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Le protêt en droit commercial : guide complet pour comprendre cet acte essentiel

Table des matières

Le monde des affaires repose sur la confiance, mais aussi sur des mécanismes juridiques précis pour encadrer les transactions et pallier les éventuels incidents. Parmi ces outils, le « protêt » est un terme qui peut évoquer des procédures anciennes. Pourtant, cet acte conserve une importance certaine dans la gestion des effets de commerce et des chèques impayés. Un protêt mal géré, ou l’absence de protêt quand il est nécessaire, peut avoir des conséquences non négligeables sur les droits d’une entreprise créancière et même sur la réputation du débiteur.

Mais qu’est-ce qu’un protêt exactement ? Dans les faits, il s’agit d’une constatation officielle, réalisée par un professionnel du droit, d’un défaut de paiement ou d’un refus d’acceptation concernant certains instruments financiers comme la lettre de change ou le billet à ordre, et même le chèque dans certaines circonstances. Loin d’être une simple formalité administrative, le protêt est souvent la clé pour préserver ses possibilités de recours en cas d’impayé. Cet article a pour but de démystifier le protêt : nous verrons ensemble sa définition précise, son utilité concrète, les différentes situations où il intervient, la procédure à suivre pour le faire établir, et enfin, les conséquences parfois sous-estimées de sa publicité.

Qu’est-ce qu’un protêt et pourquoi est-il important ?

Juridiquement, le protêt est défini comme un acte authentique. Cela signifie qu’il est dressé par un officier public ayant reçu délégation de l’État pour conférer une force particulière à ses constatations. En pratique, il s’agit le plus souvent d’un commissaire de justice (profession qui a succédé à celle d’huissier de justice depuis le 1er juillet 2022), ou plus rarement d’un notaire. Sa mission ? Constater officiellement un incident survenu dans la vie d’un effet de commerce – typiquement une lettre de change ou un billet à ordre – ou d’un chèque. Cet incident peut être soit un refus de paiement à la date prévue, soit, spécifiquement pour la lettre de change, un refus d’acceptation par la personne désignée pour payer (le tiré). Les articles L. 511-39 et suivants du Code de commerce pour les effets de commerce, et L. 131-49 et suivants du Code monétaire et financier pour le chèque, encadrent cette procédure.

L’utilité première du protêt, et sans doute la plus fondamentale pour une entreprise créancière, réside dans la conservation des recours dits « cambiaires ». Qu’entend-on par là ? Lorsqu’un effet de commerce circule (par exemple, par endossement successif), chaque signataire (le tireur initial, les endosseurs…) devient en principe garant du paiement final. Si le débiteur principal ne paie pas, le porteur de l’effet peut normalement se retourner contre ces garants pour obtenir son dû. C’est ce qu’on appelle les recours cambiaires. Or, la loi conditionne très souvent l’exercice de ces recours à l’établissement d’un protêt dans des délais stricts. Omettre de faire dresser protêt, c’est prendre le risque majeur de perdre définitivement la possibilité de réclamer paiement aux signataires précédents, qui sont pourtant des sources potentielles de recouvrement. L’article L. 511-54 du Code de commerce est d’ailleurs très clair : « nul acte de la part du porteur de la lettre de change ne pouvant suppléer l’acte de protêt », sauf exceptions prévues.

Au-delà de cette fonction essentielle de préservation des droits, le protêt faute de paiement revêt aussi une dimension informative, voire un signal d’alerte pour les partenaires commerciaux. Historiquement et encore aujourd’hui, la multiplication des protêts à l’encontre d’une entreprise est souvent considérée par les tribunaux comme un indice sérieux de son état de cessation des paiements, situation qui peut conduire à l’ouverture d’une procédure collective (redressement ou liquidation judiciaire). L’inscription d’un protêt sur les registres publics (nous y reviendrons) peut donc ternir la réputation financière d’un débiteur et inciter ses partenaires à la prudence. La consultation de ces informations fait partie des diligences normales dans le monde des affaires.

Les différents visages du protêt : quand intervient-il ?

Le protêt n’est pas un acte unique ; il prend différentes formes selon l’incident qu’il vient constater. On distingue principalement le protêt faute de paiement et le protêt faute d’acceptation.

Le protêt faute de paiement : constater l’impayé

C’est la forme la plus courante. Elle intervient lorsque, à la date d’échéance prévue (ou lors de sa présentation pour un paiement « à vue »), une lettre de change, un billet à ordre ou même un chèque n’est pas honoré par celui qui devait payer. L’officier public constate alors officiellement ce défaut de paiement.

Le facteur temps est ici déterminant. Pour être valable et produire ses effets (notamment la conservation des recours), le protêt faute de paiement doit impérativement être dressé dans des délais légaux très précis. Pour une lettre de change payable à une date fixe, par exemple, l’article L. 511-39 du Code de commerce prévoit en principe qu’il doit être fait dans les deux jours ouvrables qui suivent le jour où elle est payable. Bien que des textes spécifiques aient pu allonger ce délai dans certaines circonstances (une loi de 1940, toujours appliquée, mentionne dix jours ouvrables), la règle générale est la nécessité d’agir vite. Pour un chèque, le protêt doit être établi avant l’expiration du délai de présentation au paiement, comme le précise l’article L. 131-48 du Code monétaire et financier. Agir avec réactivité dès la constatation de l’impayé est donc indispensable.

Concernant le chèque, une précision s’impose. Depuis une loi de 1985, une procédure simplifiée existe pour obtenir rapidement un titre exécutoire contre le tireur du chèque sans provision : le certificat de non-paiement, délivré par la banque après un délai de régularisation infructueux (article L. 131-73 du Code monétaire et financier). Ce certificat est très efficace pour engager des poursuites contre l’émetteur du chèque. Toutefois, il ne remplace pas le protêt si le porteur souhaite conserver ses recours cambiaires contre d’éventuels endosseurs du chèque. Si vous avez reçu un chèque qui a été endossé avant de vous être remis, et que ce chèque revient impayé, seul le protêt dressé dans les délais vous permettra de vous retourner contre l’endosseur. Le certificat de non-paiement et le protêt ont donc des fonctions distinctes mais potentiellement complémentaires en matière de chèque.

Le protêt faute d’acceptation : anticiper les difficultés

Cette forme de protêt est spécifique à la lettre de change. Pourquoi ? Parce que la lettre de change est un instrument où une personne (le tireur) donne l’ordre à une autre (le tiré) de payer une somme d’argent à une troisième (le bénéficiaire), souvent à une date future. Le tiré n’est engagé cambiairement qu’à partir du moment où il « accepte » de payer, en signant la lettre. Avant l’échéance, le porteur de la lettre peut la présenter au tiré pour obtenir son acceptation.

Si le tiré refuse d’accepter, le porteur se retrouve dans une situation d’incertitude : la personne désignée pour payer refuse de s’engager formellement. Le risque de non-paiement à l’échéance devient élevé. Face à ce refus, la loi (article L. 511-38, I, 2°, a) du Code de commerce) autorise le porteur à agir immédiatement, sans attendre l’échéance, contre les autres signataires (tireur, endosseurs), qui sont garants de l’acceptation et du paiement. Mais pour pouvoir exercer ces recours anticipés, le porteur doit faire constater officiellement le refus d’acceptation par un protêt faute d’acceptation. Cet acte devient alors la preuve irréfutable du refus et ouvre la voie aux actions en garantie. En outre, le protêt faute d’acceptation dispense le porteur de devoir ensuite faire dresser un protêt faute de paiement si, comme attendu, la lettre n’est pas payée à l’échéance.

Comment se déroule concrètement l’établissement d’un protêt ?

La procédure d’établissement d’un protêt est formaliste et doit respecter des étapes précises pour garantir sa validité.

C’est donc un commissaire de justice (ou, plus rarement, un notaire) qui est compétent pour dresser l’acte. Le porteur de l’effet impayé ou non accepté doit mandater cet officier public. Ce dernier agit dans le cadre de sa compétence territoriale, généralement limitée au ressort de la Cour d’appel de son office.

L’acte de protêt lui-même doit comporter un certain nombre de mentions obligatoires, sous peine de nullité. L’article L. 511-53 du Code de commerce et l’article L. 131-62 du Code monétaire et financier précisent ces exigences. On y trouve notamment :

  • La transcription littérale de l’effet de commerce ou du chèque (souvent réalisée par photocopie annexée).
  • L’identité complète du requérant (le porteur) et du débiteur contre qui le protêt est dressé.
  • La sommation faite au débiteur de payer le montant de l’effet (protêt faute de paiement) ou d’accepter la lettre de change (protêt faute d’acceptation).
  • La mention de la présence ou de l’absence de la personne recherchée.
  • Les motifs du refus de payer ou d’accepter, tels qu’indiqués par le débiteur ou son représentant, ou la constatation de l’impossibilité d’obtenir une réponse.
  • L’éventuelle mention de l’impuissance ou du refus de signer du débiteur.
  • La date de l’acte et la signature de l’officier public, qui confère son authenticité au protêt.

La jurisprudence veille au respect de ce formalisme. Un protêt incomplet ou irrégulier sur des points essentiels peut être annulé, avec les conséquences que l’on imagine sur les droits du porteur.

Le lieu où le protêt doit être dressé est également défini par la loi. En principe, il s’agit du domicile de la personne qui doit payer (le tiré de la lettre de change, le souscripteur du billet à ordre, l’émetteur du chèque via sa banque) ou de son dernier domicile connu. Si l’effet mentionne un lieu de paiement spécifique (une domiciliation bancaire, par exemple, ce qui est très fréquent), le protêt doit être fait à cette adresse. L’article L. 511-52 du Code de commerce prévoit même une procédure spécifique dite de « protêt perquisition » si une fausse indication de domicile a été donnée, bien que cela reste rare en pratique.

Comme nous l’avons vu, le respect des délais légaux est fondamental. Qu’il s’agisse du protêt faute d’acceptation (qui doit être fait dans les délais de présentation à l’acceptation) ou du protêt faute de paiement (à dresser dans les jours ouvrables suivant l’échéance ou la présentation), tout retard peut entraîner la déchéance du porteur de ses recours cambiaires. Il existe certes des cas de prorogation de ces délais (jours fériés, circonstances exceptionnelles comme des grèves ou des catastrophes naturelles encadrées par décrets, ou encore la force majeure rendant impossible l’établissement de l’acte), mais la règle est la vigilance.

Protêt dressé : quelles sont les conséquences ?

Une fois le protêt établi dans les règles, il produit des effets importants tant pour le porteur de l’effet que pour le débiteur visé.

Pour le porteur diligent, le principal bénéfice est la conservation de ses recours cambiaires contre les signataires antérieurs (tireur, endosseurs, avaliseurs). Sans protêt valable (sauf dispense), ces recours sont perdus. À l’inverse, si le protêt est jugé nul pour vice de forme, ou s’il n’a pas été dressé à temps par négligence, le porteur perd ses droits. Si cette nullité ou ce retard est imputable à une faute du commissaire de justice mandaté, sa responsabilité professionnelle peut être engagée par le porteur pour le préjudice subi.

Pour le débiteur (l’accepteur de la lettre de change, le souscripteur du billet à ordre, le tireur du chèque), la conséquence la plus notable du protêt faute de paiement est sa publicité. Le législateur a en effet organisé un système d’information destiné à renseigner les tiers sur les incidents de paiement. Les commissaires de justice (et notaires) sont tenus de transmettre une copie des protêts faute de paiement qu’ils dressent (pour les lettres de change acceptées, les billets à ordre et les chèques) au greffe du tribunal de commerce compétent (celui du domicile du débiteur).

Le greffe tient alors un état nominatif des protêts qui peut être consulté par toute personne qui en fait la demande (souvent des banques, des sociétés d’assurance-crédit ou des agences de renseignements commerciaux). Ces informations sont également centralisées, pour les professionnels, dans des fichiers tenus par la Banque de France, comme le Fichier national des Incidents de remboursement des Crédits aux Particuliers (FICP) indirectement ou des systèmes d’information interbancaires sur les incidents de paiement d’effets. Figurer sur ces listes peut évidemment nuire au crédit et à la réputation d’une entreprise, rendant plus difficile l’obtention de financements ou la négociation de délais de paiement avec ses fournisseurs. Heureusement, le débiteur qui finit par régler sa dette peut (et a tout intérêt à) demander la radiation de l’inscription du protêt auprès du greffe, en fournissant la preuve du paiement (l’effet acquitté et une quittance).

Peut-on éviter le protêt ? Les cas de dispense

Bien que souvent nécessaire, l’établissement d’un protêt n’est pas systématique. La loi et la pratique prévoient plusieurs situations où le porteur est dispensé de cette formalité pour conserver ses recours.

La dispense la plus fréquente résulte de l’insertion sur l’effet de commerce lui-même d’une clause dite « retour sans frais », « sans protêt » ou toute autre formule équivalente. Cette clause, si elle est inscrite par le tireur initial, dispense le porteur de faire dresser protêt faute d’acceptation ou faute de paiement pour exercer ses recours contre tous les signataires. Si elle est ajoutée par un endosseur ou un avaliseur, elle ne produit ses effets qu’à l’égard de celui qui l’a inscrite. La jurisprudence considère qu’une simple signature du tireur sur un effet pré-imprimé comportant cette clause suffit à la valider. Attention cependant : cette clause dispense du protêt, mais pas de l’obligation de présenter l’effet au paiement dans les délais !

D’autres dispenses sont prévues directement par la loi. Ainsi, l’article L. 511-39 du Code de commerce dispense de faire dresser protêt faute de paiement dans trois cas précis :

  1. Lorsqu’un protêt faute d’acceptation a déjà été établi pour la même lettre de change.
  2. En cas d’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire du tiré (accepteur ou non).
  3. En cas d’ouverture d’une procédure similaire concernant le tireur d’une lettre de change non acceptable (une lettre que le porteur n’a pas l’obligation de présenter à l’acceptation).

Enfin, comme mentionné précédemment, un événement de force majeure rendant matériellement impossible l’établissement du protêt pendant une certaine durée (plus de trente jours après l’échéance pour une lettre de change, selon l’article L. 511-50) peut également dispenser de cette formalité.

La gestion des effets de commerce et des impayés peut s’avérer complexe, mêlant règles strictes et exceptions subtiles. Si vous êtes confronté à un refus de paiement ou d’acceptation, ou si vous souhaitez sécuriser vos transactions commerciales en comprenant mieux les implications des différents instruments et garanties, notre cabinet peut vous conseiller sur la meilleure stratégie à adopter. Contactez-nous pour une analyse personnalisée.

Sources

  • Code de commerce (notamment articles L. 511-39 et s., L. 512-3 et s.)
  • Code monétaire et financier (notamment articles L. 131-47 et s., L. 131-73)
  • Loi du 29 octobre 1940 relative aux délais de protêt (validée par ordonnance du 22 août 1944)

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