Cette figure juridique hybride fascine par sa complexité. Le contrat judiciaire vit dans un entredeux troublant : il est à la fois convention et jugement, accord et décision.
Origine et définition du contrat judiciaire
Né de la pratique judiciaire, le contrat judiciaire désigne essentiellement un accord conclu entre parties et constaté par le juge. Cette notion, d’abord formulée par la jurisprudence du XIXe siècle, a évolué vers une acception plus étroite.
Selon le Vocabulaire juridique Cornu, le contrat judiciaire est « un contrat conclu par les parties devant le juge pendant le procès sur une question litigieuse ». Il matérialise la rencontre des volontés sous l’égide du magistrat qui constate cet accord sans trancher le litige.
Historique et évolution du concept
La notion de contrat judiciaire plonge ses racines dans les conceptions romanistes de l’ancien droit. Elle qualifiait initialement la relation unissant les plaideurs au cœur de l’instance.
Au début du XXe siècle, les juristes analysaient encore le procès comme une succession d’actes juridiques soumis à des conditions de validité contractuelle. Le juge semblait « lié par le contrat judiciaire » formé par les parties.
Cette vision contractuelle du lien d’instance a été abandonnée par la doctrine moderne. Comme le souligne Solus et Perrot dans leur Traité de droit judiciaire privé, l’instance n’est pas contractuelle mais procédurale, née de l’interdiction de se faire justice soi-même.
Le contrat judiciaire moderne ne caractérise plus la procédure elle-même, mais un acte précis : l’accord des parties constaté par le juge.
Caractéristiques essentielles du contrat judiciaire
Deux conditions cumulatives fondent le contrat judiciaire :
- Un contrat valablement formé
- L’intervention du juge qui constate ce contrat
Le fondement demeure conventionnel. L’acte judiciaire n’intervient qu’après la formation du contrat, comme réceptacle de l’accord des parties.
Cet accord doit répondre aux exigences classiques de l’article 1128 du Code civil :
- Consentement des parties
- Capacité de contracter
- Contenu licite et certain
La jurisprudence précise que les parties doivent s’être engagées dans les mêmes termes (Civ. 1re, 16 mai 1990, n° 89-13.941). Comme l’a jugé la première chambre civile le 25 juin 2008, « le contrat judiciaire ne se forme qu’autant que les deux parties s’obligent dans les mêmes termes et que leur engagement réciproque est constaté par le juge ».
Place du contrat judiciaire dans l’ordonnancement juridique
Le contrat judiciaire occupe une position singulière qui le distingue de mécanismes voisins :
- Jugement d’expédient : décision rendue après un procès simulé, où l’accord est caché au juge
- Jugement de donné acte : décision constatant un accord sans faire œuvre juridictionnelle
- Homologation : approbation judiciaire qui implique un contrôle de légalité, voire d’opportunité
Cette situation intermédiaire soulève la question des voies de recours. Comme l’explique la jurisprudence constante de la Cour de cassation, le contrat judiciaire n’a pas l’autorité de chose jugée (Civ. 3e, 10 juillet 1991, n° 90-11.847). Il ne peut être attaqué par les voies de recours ordinaires comme l’appel, mais uniquement par une action en nullité principale.
La dualité conventionnelle et judiciaire du contrat
Cette nature hybride confère au contrat judiciaire une double autorité :
- L’autorité de la chose convenue (article 1103 du Code civil) qui lie les parties
- L’authenticité judiciaire conférée par l’intervention du magistrat
Cette dualité explique pourquoi la Cour de cassation rappelle régulièrement que « les dispositions du jugement se bornant à donner acte sont dépourvues de toute valeur juridique indépendamment de l’accord préalable des parties » (Civ. 1re, 25 juin 2008, n° 07-10.511).
Le juge ne fait pas œuvre juridictionnelle. Son rôle se limite à constater l’accord des parties sans exercer de véritable contrôle d’opportunité. Cette particularité a été clairement exprimée par la 2e chambre civile le 26 mai 2011 (n° 06-19.527) : le contrôle du juge « ne peut porter que sur la nature de la convention qui lui est soumise et sur sa conformité à l’ordre public et aux bonnes mœurs ».
La dimension judiciaire apporte néanmoins un avantage considérable : elle confère force exécutoire à l’accord, permettant d’en poursuivre l’exécution forcée sans nouvelle procédure.
Le choix du contrat judiciaire révèle souvent une stratégie processuelle délibérée. Pour les parties, l’enjeu est d’obtenir un titre exécutoire sans s’exposer à l’aléa d’une décision de justice.
Dans une affaire récente (Com. 5 janvier 2016, n° 14-11.126), les juges ont rappelé que le contrat judiciaire reste essentiellement soumis au droit commun des contrats.
Un conseil avisé peut s’avérer déterminant pour naviguer entre ces deux dimensions. Le cabinet reste à votre disposition pour analyser votre situation et vous orienter vers la solution procédurale la plus adaptée à vos intérêts.
Sources
- Gaëlle DEHARO, « Contrat judiciaire », Répertoire de procédure civile, Dalloz, septembre 2017
- Cour de cassation, 1re civ., 25 juin 2008, n° 07-10.511, Bull. civ. I, n° 179
- Cour de cassation, 3e civ., 10 juillet 1991, n° 90-11.847, Bull. civ. III, n° 208
- Cour de cassation, 2e civ., 26 mai 2011, n° 06-19.527
- Code civil, articles 1103 et 1128
- Henri SOLUS et Roger PERROT, Traité de droit judiciaire privé, t. 3, Procédure de première instance, 1991, Sirey
- Gérard CORNU (dir.), Vocabulaire juridique, 11e éd., 2016, PUF