Le ballet incessant des navires dans nos ports ou leur long périple en haute mer reposent souvent sur une opération technique aussi courante que déterminante : le remorquage. Qu’il s’agisse d’aider un géant des mers à accoster en toute sécurité ou de déplacer une structure flottante sur des centaines de milles, le remorquage est une prestation essentielle. Derrière la manœuvre se cache cependant un cadre juridique précis, le contrat de remorquage maritime. Comprendre comment cet accord se forme, sa nature exacte et les engagements qu’il crée pour chaque partie est fondamental pour tout acteur du monde maritime. Cet article se propose de décortiquer ces aspects pour vous éclairer sur vos droits et devoirs. Pour une compréhension plus large des enjeux du remorquage maritime pour les professionnels, explorez notre article dédié.
Qu’est-ce que le contrat de remorquage maritime ?
Avant d’examiner les détails du contrat, il faut bien cerner de quoi il s’agit et le distinguer d’une notion proche mais juridiquement différente : l’assistance.
Définition et types principaux
Le remorquage, dans son essence, est une opération de traction. Un navire pourvu de sa propre force motrice, le remorqueur, fournit la puissance nécessaire pour déplacer un autre bâtiment ou engin flottant, le remorqué. C’est ce lien, matérialisé ou non par une remorque physique, qui est au cœur de l’opération.
On distingue principalement deux grands types de remorquage maritime :
- Le remorquage portuaire : C’est l’aide fournie aux navires, souvent de grande taille, pour leurs manœuvres d’entrée, de sortie ou de déplacement à l’intérieur des limites d’un port. Le navire remorqué est généralement en état de naviguer et conserve ses propres capacités de manœuvre, mais la complexité ou l’exiguïté des lieux nécessite l’intervention d’un ou plusieurs remorqueurs pour assurer la sécurité et la précision des évolutions. Imaginez la difficulté pour un porte-conteneurs de plusieurs centaines de mètres de long de s’insérer dans un bassin portuaire sans l’aide de ces puissants auxiliaires.
- Le remorquage hauturier : Il concerne le déplacement en mer, parfois sur de longues distances. Le remorqué peut être un navire ayant besoin d’être déplacé (sans être nécessairement en détresse), ou plus fréquemment, un engin flottant dépourvu de propulsion autonome : barges, pontons, grues flottantes, plateformes pétrolières, coques de navires en construction, etc. Dans ce cas, le remorqueur assure l’intégralité du déplacement.
La différence fondamentale réside souvent dans l’état et le rôle du remorqué : actif et manœuvrant (même si assisté) dans le premier cas, passif et dépendant dans le second.
Ne pas confondre remorquage et assistance maritime
Une confusion fréquente existe entre le remorquage et l’assistance maritime. Bien que l’opération matérielle (tirer ou pousser un navire) puisse sembler identique, la différence juridique est capitale et tient en un mot : le péril.
L’assistance, au sens juridique, intervient lorsqu’un navire ou un bien est en danger. La loi française, par exemple, intègre la notion de danger dans les critères de fixation de la rémunération de l’assistant (voir l’article L. 5132-4 du code des transports). La jurisprudence est constante : pas de danger, pas d’assistance mais un simple remorquage, même si le navire était en difficulté (avarie mineure, panne sans risque immédiat).
Pourquoi cette distinction est-elle si importante ? Elle a des conséquences majeures :
- Nature du contrat : le remorquage est un contrat commutatif : les prestations et le prix sont convenus à l’avance. L’assistance, elle, est aléatoire : la rémunération de l’assistant dépend du succès de l’opération (« no cure, no pay » en principe) et est fixée après coup en fonction de nombreux facteurs (valeur sauvée, efforts, dangers évités…).
- Régime juridique : les règles applicables, notamment en matière de responsabilité et de rémunération, diffèrent considérablement.
Concrètement, si vous commandez un remorqueur parce que votre navire a une avarie moteur mais qu’il ne court aucun danger immédiat (météo calme, zone sans risque particulier), vous concluez un contrat de remorquage, pas d’assistance. L’entreprise de remorquage vous facturera le prix convenu pour sa prestation, et non une récompense d’assistance.
La formation du contrat de remorquage
Comme tout contrat, celui de remorquage naît d’un accord de volontés. Ses caractéristiques et les modalités de sa conclusion varient cependant.
Les caractéristiques essentielles du contrat
Plusieurs traits définissent le contrat de remorquage maritime :
- Un contrat consensuel : L’accord se forme par le simple échange des consentements, sans qu’un écrit soit obligatoirement nécessaire, surtout en matière portuaire. La simple commande d’un remorqueur et son acceptation suffisent à lier les parties. Le « bon de remorquage » signé après la manœuvre vient souvent confirmer un accord déjà existant.
- Un contrat synallagmatique : Il crée des obligations réciproques : le remorqueur s’engage à fournir une prestation de traction, le remorqué s’engage à en payer le prix.
- Un contrat commercial (ou mixte) : L’entreprise de remorquage agissant toujours à titre professionnel, le contrat est commercial de son côté. Il sera commercial pour les deux parties si le remorqué est aussi un professionnel de la mer (armateur, affréteur d’un navire de commerce). Si le remorqué est un particulier (navire de plaisance) ou une entité dont ce n’est pas l’activité commerciale (engin de travaux publics), le contrat sera mixte. Cette distinction a des incidences, notamment sur la compétence des tribunaux.
- Un contrat d’adhésion (souvent) : En particulier pour le remorquage portuaire, le navire remorqué ne négocie généralement pas les termes du contrat. Il adhère aux conditions générales proposées par l’entreprise de remorquage, souvent standardisées au niveau national (comme les conditions APERMA en France). Attention toutefois, la réforme du droit des contrats (article 1171 du Code civil) permet désormais de réputer non écrite une clause créant un déséquilibre significatif dans un contrat d’adhésion, ce qui pourrait potentiellement affecter certaines clauses types si elles étaient jugées abusives entre professionnels (bien que la jurisprudence maritime ait souvent validé les clauses usuelles).
- Un contrat dominé par la liberté contractuelle : C’est un point fondamental. La Cour de cassation, dans une décision majeure (Cass. ass. plén., 26 mars 1999, navire Dragor Maersk), a affirmé que les dispositions légales relatives au remorquage maritime (issues de la loi de 1969, aujourd’hui dans le code des transports) sont supplétives. Cela signifie qu’elles ne s’appliquent que si les parties n’ont rien prévu d’autre dans leur contrat. Les entreprises de remorquage peuvent donc, et le font largement, définir leurs propres règles, notamment en matière de responsabilité, via leurs conditions générales.
Comment se conclut l’accord ?
Les modalités de formation diffèrent sensiblement :
- En remorquage hauturier : L’opération étant souvent spécifique et coûteuse (déplacement d’une plateforme, d’une barge spéciale…), elle fait l’objet de négociations entre le propriétaire de l’engin et l’entreprise de remorquage. Les conditions (trajet, délais, prix, responsabilités, matériel requis) sont discutées et donnent lieu, le plus souvent, à un contrat écrit détaillé. L’absence d’écrit pourrait rendre difficile la preuve des conditions convenues, notamment si l’entreprise de remorquage invoque ses conditions générales.
- En remorquage portuaire : La situation est beaucoup plus standardisée et rapide. Le capitaine du navire (ou son agent maritime) contacte l’entreprise de remorquage locale pour commander le nombre de remorqueurs souhaité pour l’entrée ou la sortie du port. Souvent, c’est le pilote montant à bord qui confirme ou ajuste ce besoin avec le capitaine. Cette demande suffit à former le contrat, l’entreprise étant considérée comme en offre permanente de service. Les conditions générales de l’entreprise (ex: APERMA) sont alors réputées tacitement acceptées par les navires de commerce qui fréquentent régulièrement le port. La prudence est de mise pour les navires de plaisance ou les usagers occasionnels : la jurisprudence exige parfois que la preuve soit rapportée que ces derniers ont eu effectivement connaissance et ont accepté les clauses spécifiques (notamment celles limitant la responsabilité) avant l’opération. Une simple mention sur une facture remise après coup peut être insuffisante.
Quelle est la nature juridique de ce contrat ?
Qualifier juridiquement le contrat de remorquage n’est pas une mince affaire. La loi ne donne pas de définition précise et les juristes ont débattu : louage de service ? Transport ? Affrètement ? Contrat d’entreprise ? La réponse a des implications pratiques (prescription, privilèges, régime de responsabilité…).
Faute de consensus et de position claire de la Cour de cassation sur une qualification unique, l’analyse tend à distinguer selon le type de remorquage :
- Pour le remorquage portuaire : La qualification de contrat d’entreprise semble la plus adaptée. Le remorqueur s’engage à « faire quelque chose » (une prestation de service : aider à la manœuvre) pour le remorqué, moyennant un prix. La coopération nécessaire entre les deux bords et le fait que le remorqué conserve généralement la direction de la manœuvre éloignent cette opération de la maîtrise totale qui caractérise le transport.
- Pour le remorquage hauturier : La qualification de contrat de transport a été écartée par la jurisprudence, notamment parce que les parties sont souvent des professionnels de force comparable et que l’objet principal est le déplacement d’un « navire » ou engin flottant, pas d’une marchandise au sens strict. La qualification qui semble le mieux correspond est celle d’affrètement au voyage. L’entreprise de remorquage met à disposition un navire armé et équipé (le remorqueur) pour réaliser un voyage déterminé (le déplacement du remorqué), moyennant un prix. Cette analyse explique aussi mieux la place laissée à la liberté contractuelle, caractéristique du régime de l’affrètement.
Les obligations de l’entreprise de remorquage
L’entreprise qui fournit le service de remorquage assume des obligations à la fois envers son client (le navire remorqué) et, dans le contexte portuaire, envers l’autorité publique.
Vis-à-vis du navire remorqué
Les engagements principaux sont :
- Fournir un remorqueur adapté et en bon état : Le navire doit être apte à accomplir la mission demandée (puissance suffisante, équipement fonctionnel). L’entreprise répond de l’état de navigabilité de son remorqueur. La jurisprudence a déjà engagé la responsabilité d’une entreprise dont le remorqueur n’était pas adapté (Com. 6 juin 2000, Navire Provençal 3). Les conditions générales réservent souvent à l’entreprise la possibilité de substituer un remorqueur par un autre équivalent.
- Mettre à disposition un équipage compétent : Le capitaine et les marins du remorqueur doivent posséder les qualifications et l’expérience nécessaires pour exécuter correctement et en sécurité les manœuvres. Une faute de l’équipage peut engager la responsabilité de l’entreprise (sous réserve des clauses de responsabilité, voir article suivant).
- Fournir la remorque : En principe, la fourniture du câble de remorquage incombe à l’entreprise pour les remorquages hauturiers. En remorquage portuaire, ce sont traditionnellement les amarres du navire remorqué qui sont utilisées, mais si l’entreprise fournit sa propre remorque (parfois nécessaire), elle peut facturer ce service en supplément.
Vis-à-vis de l’autorité publique (dans les ports)
L’activité de remorquage portuaire est souvent considérée comme un service public industriel et commercial (SPIC) ou une activité d’intérêt économique général, essentielle à la sécurité et au bon fonctionnement du port. Cela impose des obligations supplémentaires à l’entreprise, souvent précisées dans son agrément ou les règlements portuaires :
- Assurer la mission de service public : L’entreprise doit être en capacité de remplir le service pour lequel elle est agréée.
- Informer : Elle doit communiquer à la capitainerie et aux usagers les conditions d’exploitation (moyens disponibles, horaires, tarifs, modifications…).
- Servir : Elle a une obligation de répondre à toute demande de remorquage, dans la limite de la disponibilité de ses moyens. Cette obligation est forte : la Cour de cassation a jugé qu’une entreprise de remorquage restait responsable des conséquences d’une grève de son personnel vis-à-vis des usagers empêchés de bénéficier du service, sauf à démontrer la force majeure, ce qui est très difficile (Com. 2 févr. 1993). L’entreprise doit donc prendre toutes les mesures possibles pour assurer la continuité du service ou minimiser l’impact d’une interruption.
- Traiter équitablement : Pas de discrimination entre les usagers. L’entreprise doit respecter les priorités de mouvement fixées par la capitainerie.
- Garantir la sécurité : Elle peut être requise par l’autorité portuaire pour assurer des missions de veille, de sécurité, de sauvetage ou de lutte anti-pollution.
Les obligations du navire remorqué
Le principal devoir du navire remorqué est bien sûr de payer le service, mais pas uniquement.
- Payer le prix : Le prix du remorquage est soit fixé par un tarif (souvent homologué en portuaire), soit négocié entre les parties (en hauturier ou pour des opérations spéciales). Des suppléments (attente, conditions difficiles…) peuvent s’appliquer. En l’absence d’indication contraire, c’est le propriétaire du navire remorqué qui est tenu au paiement, même si le navire est affrété et que le contrat d’affrètement mettait ces frais à la charge de l’affréteur (ces clauses internes sont inopposables à l’entreprise de remorquage).
- Garanties de paiement : La créance de l’entreprise de remorquage n’est pas privilégiée par la loi (contrairement à celle du pilote). Peut-elle exercer un droit de rétention sur le navire remorqué tant qu’elle n’est pas payée ? C’est discutable. Si le droit de rétention bénéficie à celui dont la créance résulte du contrat l’obligeant à livrer la chose (article 2286 du Code civil), la question est de savoir si le remorqueur « détient » le navire remorqué. En remorquage portuaire, où le remorqué garde sa manœuvrabilité, la réponse est probablement négative. En hauturier, cela pourrait dépendre de la qualification retenue (si c’était un transport, oui ; si c’est un affrètement, non). En pratique, ce droit est rarement invoqué ou reconnu.
- Assurer la mise en état de son navire : Le navire remorqué doit être prêt à recevoir la remorque et à participer à la manœuvre si nécessaire. Cela peut impliquer d’avoir à bord un équipage suffisant et compétent pour larguer ou récupérer les amarres, et pour exécuter les ordres donnés (notamment en portuaire).
- Indemniser les dommages relevant de sa responsabilité : Si un incident survient et que la responsabilité incombe au navire remorqué (selon les règles légales ou contractuelles – voir article suivant), son armateur devra indemniser les préjudices subis par le remorqueur ou par des tiers.
La complexité du contrat de remorquage maritime et les obligations qui en découlent nécessitent une analyse attentive. Pour sécuriser vos opérations maritimes, notre cabinet se tient à votre disposition pour vous conseiller.
Sources
- Code des transports : notamment les articles L. 5132-4 (assistance), L. 5342-1 et suivants (remorquage maritime). (Il est recommandé de vérifier la version à jour des textes).
- Code civil : notamment l’article 1171 (clauses abusives dans les contrats d’adhésion), article 2286 (droit de rétention).
- Jurisprudence clé :
- Cass. ass. plén., 26 mars 1999, n° 97-17.136 (navire Dragor Maersk) : caractère supplétif des règles légales sur la responsabilité en remorquage.
- Com. 2 févr. 1993, n° 91-11.850 : responsabilité de l’entreprise de remorquage en cas de grève (sauf force majeure).
- Conditions Générales APERMA : document de référence pour les pratiques contractuelles en remorquage portuaire en France.