Gagner un procès n’est que la moitié du chemin. Sans exécution effective de la décision obtenue, la victoire reste symbolique. Le droit à l’exécution représente le pont entre une décision favorable et sa concrétisation dans la réalité.
Un droit fondamental consacré par la CEDH
Le droit à l’exécution a connu une évolution majeure avec l’arrêt Hornsby rendu par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) le 19 mars 1997. Cette décision fondatrice a élevé l’exécution des jugements au rang de droit fondamental.
« Le droit à un tribunal serait illusoire si l’ordre juridique interne d’un État contractant permettait qu’une décision judiciaire définitive et obligatoire reste inopérante au détriment d’une partie » précise la Cour dans cette décision.
La CEDH a intégré ce droit dans l’article 6§1 de la Convention européenne, qui garantit le droit à un procès équitable. L’exécution devient ainsi partie intégrante du procès.
En France, ce droit a été renforcé par le Conseil constitutionnel qui, dans sa décision du 6 mars 2015, a expressément reconnu « le droit d’obtenir l’exécution des décisions juridictionnelles » comme composante du droit au recours juridictionnel effectif.
Qui bénéficie du droit à l’exécution et pour quels actes ?
Ce droit s’applique à une gamme étendue de décisions et d’actes.
D’abord, les jugements rendus par les juridictions administratives et judiciaires. Mais pas seulement ceux qui statuent sur des demandes pécuniaires. Les injonctions, interdictions, et autres obligations de faire ou de ne pas faire entrent également dans ce périmètre.
Les actes notariés revêtus de la formule exécutoire bénéficient aussi de cette protection. La CEDH l’a confirmé dans l’arrêt Estima Jorge c/ Portugal du 21 avril 1998.
Pour être exécutoires, ces actes doivent néanmoins remplir certaines conditions :
- Être définitifs et obligatoires
- Avoir été correctement notifiés
- Constater une créance certaine, liquide et exigible
Une créance prescrite, conditionnelle ou indéterminée ne peut justifier des mesures d’exécution forcée.
Les limites du droit à l’exécution
Ce droit, bien que fondamental, n’est pas absolu. Plusieurs obstacles peuvent légitimement en limiter la portée.
Les délais de grâce
Le juge peut accorder des délais de paiement au débiteur en difficulté. L’article 1343-5 du Code civil autorise le report ou l’échelonnement du paiement sur une durée maximale de deux ans. Ces mesures suspendent temporairement les procédures d’exécution.
Les immunités d’exécution
Certaines personnes ou entités bénéficient d’une immunité qui fait obstacle à l’exécution forcée :
- Les personnes publiques françaises : l’article L. 2311-1 du Code général de la propriété des personnes publiques consacre l’insaisissabilité de leurs biens.
- Les États étrangers : selon l’article L. 111-1-2 du Code des procédures civiles d’exécution, leurs biens ne sont saisissables que dans des conditions restrictives.
- Les missions diplomatiques : l’article L. 111-1-3 du même code prévoit une protection renforcée de leurs biens.
Le cabinet d’avocats Perrinaud a récemment obtenu la mainlevée d’une saisie pratiquée sur les comptes bancaires d’une ambassade, illustration parfaite de la rigueur de ces immunités.
Les procédures collectives
L’ouverture d’une procédure collective (sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire) crée un obstacle à l’exécution. L’article L. 622-21 du Code de commerce interdit toute voie d’exécution de la part des créanciers antérieurs.
Le même principe s’applique en matière de surendettement des particuliers. La recevabilité du dossier par la commission de surendettement suspend les procédures d’exécution (article L. 722-2 du Code de la consommation).
Quels recours en cas de non-exécution ?
Le créancier muni d’un titre exécutoire dispose de plusieurs leviers lorsque l’exécution se heurte à des difficultés.
L’astreinte constitue un moyen de pression efficace. Le juge peut condamner le débiteur récalcitrant à payer une somme d’argent par jour, semaine ou mois de retard.
Le référé-liberté devant le juge administratif offre une voie express en cas de refus du concours de la force publique (article L. 521-2 du Code de justice administrative).
L’action en responsabilité contre l’État peut être engagée lorsque celui-ci refuse d’apporter son concours à l’exécution d’une décision de justice. Cette responsabilité est fondée sur l’article L. 153-1 du Code des procédures civiles d’exécution.
Le cas particulier du refus de concours de la force publique
L’État est tenu de prêter son concours à l’exécution des décisions de justice. Ce principe, posé par le célèbre arrêt Couitéas du Conseil d’État (30 novembre 1923), est désormais inscrit à l’article L. 153-1 du Code des procédures civiles d’exécution.
Le préfet peut néanmoins refuser ce concours en cas de risque grave pour l’ordre public. Dans ce cas, sa responsabilité peut être engagée selon deux régimes distincts :
- Pour faute lourde lorsque le refus est illégal
- Pour rupture de l’égalité devant les charges publiques lorsque le refus est légal
L’affaire Matheus contre France (CEDH, 31 mars 2005) a condamné la France pour avoir refusé durant seize ans d’accorder le concours de la force publique pour une expulsion. Cette décision rappelle que l’indemnisation ne remplace pas l’exécution en nature.
Obtenir l’exécution effective d’une décision de justice ou d’un acte exécutoire nécessite une stratégie juridique adaptée. Une analyse approfondie des fondements juridiques et des obstacles potentiels permet d’optimiser les chances de succès.
Le cabinet d’avocats Perrinaud accompagne ses clients dans toutes les étapes de l’exécution, depuis l’analyse du titre exécutoire jusqu’à la mise en œuvre des voies d’exécution adaptées. Notre équipe spécialisée en droit de l’exécution vous propose un premier rendez-vous d’évaluation pour examiner vos options.
Sources
- CEDH, 19 mars 1997, Hornsby c/ Grèce, req. n° 18357/91
- CEDH, 21 avril 1998, Estima Jorge c/ Portugal, req. n° 16/1997/800/1003
- Conseil constitutionnel, 6 mars 2015, n° 2015-455 QPC
- CE, 30 novembre 1923, Couitéas, Lebon 789
- CEDH, 31 mars 2005, Matheus c/ France, req. n° 62740/00
- Article L. 111-1 et suivants du Code des procédures civiles d’exécution
- Article 1343-5 du Code civil
- Article L. 622-21 du Code de commerce
- Article L. 722-2 du Code de la consommation
- CHOLET Didier, « Exécution des jugements et des actes », Répertoire de procédure civile, avril 2022