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Le droit de gage général constitue la pierre angulaire du système juridique protégeant les créanciers. Ce mécanisme, parfois méconnu, assure l’équilibre entre la sécurité des transactions et les droits des débiteurs. Son application pratique soulève de nombreuses questions qui méritent analyse.
Le cadre juridique du droit de gage général
Le droit de gage général, bien que fondamental, n’est qu’un aspect des sûretés en droit français. Il est encadré par deux articles fondamentaux du Code civil, piliers essentiels du droit des obligations :
- L’article 2284 du Code civil dispose que : « Quiconque s’est obligé personnellement est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir.«
- L’article 2285 du Code civil précise que : « Les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers et le prix s’en distribue entre eux par contribution, à moins qu’il n’y ait entre les créanciers des causes légitimes de préférence.«
Ce droit naît automatiquement, sans formalité particulière, par le simple fait de l’obligation contractée. Il existe même à l’insu du débiteur dans certains cas comme la gestion d’affaires (Fasc. 1680 : SÛRETÉS. – Règles communes, §8).
L’étendue du droit de gage général
Le droit de gage général s’étend à l’ensemble du patrimoine du débiteur. Il englobe :
- Tous les biens meubles (voitures, comptes bancaires, etc.)
- Tous les biens immeubles (maisons, terrains, etc.)
- Les biens corporels et incorporels (brevets, droits d’auteur, etc.)
- Les biens présents au moment de la naissance de l’obligation
- Les biens futurs qui entreront ultérieurement dans le patrimoine du débiteur
Cette caractéristique distinctive le sépare des sûretés conventionnelles qui ne portent généralement que sur un bien spécifique.
Les limites du droit de gage général
Malgré son étendue apparemment illimitée, le droit de gage général comporte plusieurs restrictions importantes.
Les insaisissabilités légales
Certains biens échappent au droit de gage général par disposition expresse de la loi. L’article L. 112-2 du Code des procédures civiles d’exécution établit une liste de biens insaisissables, notamment :
- Les vêtements
- Les denrées alimentaires
- Les appareils nécessaires au chauffage
- Les instruments de travail nécessaires à l’exercice personnel de l’activité professionnelle
Cette protection s’étend également à certaines sommes d’argent comme une partie des rémunérations du travail (article L. 3252-2 du Code du travail) ou des droits d’auteurs (article L. 333-2 du Code de la propriété intellectuelle).
Un cas particulier concerne l’entrepreneur individuel. L’article L. 526-1 du Code de commerce prévoit que « les droits d’une personne physique immatriculée au registre national des entreprises sur l’immeuble où est fixée sa résidence principale sont de droit insaisissables par les créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité professionnelle de la personne« . Cette protection automatique de la résidence principale constitue un bouclier efficace contre les créanciers professionnels.
Les conventions d’insaisissabilité
Le droit de gage général peut également être limité par convention. La jurisprudence a validé cette possibilité dans un arrêt important (Cass. 1re civ., 15 févr. 1972, n° 70-12.756). Un créancier peut donc accepter contractuellement de ne pas poursuivre certains biens du débiteur.
Pour les entrepreneurs individuels, l’article L. 526-1 alinéa 2 du Code de commerce permet d’étendre l’insaisissabilité à d’autres biens fonciers par une déclaration notariée publiée au fichier immobilier (Fasc. 1680, §16).
Les outils du créancier chirographaire
Le créancier ordinaire (dit « chirographaire ») n’est pas totalement démuni. Trois actions principales lui permettent de préserver l’efficacité de son droit de gage général.
L’action oblique
Prévue à l’article 1341-1 du Code civil, l’action oblique permet au créancier d’exercer les droits et actions que son débiteur néglige d’utiliser. Le créancier agit alors au nom du débiteur pour faire entrer des valeurs dans son patrimoine.
Exemple : si un débiteur ne réclame pas une somme qui lui est due par un tiers, son créancier peut agir à sa place pour obtenir ce paiement.
L’action paulienne
L’article 1341-2 du Code civil autorise le créancier à attaquer les actes faits par son débiteur en fraude de ses droits. Cette action permet d’annuler un acte d’appauvrissement réalisé en fraude des droits du créancier.
Exemple : un débiteur qui vend un bien à un prix dérisoire à un proche pour le soustraire à la poursuite de ses créanciers pourra voir cette vente annulée par le juge.
L’action en déclaration de simulation
Fondée sur l’article 1201 du Code civil, cette action permet au créancier de démontrer qu’un acte apparent dissimule une réalité juridique différente. Le créancier peut ainsi faire réintégrer dans le patrimoine du débiteur des biens qui n’en sont sortis que fictivement.
Exemple : un débiteur qui simule la vente d’un bien immobilier alors qu’il en reste le véritable propriétaire peut voir cette simulation dévoilée par un créancier vigilant.
La loi du concours entre créanciers chirographaires
En l’absence de sûretés spécifiques, tous les créanciers chirographaires sont soumis à la loi du concours. L’article 2285 du Code civil pose le principe d’égalité entre ces créanciers. En cas d’insuffisance d’actif, les créanciers chirographaires sont payés au prorata de leurs créances respectives, sans considération de l’antériorité de leurs droits.
Ce principe connaît cependant des exceptions. Certains mécanismes juridiques permettent à un créancier chirographaire d’échapper partiellement à cette règle, comme la compensation légale prévue à l’article 1347 du Code civil. Cette dernière éteint automatiquement deux dettes réciproques à concurrence de la plus faible, assurant au créancier un paiement prioritaire. Il est par ailleurs essentiel de comprendre comment les sûretés spécifiques permettent d’obtenir un rang préférentiel, modifiant ainsi la hiérarchie entre créanciers.
Un arrêt récent de la Cour de cassation (Cass. com., 13 déc. 2023, n° 22-19.749) apporte une précision importante : un créancier auquel l’insaisissabilité de la résidence principale est inopposable peut, même après clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif, poursuivre son droit sur l’immeuble. Cette décision renforce l’importance de bien qualifier les dettes et comprendre leur origine.
Le droit de gage général reste profondément technique. Ses nuances et ses exceptions justifient souvent l’intervention d’un conseil juridique pour optimiser sa gestion, tant du côté des créanciers que des débiteurs, notamment pour comprendre et mettre en place des sûretés mobilières spécifiques offrant une protection supérieure.
Sources
- Code civil, articles 2284, 2285, 1201, 1341-1, 1341-2, 1347
- Code de commerce, article L. 526-1 et suivants
- Code des procédures civiles d’exécution, article L. 112-2
- Code du travail, article L. 3252-2
- Code de la propriété intellectuelle, article L. 333-2
- Cass. 1re civ., 15 févr. 1972, n° 70-12.756
- Cass. com., 13 déc. 2023, n° 22-19.749
- Fasc. 1680 : SÛRETÉS. – Règles communes, JurisClasseur Roulois
- Fasc. 752 : SÛRETÉS SUR LES MEUBLES. – Présentation générale et classement, JurisClasseur Droit bancaire et financier
- Art. 2329 – Fasc. unique : SÛRETÉS SUR LES MEUBLES. – Présentation générale et classement, JurisClasseur Civil Code
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