exige une connaissance précise des règles applicables. Le succès de cette mesure coercitive dépend souvent de la formulation adéquate de la demande et de la stratégie procédurale adoptée. Lorsque des sommes importantes sont en jeu ou quand le dossier présente une complexité particulière – notamment en présence d’éléments transfrontaliers – il peut être judicieux de consulter un avocat spécialisé pour maximiser vos chances de voir l’obligation exécutée.

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Sources

  • Code des procédures civiles d’exécution : articles L. 131-1 à L. 131-4 et R. 131-1 à R. 131-4
  • Code de procédure civile : article 491
  • Cour de cassation, 2e civ., 4 mai 1977, n° 74-14.917
  • Cour de cassation, 2e civ., 18 février 1999, n° 97-13.885
  • Cour de cassation, 2e civ., 11 juin 1997, n° 95-13.961
  • Cour de cassation, 3e civ., 4 avril 2012, n° 10-23.527
  • Cour de cassation, 2e civ., 23 juin 2005, n° 03-16.851
  • Cour de cassation, com., 6 mai 2003, n° 01-01.118
  • Cour de cassation, 2e civ., 8 juillet 2004, n° 02-20.368
  • Cour de cassation, 1re civ., 19 novembre 2002, n° 00-22.334
  • CJUE, 9 septembre 2015, Bohez c/ Wiertz, aff. C-4/14
  • Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 (Bruxelles I bis)
  • Répertoire de procédure civile – Frédéric GUERCHOUN, « Astreinte », novembre 2021

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