Le nantissement de titres financiers est une garantie essentielle pour de nombreuses opérations de financement. Traditionnellement inscrit sur un compte-titres, il connaît une évolution majeure avec l’émergence de la technologie blockchain. Cette innovation, reconnue en droit français sous le nom de dispositif d’enregistrement électronique partagé (DEEP), ouvre de nouvelles perspectives pour les entreprises et les investisseurs. Comprendre ce mécanisme est devenu indispensable pour quiconque souhaite utiliser des actifs financiers modernes comme garantie. Cet article décrypte le fonctionnement et les enjeux du nantissement de titres sur DEEP, en complément de notre guide complet sur le nantissement de compte-titres.
Comprendre le dispositif d’enregistrement électronique partagé (deep)
Le DEEP est l’acronyme officiel pour désigner un registre basé sur la technologie blockchain et appliqué à la représentation et à la transmission de titres financiers. Il s’agit d’un changement de paradigme par rapport au traditionnel compte-titres géré par un intermédiaire centralisé. Le DEEP repose sur un registre distribué, partagé et synchronisé entre plusieurs participants d’un réseau, ce qui lui confère des caractéristiques techniques et juridiques particulières.
Qu’est-ce qu’un registre distribué ou blockchain ?
Pour simplifier, un registre distribué, ou blockchain, est un grand livre de comptes numérique. Contrairement à un registre classique conservé en un seul endroit par une seule entité (comme une banque), la blockchain est dupliquée et répartie sur un réseau d’ordinateurs. Chaque nouvelle opération, ou « bloc », est ajoutée à la chaîne après avoir été validée par les participants du réseau. Cette structure présente deux avantages fondamentaux. Premièrement, l’immuabilité : une fois qu’une information est inscrite dans la chaîne, elle ne peut plus être modifiée ou supprimée. Cela garantit l’intégrité et l’historique des transactions. Deuxièmement, la décentralisation : l’absence d’une autorité centrale unique pour valider les opérations renforce la résilience et la transparence du système.
L’ordonnance de 2017 : une reconnaissance légale
Conscient du potentiel de cette technologie, le législateur français a agi pour lui donner un cadre juridique. L’ordonnance n° 2017-1674 du 8 décembre 2017 a officiellement intégré le DEEP dans le droit français des titres financiers. Ce texte a établi qu’une inscription de titres dans un DEEP « tient lieu d’inscription en compte ». Cette reconnaissance est fondamentale. Elle confère à la représentation « blockchain » la même valeur juridique que l’inscription comptable classique. Cette réforme a permis d’étendre le régime éprouvé du nantissement de compte-titres à ces nouveaux actifs dématérialisés, offrant ainsi une sécurité juridique aux créanciers et aux constituants de garanties.
L’assiette du nantissement : titres inscrits en compte ou en deep
L’assiette du nantissement, c’est-à-dire l’ensemble des biens affectés à la garantie de la dette, peut désormais être constituée de titres financiers inscrits soit de manière classique en compte, soit dans un DEEP. Le droit français a veillé à ce que l’intégration de cette nouvelle technologie se fasse en harmonie avec le régime existant, en posant un principe d’équivalence tout en précisant le champ d’application.
L’assimilation juridique de l’identification deep au compte nanti
La clé de voûte du système est l’assimilation. L’article L. 211-20 du Code monétaire et financier précise que l’identification des titres nantis par un « procédé informatique » (le DEEP) est « réputée constituer le compte nanti ». Concrètement, cela signifie que toutes les règles qui s’appliquent à un nantissement sur un compte-titres spécial s’appliquent de manière similaire à un nantissement sur des titres identifiés dans une blockchain. Le marquage informatique des titres au sein du DEEP remplace l’inscription sur un sous-compte dédié. Cette équivalence juridique permet d’appliquer un corps de règles connu et éprouvé à une technologie innovante, limitant ainsi l’incertitude pour les acteurs économiques.
Les titres financiers éligibles au deep
L’utilisation du DEEP n’est pas ouverte à tous les types de titres financiers. Actuellement, elle est principalement réservée aux titres qui ne sont pas admis aux opérations d’un dépositaire central. Cela concerne essentiellement les titres de sociétés non cotées (actions, obligations) et certaines parts d’organismes de placement collectif. Le choix d’inscrire des titres dans un DEEP appartient à l’émetteur. Cette option est particulièrement intéressante pour les PME, les start-ups ou les fonds d’investissement qui cherchent des moyens plus fluides et sécurisés pour gérer leur capital et faciliter son utilisation dans des opérations de financement.
Spécificités de la constitution du nantissement sur titres deep
Si le régime est calqué sur celui du nantissement de compte-titres, la nature technologique du DEEP impose quelques adaptations dans les formalités de constitution. Ces ajustements visent à garantir la même sécurité et la même opposabilité aux tiers que pour un nantissement classique. Les formalités de constitution du nantissement doivent donc être scrupuleusement respectées.
La déclaration de nantissement adaptée
La constitution du nantissement repose toujours sur un acte formel : la déclaration de nantissement. Signée par le constituant (le propriétaire des titres), elle doit comporter des mentions obligatoires. Pour un nantissement sur DEEP, l’article D. 211-10 du Code monétaire et financier exige que la déclaration soit intitulée « Déclaration de nantissement de titres financiers inscrits dans un dispositif d’enregistrement électronique partagé ». Elle doit également mentionner les éléments permettant d’identifier sans équivoque les titres nantis au sein du dispositif. Cette précision est essentielle pour que le nantissement soit valablement constitué et opposable à tous.
Le rôle du gestionnaire du procédé informatique d’identification
Dans un nantissement classique, le « teneur de compte » est l’intermédiaire qui gère le compte-titres et assure l’inscription et l’isolement des titres nantis. Dans l’univers du DEEP, cette fonction est assurée par le « gestionnaire du procédé informatique d’identification ». Il peut s’agir de l’émetteur lui-même ou d’un mandataire désigné. Son rôle est primordial. C’est lui qui exécute techniquement l’identification des titres nantis dans le registre distribué, s’assurant qu’ils sont bien « marqués » comme étant affectés à la garantie. Il devient l’interlocuteur du créancier pour l’exécution des instructions, de la même manière qu’un teneur de compte traditionnel.
Fonctionnement et réalisation du nantissement sur deep
Une fois le nantissement constitué, sa vie et sa réalisation suivent des principes largement similaires à ceux du régime général. La loi a en effet transposé les mécanismes qui font l’efficacité du nantissement de compte-titres à l’environnement DEEP, tout en laissant la place à des adaptations contractuelles. Il est donc crucial de bien comprendre les modalités de réalisation des nantissements pour anticiper les étapes en cas de défaillance du débiteur.
Application des règles de l’universalité non figée
Le nantissement de compte-titres est conçu comme une garantie portant sur une « universalité non figée ». Qu’est-ce que cela signifie ? L’assiette de la garantie n’est pas figée aux seuls titres initialement nantis. Elle évolue. Par le jeu de la subrogation réelle, si des titres sont vendus, le produit de la vente vient automatiquement alimenter la garantie. De même, les fruits (dividendes, intérêts) et les nouveaux titres qui viendraient compléter ou remplacer les anciens sont inclus dans le nantissement. Ce principe s’applique à l’identique aux titres inscrits en DEEP. L’ensemble des actifs identifiés informatiquement constitue un périmètre dynamique qui évolue au gré des opérations de gestion, tout en restant affecté à la garantie du créancier.
Modalités de réalisation calquées sur le régime général
En cas de non-paiement de la dette garantie, le créancier peut procéder à la réalisation du nantissement. Les modalités sont directement transposées du régime général. Le créancier peut, après une mise en demeure, faire vendre les titres ou, dans certains cas, se les attribuer en pleine propriété. La technologie DEEP n’altère pas ce droit fondamental. Les mécanismes d’attribution en propriété, notamment via un pacte commissoire convenu entre les parties, restent tout à fait pertinents. La convention de nantissement peut d’ailleurs prévoir des modalités spécifiques pour la valorisation et l’appropriation des titres, en tenant compte des spécificités techniques du registre utilisé.
Avantages et défis du nantissement via deep
L’adoption de la technologie blockchain pour les sûretés sur titres financiers représente une avancée notable, mais elle n’est pas exempte de questions et de défis. Il est important pour les entreprises et les créanciers d’en mesurer à la fois les bénéfices et les points de vigilance.
Gains d’efficacité et de transparence
Les avantages potentiels du DEEP sont significatifs. La technologie blockchain peut permettre une gestion plus rapide et moins coûteuse des titres et des sûretés associées. La décentralisation et l’automatisation via des « smart contracts » peuvent réduire les délais de transaction et les frais d’intermédiation. La transparence est un autre atout majeur : le caractère partagé et immuable du registre permet à toutes les parties autorisées (créancier, constituant, gestionnaire) d’avoir une vision claire et en temps réel de l’état des titres nantis. Cela renforce la confiance et la sécurité des opérations.
Les questions en suspens
Malgré un cadre légal clair en France, l’utilisation du DEEP soulève encore des défis. Sur le plan technique, l’interopérabilité entre différentes blockchains reste un enjeu. Comment s’assurer que des titres inscrits sur un DEEP puissent être facilement échangés ou nantis dans un autre écosystème ? Sur le plan juridique, des questions peuvent se poser dans un contexte international, où la reconnaissance légale de ces dispositifs n’est pas uniforme. La responsabilité du « gestionnaire du procédé informatique » en cas de défaillance technique ou de cyberattaque est également un point qui nécessite une contractualisation précise et robuste. Enfin, la complexité perçue de la technologie peut constituer un frein à son adoption par des acteurs moins avertis.
Le nantissement de titres sur un dispositif d’enregistrement électronique partagé est une réalité juridique et une opportunité pour moderniser les garanties financières. Bien que le cadre légal soit solide, sa mise en œuvre pratique requiert une expertise à la croisée du droit des sûretés et des nouvelles technologies. Pour sécuriser vos opérations de financement et bénéficier d’un conseil juridique pour les sûretés innovantes et garanties financières, l’accompagnement par un avocat est indispensable.
Sources
- Code monétaire et financier (notamment articles L. 211-3, L. 211-20, D. 211-10)
- Code civil (notamment articles sur le nantissement et le pacte commissoire)
- Ordonnance n° 2017-1674 du 8 décembre 2017 relative à l’utilisation d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé pour la représentation et la transmission de titres financiers
- Décret n° 2018-1226 du 24 décembre 2018 relatif à l’utilisation d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé pour la représentation et la transmission de titres financiers