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Le cadre juridique de la lutte contre la corruption : normes et institutions

Table des matières

La lutte contre la corruption, autrefois souvent confinée aux frontières nationales et à des questions de morale publique, s’est profondément transformée. Aujourd’hui, elle s’inscrit dans un cadre juridique dense, complexe et résolument international. Comprendre cet arsenal de règles et les institutions qui veillent à leur application est devenu indispensable, non seulement pour les juristes, mais aussi pour tout acteur économique soucieux de sécuriser ses activités et de se conformer à ses obligations. Car les normes ne viennent plus seulement de Paris ; elles émanent aussi de Bruxelles, de Genève ou de New York.

Cet article vous propose d’explorer ce paysage normatif. Nous examinerons d’abord les grandes impulsions venues des organisations internationales et européennes, qui ont largement façonné notre droit actuel. Puis, nous détaillerons le dispositif législatif français, qu’il figure dans le Code pénal ou dans des textes plus spécifiques, y compris fiscaux. Enfin, nous présenterons les principaux acteurs institutionnels, en France et à l’étranger, dont le rôle est essentiel pour animer et rendre effective cette lutte contre la corruption commerciale.

Les fondements internationaux et européens de la lutte anticorruption

La prise de conscience que la corruption ne connaît pas de frontières, notamment dans un contexte de mondialisation des échanges, a conduit à une multiplication des initiatives internationales et européennes depuis la fin du XXe siècle. Ces textes, bien que de nature et de portée diverses, ont tous contribué à ériger un standard mondial de probité dans les affaires.

L’impulsion décisive est sans doute venue de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE). Sa Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, signée en 1997, a marqué un tournant. Fortement encouragée par les États-Unis, elle oblige les pays signataires, dont la France, à considérer comme une infraction pénale le fait de corrompre un fonctionnaire étranger pour obtenir un marché. Elle a imposé des concepts clés : la nécessité de sanctionner la corruption dite « transnationale », l’engagement de la responsabilité pénale des entreprises (personnes morales), et la définition large de l’ »avantage indu » (pas seulement financier). Une de ses innovations majeures réside dans son mécanisme de « suivi par les pairs » : des groupes de travail examinent régulièrement la législation et les pratiques de chaque pays membre, exerçant une pression constante à l’amélioration.

Dans une perspective plus universelle, la Convention des Nations Unies contre la corruption, dite « Convention de Mérida » (2003), a élargi le champ géographique et thématique. Si elle reprend les grands principes de l’incrimination, elle met un accent particulier sur la prévention. Elle incite les États à adopter des procédures transparentes pour les marchés publics, à renforcer la lutte contre le blanchiment d’argent, et à faciliter la coopération internationale pour le recouvrement des avoirs détournés. Lever les obstacles liés au secret bancaire fait aussi partie de ses objectifs. Un mécanisme de suivi de son application effective a également été mis en place.

Au niveau européen, plusieurs textes coexistent. L’Union Européenne s’est dotée dès 1997 d’une convention visant spécifiquement la corruption impliquant des fonctionnaires des Communautés ou des États membres. Plus tard, une décision-cadre de 2003 a joué un rôle important en obligeant les États membres à incriminer pénalement la corruption dans le secteur privé, fixant des standards minimaux de peine et abordant la responsabilité des personnes morales ainsi que les règles de compétence territoriale.

Le Conseil de l’Europe, quant à lui, a été particulièrement actif avec deux conventions majeures signées en 1999. La Convention pénale sur la corruption insiste sur la nécessité d’un engagement politique fort et d’une coopération internationale accrue. C’est elle qui, la première au niveau européen, a traité de manière détaillée la corruption dans le secteur privé, en lien avec l’activité commerciale. Elle a aussi institué le « Groupe d’États contre la corruption » (GRECO), chargé du suivi de l’application des engagements par les pays membres. La Convention civile sur la corruption, très novatrice, oblige les États à prévoir dans leur droit interne des recours efficaces pour les personnes ayant subi un dommage du fait d’un acte de corruption, y compris la possibilité d’obtenir des dommages et intérêts. Elle ancre l’idée que la corruption n’est pas seulement une faute morale ou pénale, mais aussi une source de préjudice économique indemnisable.

Le dispositif législatif français

Le droit français de la corruption est le fruit d’une histoire législative riche, marquée par des adaptations successives aux standards internationaux et aux scandales internes. Il en résulte un ensemble de textes parfois épars, dont la cohérence n’est pas toujours évidente, mais dont la sévérité s’est accrue au fil du temps.

Le Code pénal constitue naturellement le cœur du dispositif répressif. Les infractions de corruption et de trafic d’influence y sont traitées de manière distincte selon les acteurs :

  • Celles commises par des personnes exerçant une fonction publique (corruption et trafic d’influence passifs) sont classées parmi les « manquements au devoir de probité » (articles 432-11 et suivants).
  • Celles commises par des particuliers (corruption et trafic d’influence actifs) figurent dans un chapitre distinct (articles 433-1 et suivants).
  • Un chapitre spécifique (articles 435-1 et suivants) est consacré aux atteintes impliquant des agents de l’Union Européenne, d’États étrangers ou d’organisations internationales publiques, transposant directement les engagements internationaux et européens.
  • Enfin, la corruption privée (active et passive), visant les personnes n’exerçant pas de fonction publique (dirigeants d’entreprise, salariés…), fait l’objet d’articles dédiés (445-1 et suivants), intégrés de manière un peu surprenante dans un titre relatif aux « atteintes à la confiance publique ».

Mais la lutte contre la corruption ne se limite pas au Code pénal. De nombreux textes extérieurs viennent compléter le dispositif, souvent dans une logique préventive ou pour cibler des secteurs spécifiques. On peut citer, à titre d’exemple :

  • Le Code de commerce, qui sanctionne le fait de monnayer son vote dans les assemblées d’actionnaires ou d’obligataires.
  • Le Code de la construction et de l’habitation, qui vise certains agissements des dirigeants d’organismes HLM.
  • Le Code de la Sécurité sociale, qui encadre les relations entre le personnel médical et les fabricants de médicaments.

Un aspect essentiel concerne la fiscalité. Pendant longtemps, une certaine tolérance a prévalu concernant les « commissions » versées pour obtenir des marchés à l’étranger, parfois même déductibles fiscalement après passage au « confessionnal » du ministère des Finances. Sous l’impulsion de l’OCDE, cette pratique a cessé. L’article 39, 2 bis du Code général des impôts dispose désormais clairement que les sommes versées pour corrompre un agent public (français ou étranger) en vue d’obtenir ou conserver un marché international ne sont pas admises en déduction des bénéfices. Si la règle est moralement indiscutable, son application reste un défi, tant l’imagination est fertile pour masquer ces paiements et tant la pression concurrentielle internationale peut être forte.

Enfin, une part importante de l’arsenal législatif français vise la prévention par la transparence. Des lois successives, comme la loi « Sapin 1 » de 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique, ont renforcé les exigences dans des domaines jugés sensibles :

  • Le financement des campagnes électorales et des partis politiques (Code électoral).
  • Les procédures de passation des marchés publics et des délégations de service public (Code de la commande publique).
  • L’urbanisme et l’aménagement commercial, avec par exemple l’obligation pour les membres des commissions départementales d’aménagement commercial de déclarer leurs intérêts (article L. 751-3 du Code de commerce).
  • Plus récemment, la loi « Sapin 2 » de 2016 a instauré des obligations de conformité directement pour les entreprises, marquant une nouvelle étape dans cette approche préventive.

Les acteurs institutionnels de la lutte anticorruption

L’existence de lois, même sévères, ne suffit pas à garantir leur application effective. La lutte contre la corruption repose aussi sur l’action d’institutions dédiées, qui jouent un rôle de surveillance, de conseil, de contrôle ou de plaidoyer.

Au niveau international, nous avons déjà mentionné les mécanismes de suivi de l’OCDE (Groupes de travail) et du Conseil de l’Europe (GRECO). Ces organismes jouent un rôle essentiel d’évaluation par les pairs. Leurs rapports, souvent détaillés, pointent les forces et les faiblesses des dispositifs nationaux et formulent des recommandations qui incitent les États à améliorer leur législation et leurs pratiques. Ils contribuent à maintenir une pression constante pour le respect des standards internationaux.

En France, l’acteur institutionnel clé est aujourd’hui l’Agence Française Anticorruption (AFA). Créée par la loi Sapin II de 2016, elle a une mission centrale de prévention et d’aide à la détection des faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêts, de détournement de fonds publics et de favoritisme. Son action s’adresse tant au secteur public qu’au secteur privé. Elle exerce notamment :  

  • Une mission de conseil : elle élabore des recommandations destinées à aider les entreprises et les administrations à prévenir et détecter la corruption. Ces recommandations, bien que non contraignantes juridiquement, définissent les bonnes pratiques attendues.
  • Une mission de contrôle : l’AFA vérifie, de sa propre initiative ou à la demande d’autorités, la mise en œuvre effective des programmes de conformité anti-corruption que certaines entreprises ont l’obligation d’adopter (en vertu de l’article 17 de la loi Sapin II). Elle peut formuler des observations et des injonctions à l’issue de ses contrôles.

D’autres institutions publiques contribuent également à la lutte, comme la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP) pour les responsables publics, ou encore TRACFIN pour la lutte contre le blanchiment d’argent, qui est souvent lié à la corruption. Les services d’enquête judiciaire et les juridictions spécialisées jouent évidemment un rôle répressif essentiel.

Enfin, il ne faut pas négliger le rôle de la société civile et du secteur privé. Des Organisations Non Gouvernementales (ONG) comme Transparency International sont très actives dans le plaidoyer pour des réformes, la sensibilisation du public et la publication d’indices de perception de la corruption qui ont un fort impact médiatique. Parallèlement, de plus en plus d’entreprises développent leurs propres initiatives en matière d’éthique des affaires, adoptant des chartes ou des codes de conduite. Cette prise de conscience interne, encouragée par les institutions et la pression publique, est un complément indispensable à l’arsenal législatif pour instaurer une véritable culture de l’intégrité.

Naviguer dans ce paysage juridique et institutionnel complexe, comprendre les normes applicables à votre secteur d’activité et les attentes des autorités comme l’AFA demande une vigilance constante et une expertise à jour. Pour évaluer la conformité de vos activités ou définir une stratégie de prévention adaptée à vos risques spécifiques, n’hésitez pas à contacter notre cabinet.

Sources

  • Code pénal : articles 432-11 et s., 433-1 et s., 435-1 et s., 445-1 et s.
  • Code général des impôts : article 39, 2 bis
  • Code de commerce : article L. 751-3
  • Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite « Sapin II »)
  • Convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales (1997)  
  • Convention des Nations Unies contre la corruption (2003)
  • Conventions pénale et civile du Conseil de l’Europe sur la corruption (1999)
  • Décision-cadre 2003/568/JAI du Conseil du 22 juillet 2003 relative à la lutte contre la corruption dans le secteur privé

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