Le droit de rétention constitue un mécanisme efficace mais souvent négligé en droit des sûretés. Bien qu’il soit largement reconnu pour les biens mobiliers, son application aux immeubles reste plus délicate, soulevant des questions sur les droits et obligations du propriétaire d’un bien grevé d’une sûreté immobilière.
Une nature juridique controversée
Le droit de rétention correspond à la faculté pour un créancier de conserver un bien jusqu’au paiement complet de sa créance. Sa qualification juridique a longtemps fait débat.
La Cour de cassation refuse de qualifier le droit de rétention de sûreté réelle. Dans un arrêt du 20 mai 1997, elle a affirmé que « le droit de rétention n’est pas une sûreté et n’est pas assimilable au gage ». Pourtant, elle lui reconnaît la nature d’un droit réel, opposable à tous.
Cette position paradoxale intrigue la doctrine. Le droit de rétention ne confère ni droit de suite ni droit de préférence, attributs classiques des droits réels. Néanmoins, pour bien saisir sa particularité au sein de la hiérarchie des sûretés immobilières, son efficacité pratique le rapproche d’une véritable sûreté.
Application aux immeubles : un parcours sinueux
Avant 2006, l’application du droit de rétention aux immeubles était très contestée. La jurisprudence l’excluait généralement, notamment lors des procédures collectives. L’absence de publicité rendait son opposabilité problématique.
La situation a changé. Dans un arrêt du 6 octobre 2009, la Cour de cassation a admis l’exercice d’un droit de rétention immobilier, précisant même qu’il « s’étend aux fruits » de l’immeuble.
Plusieurs cas d’application du droit de rétention immobilier sont reconnus :
- Le gage immobilier (ancienne antichrèse)
- L’expropriation pour utilité publique
- La construction sur le terrain d’autrui
Une efficacité redoutable
Ce qui fait la force du droit de rétention, c’est sa position hors concours. L’article L.643-8 du Code de commerce le place expressément « hors classement » dans les procédures collectives, aux côtés de la propriété-sûreté.
Cette situation privilégiée confère au rétenteur un pouvoir de blocage considérable. Les autres créanciers, même munis de sûretés de premier rang, ne peuvent récupérer le bien sans désintéresser le rétenteur.
Le droit de rétention constitue ainsi une arme de négociation puissante. Un créancier détenant l’immeuble peut paralyser sa vente forcée et obliger les autres créanciers à composer avec lui.
Un statut particulier en procédure collective
Dans le contexte d’une procédure collective, le droit de rétention conserve son efficacité. L’ordonnance du 15 septembre 2021 a confirmé cette situation en maintenant son caractère opposable à la procédure collective.
Cette règle déroge au principe d’égalité des créanciers. Le rétenteur n’a pas à subir les délais ou remises du plan de sauvegarde, ni à participer au concours avec les autres créanciers.
Ce statut privilégié explique pourquoi certains créanciers cherchent à se ménager un droit de rétention. Il offre une protection bien supérieure aux garanties classiques comme l’hypothèque.
Le droit de rétention en matière immobilière reste toutefois d’application limitée. La dépossession d’un immeuble s’avère souvent peu pratique. Il demeure néanmoins un outil juridique à ne pas négliger dans la panoplie des garanties immobilières.
Sources
- Code civil, article 2286
- Code de commerce, article L.643-8
- Cass. com., 20 mai 1997, n° 95-11.915
- Cass. com., 6 oct. 2009, n° 08-19.548
- Ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 relative aux procédures collectives