Le secret bancaire, pilier historique de la relation banque-client, connaît une érosion progressive. Jadis quasi-absolu, il cède aujourd’hui du terrain à d’autres impératifs comme la transparence fiscale et la lutte contre le blanchiment. Entre protection des données personnelles et exigences de régulation, où se situe réellement le secret bancaire en 2024 ?
Fondements juridiques du secret bancaire
Le secret bancaire trouve son assise légale dans l’article L.511-33 du Code monétaire et financier qui dispose : « Tout membre d’un conseil d’administration et, selon le cas, d’un conseil de surveillance et toute personne qui à un titre quelconque participe à la direction ou à la gestion d’un établissement de crédit ou qui est employé par celui-ci, est tenu au secret professionnel.«
Sa violation constitue une infraction pénale, punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende (article L.571-4 du Code monétaire et financier).
Les personnes soumises à cette obligation sont clairement identifiées :
- Dirigeants et administrateurs d’établissements bancaires
- Personnel bancaire à tous les échelons
- Membres de la Commission bancaire
- Agents de la Banque de France
Ce secret protège toute information confidentielle confiée par un client, comme l’existence d’un compte, son solde, les opérations effectuées ou même sa simple qualité de client.
Les limites légales au secret bancaire
La loi prévoit de nombreuses dérogations au secret bancaire.
L’article L.511-33 alinéa 2 du Code monétaire et financier précise que « le secret professionnel ne peut être opposé ni à la Commission bancaire, ni à la Banque de France, ni à l’autorité judiciaire agissant dans le cadre d’une procédure pénale.«
Les principales exceptions concernent :
- Les autorités judiciaires pénales Le secret bancaire tombe lors d’enquêtes pénales sur commission rogatoire d’un juge d’instruction ou sur instruction du procureur. En revanche, les policiers agissant dans le cadre d’une simple enquête préliminaire se heurtent au secret.
- L’administration fiscale L’article L.83 du Livre des procédures fiscales permet à l’administration fiscale d’obtenir communication des documents bancaires sans opposabilité du secret professionnel.
- La déclaration de soupçon Dans le cadre de la lutte anti-blanchiment, l’article L.561-1 du Code monétaire et financier impose aux banques de déclarer au procureur les opérations suspectes.
- Les héritiers La jurisprudence a établi que les héritiers et légataires universels peuvent accéder aux informations bancaires du défunt (Cass. com. 25 févr. 2003, n° 00-21.184).
Le secret bancaire dans les contentieux
Le traitement du secret bancaire diffère selon la nature de la procédure.
Devant les juridictions civiles et commerciales, le secret bancaire constitue un « motif légitime » ou un « empêchement légitime » qui justifie le silence du banquier (Cass. com. 13 juin 1995, n° 93-16.317).
Toutefois, ce principe connaît des évolutions jurisprudentielles significatives. Dans un arrêt du 29 novembre 2017, la Cour de cassation a jugé que : « Le secret bancaire institué par l’article L. 511-33 du code monétaire et financier ne constitue pas un empêchement légitime au sens de l’article 145 du code de procédure civile lorsque la demande de communication de documents est dirigée contre l’établissement de crédit non en sa qualité de tiers confident mais en celle de partie au procès » (Com. 29 nov. 2017, n° 16-22.060).
Cette jurisprudence confirme que la banque partie à un litige ne peut se retrancher derrière le secret bancaire pour refuser de produire des pièces.
Dans le cadre des procédures collectives, le juge-commissaire peut obtenir communication par les banques des informations financières sur une entreprise en difficulté, nonobstant le secret bancaire (article L.623-2 du Code de commerce).
Une décision marquante de la CJUE du 16 juillet 2015 (aff. C-580/13) a établi que le secret bancaire ne pouvait être invoqué de manière « illimitée et inconditionnelle » pour refuser de fournir des informations sur un titulaire de compte dans le cadre de la protection des droits de propriété intellectuelle.
Le secret bancaire à l’ère numérique : nouveaux défis
La digitalisation des services bancaires bouleverse la conception traditionnelle du secret bancaire.
L’agrégation des comptes, la multiplication des prestataires (établissements de paiement, fintech), et le partage des données bancaires imposent de repenser la notion même de confidentialité.
La directive européenne sur les services de paiement (DSP2) a créé un cadre permettant aux clients d’autoriser l’accès à leurs données bancaires par des tiers, questionnant directement la portée du secret bancaire.
Les risques de cyberattaques ajoutent une dimension supplémentaire. Selon la Cour de cassation, la banque doit justifier avoir pris les mesures adaptées pour préserver la confidentialité des informations couvertes par le secret bancaire.
Le règlement européen sur la protection des données (RGPD) vient complexifier le paysage en ajoutant une couche supplémentaire d’obligations pour les établissements bancaires.
Quid alors du secret bancaire lorsque votre banque partage vos données avec un « partenaire commercial » ? La frontière entre consentement éclairé et violation du secret devient ténue.
L’arsenal juridique actuel montre un déplacement du curseur : d’une logique de secret absolu vers une logique de protection conditionnelle des données financières.
Sources
- Code monétaire et financier, articles L.511-33, L.511-34, L.571-4
- Cour de cassation, chambre commerciale, 25 février 2003, n° 00-21.184
- Cour de cassation, chambre commerciale, 29 novembre 2017, n° 16-22.060
- CJUE, 16 juillet 2015, affaire C-580/13, Coty Germany
- Code de commerce, article L.623-2
- Livre des procédures fiscales, article L.83
- Règlement (UE) 2016/679 (RGPD)
- Directive (UE) 2015/2366 concernant les services de paiement (DSP2)
- LASSERRE CAPDEVILLE J., « Le secret bancaire en 2009 : un principe en voie de disparition ? », AJ pénal 2009, Étude 165