Quand vous engagez un procès, plusieurs barrières peuvent surgir. Défenses au fond, fins de non-recevoir, exceptions de procédure – face à ces obstacles, le juge dispose de pouvoirs spécifiques mais encadrés. Parfois, il doit agir d’office. Parfois, il ne peut rien faire. L’enjeu est crucial pour votre dossier.
Le relevé d’office des défenses au fond
Le juge n’est pas simple spectateur. Il doit parfois relever d’office des défenses au fond, ce pouvoir s’exerçant dans plusieurs cas précis.
Quand le juge doit intervenir
Premièrement, le juge doit agir si le défendeur n’invoque aucune défense. Cette obligation découle implicitement de l’article 12 du Code de procédure civile qui impose au juge de trancher le litige conformément aux règles de droit applicables.
Deuxièmement, le juge doit soulever des moyens de pur droit quand ceux-ci sont d’ordre public. Comme l’a précisé la 2ème chambre civile dans son arrêt du 3 septembre 2015 (n°14-20.431), « l’ordre public impose au juge de relever d’office les moyens de droit qui s’y rapportent ».
Concrètement, si vous oubliez d’invoquer une règle d’ordre public qui vous serait favorable, le juge doit la soulever lui-même.
Quand le juge peut intervenir
Pour les défenses mêlant fait et droit, le juge dispose d’une simple faculté.
Il peut aussi prendre en compte des faits présents dans le débat mais non spécifiquement invoqués au soutien des prétentions. L’article 7, alinéa 2 du Code de procédure civile l’y autorise expressément.
Un exemple concret : si vous mentionnez un fait dans vos écritures sans en tirer argument, le juge peut néanmoins s’en saisir pour construire son raisonnement juridique.
Les limites à l’intervention du juge
Le juge ne peut jamais relever d’office une règle de droit qui ne serait pas d’ordre public. La 1ère chambre civile l’a clairement établi le 26 mai 1999 (n°97-15.433).
Il lui est également interdit de considérer des faits absents du débat, en vertu de l’article 7, alinéa 1er du Code de procédure civile. Cette restriction est particulièrement stricte dans les instances en divorce ou séparation de corps où le juge ne peut utiliser des faits qui figurent au dossier sans avoir été spécifiquement invoqués.
Le relevé d’office des fins de non-recevoir
Pour les fins de non-recevoir, le Code de procédure civile établit un régime à trois vitesses, entre obligation, possibilité et interdiction.
Les trois catégories de fins de non-recevoir
L’article 125 du Code de procédure civile distingue deux situations explicites : les fins de non-recevoir d’ordre public, que le juge doit relever d’office, et certaines fins spécifiques qu’il peut soulever (défaut d’intérêt, défaut de qualité et chose jugée).
La jurisprudence a dégagé une troisième catégorie : les fins de non-recevoir ni obligatoires, ni facultatives, que le juge ne peut soulever. La 2ème chambre civile a fermement maintenu cette position dans son arrêt du 28 février 2006 (n°04-15.983).
Identifier les fins de non-recevoir d’ordre public
Certaines fins de non-recevoir sont d’ordre public en raison de la matière concernée. C’est le cas pour l’état des personnes, marqué par le principe d’indisponibilité, comme l’a rappelé la 1ère chambre civile le 6 mai 2009 (n°07-21.826).
D’autres le sont par détermination de la loi. Ainsi, l’inobservation des délais d’exercice des voies de recours et l’absence d’ouverture d’une voie de recours doivent être relevées d’office.
Les délais de forclusion (à l’exception de certains comme l’action en rescision pour lésion) s’inscrivent généralement dans cette catégorie. La 2ème chambre civile l’a confirmé le 29 novembre 2001 (n°99-18.559).
Difficultés pratiques d’identification
Le législateur intervient parfois sans préciser si le relevé d’office est obligatoire ou simplement possible. Depuis le décret n°2009-1524 du 9 décembre 2009, les demandes nouvelles en appel sont interdites « à peine d’irrecevabilité prononcée d’office ». La jurisprudence a interprété cette formule comme prévoyant une simple faculté (Civ. 2e, 10 janvier 2013, n°12-11.667).
L’autorité de la chose jugée et le défaut de qualité soulèvent également des questions. Avant 2004, ils ne pouvaient généralement pas être soulevés d’office, sauf exceptions. Le décret du 20 août 2004 a permis de les relever d’office, mais la jurisprudence maintient qu’ils doivent l’être lorsqu’ils ont un caractère d’ordre public.
Le relevé d’office des exceptions de procédure
Le régime des exceptions de procédure varie selon leur nature. Impossible d’établir un principe unique.
Un régime hétérogène
L’exception de nullité pour vice de forme ne peut jamais être relevée d’office. Cette interdiction se justifie par l’exigence d’un grief, notion subjective difficilement appréciable par le juge sans qu’une partie s’en plaigne.
Pour la péremption, l’article 388 du Code de procédure civile précise que le juge « peut » la constater d’office, depuis le décret n°2017-892 du 6 mai 2017.
Concernant la litispendance, le juge peut se dessaisir d’office s’il a été saisi en second, selon l’article 100 du Code de procédure civile.
Le cas particulier de l’incompétence
Pour l’incompétence, le Code de procédure civile établit un régime tripartite:
- Obligation de relever d’office dans certains cas limités (article 1406 CPC)
- Faculté dans les hypothèses énumérées aux articles 76 et 77
- Interdiction dans les autres situations
Cette distinction opère tant entre compétence d’attribution et territoriale qu’au sein de chacune de ces catégories.
L’exception de nullité pour vice de fond
L’article 120 du Code de procédure civile oblige le juge à relever d’office l’irrégularité de fond lorsque la règle méconnue a un caractère d’ordre public.
Il lui permet de le faire en cas de défaut de capacité d’ester en justice, comme l’a illustré la 1ère chambre civile le 2 novembre 1994 (n°92-14.642).
En dehors de ces cas précis, la doctrine estime que le juge ne peut relever d’office ce type d’exception.
Le cabinet suit quotidiennement l’évolution des règles relatives au pouvoir d’intervention du juge. Cette veille permet de vous conseiller sur les moyens de défense qui doivent être expressément invoqués et sur ceux qui pourraient être relevés d’office.
Votre stratégie contentieuse doit intégrer ces subtilités procédurales. Un conseil juridique personnalisé permettra d’adapter votre défense aux spécificités de votre dossier et du juge saisi.
Sources
- Code de procédure civile, articles 7, 12, 76, 77, 100, 120, 125 et 388
- Civ. 2e, 3 sept. 2015, n°14-20.431
- Civ. 1re, 26 mai 1999, n°97-15.433
- Civ. 2e, 28 févr. 2006, n°04-15.983
- Civ. 1re, 6 mai 2009, n°07-21.826
- Civ. 2e, 29 nov. 2001, n°99-18.559
- Civ. 2e, 10 janv. 2013, n°12-11.667
- Civ. 1re, 2 nov. 1994, n°92-14.642
- Décret n°2017-892 du 6 mai 2017
- Décret n°2009-1524 du 9 décembre 2009
- Décret du 20 août 2004