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Le sort de vos droits de créancier garanti pendant la procédure collective : préférence et paiements

Table des matières

Vous détenez une hypothèque, un gage ou un autre type de garantie sur les biens d’une entreprise qui traverse des difficultés ? Naturellement, vous pensez que cette sûreté vous assure d’être payé en priorité si les choses tournent mal. Après tout, c’est bien là l’objectif principal d’une garantie. Cependant, lorsque votre débiteur fait l’objet d’une procédure collective – sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire – la réalité devient plus complexe. Le droit des entreprises en difficulté instaure des règles spécifiques qui viennent souvent limiter, voire paralyser temporairement, le droit de préférence et les possibilités de paiement des créanciers, même ceux qui sont garantis.

Comprendre comment vos droits sont affectés est essentiel pour adapter votre stratégie et défendre au mieux vos intérêts. Cet article explore les restrictions imposées à votre droit de préférence durant les différentes phases de la procédure collective, mais aussi les exceptions et dérogations qui peuvent jouer en votre faveur.

Pendant la période d’observation : patience et restrictions

La période d’observation, qui suit le jugement d’ouverture d’une sauvegarde ou d’un redressement judiciaire, est une phase destinée à évaluer la situation de l’entreprise et à élaborer un plan de redressement. Pendant cette période, qui peut durer plusieurs mois, un maître mot s’impose pour les créanciers antérieurs au jugement : patience.

L’impossibilité d’exercer immédiatement son droit de préférence

Deux règles fondamentales viennent geler les droits des créanciers garantis dès le jugement d’ouverture :

  1. L’arrêt des poursuites individuelles : L’article L. 622-21 du Code de commerce interdit à tous les créanciers dont la créance est née avant le jugement d’ouverture d’engager ou de poursuivre des actions en justice pour obtenir le paiement ou la saisie des biens du débiteur. Concrètement, cela veut dire que vous ne pouvez plus forcer la vente du bien hypothéqué ou gagé pour vous rembourser. Toute procédure de saisie que vous auriez engagée est automatiquement suspendue.
  2. L’interdiction des paiements des dettes antérieures : L’article L. 622-7 du Code de commerce interdit au débiteur de payer toute créance née avant le jugement d’ouverture (sauf quelques exceptions très limitées comme les créances alimentaires). Votre débiteur ne peut donc pas, même s’il le voulait, vous régler la somme garantie par votre sûreté.

Ces règles combinées empêchent de fait l’exercice immédiat de votre droit de préférence. Votre garantie existe toujours, mais vous ne pouvez pas l’utiliser pour obtenir un paiement prioritaire sur-le-champ.

Que se passe-t-il si le bien sur lequel porte votre garantie est vendu pendant cette période ? C’est possible, si le juge-commissaire l’autorise parce que la vente est jugée nécessaire à la poursuite de l’activité (article L. 622-7). Mais même dans ce cas, vous ne toucherez pas directement le prix de vente. L’article L. 622-8 du Code de commerce prévoit que la partie du prix correspondant aux créances garanties par des sûretés spéciales (comme la vôtre) doit être versée par le mandataire de justice (administrateur ou mandataire judiciaire) sur un compte spécial à la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC). Votre argent est temporairement bloqué. Il ne sera réparti qu’à l’issue de la période d’observation, en fonction de la solution adoptée par le tribunal (plan de sauvegarde, plan de redressement, ou liquidation).

Les (rares) possibilités de paiement anticipé

Attendre la fin de la période d’observation peut être long et incertain. La loi prévoit cependant quelques mécanismes permettant, sous conditions strictes, d’obtenir un paiement avant terme.

  • Le paiement provisionnel (Art. L. 622-8 al. 2) : Vous pouvez demander au juge-commissaire l’autorisation de recevoir une partie du prix consigné à la CDC correspondant à votre garantie. Cependant, cette possibilité est encadrée. Le juge peut exiger que vous fournissiez une garantie bancaire pour assurer le remboursement des sommes si, finalement, votre créance était rejetée ou si vous n’étiez pas classé en rang utile pour percevoir ce montant (par exemple, si des créanciers encore mieux placés devaient être payés avant vous). Le Trésor public et les organismes sociaux sont dispensés de fournir cette garantie. Le juge peut aussi vous en dispenser par décision spécialement motivée, mais c’est à sa discrétion. Le montant accordé est une provision, non un paiement définitif, et dépend de l’analyse de votre créance et de votre rang.
  • La substitution de garantie (Art. L. 622-8 al. 3) : Si le débiteur ou l’administrateur a besoin d’utiliser immédiatement le produit de la vente du bien grevé (par exemple, pour financer l’activité), il peut vous proposer de remplacer votre sûreté initiale par une garantie équivalente (typiquement une caution bancaire). Si vous acceptez, vous libérez le bien et le prix de vente peut être utilisé. Si vous refusez, le juge-commissaire peut trancher et imposer la substitution si la garantie proposée est jugée réellement équivalente. Vous conservez un recours contre cette décision.
  • L’exception clé : le droit de rétention effectif (Art. L. 622-7, II) : C’est là que réside un avantage considérable pour certains créanciers. Si vous détenez matériellement le bien de votre débiteur en garantie (par exemple, dans le cadre d’un gage avec dépossession où vous gardez la chose gagée), vous bénéficiez d’un droit de rétention puissant. Le juge-commissaire ne peut pas vous imposer une substitution de garantie. Pour récupérer son bien, si celui-ci est nécessaire à la poursuite de l’activité, le débiteur (ou l’administrateur, avec l’autorisation du juge) n’aura d’autre choix que de vous payer intégralement le montant de votre créance garantie. C’est une dérogation majeure à l’interdiction des paiements. Attention, cette exception vise principalement la rétention « réelle », avec détention physique. La rétention dite « fictive », accordée par la loi à certains gages sans dépossession, est, elle, inopposable pendant la période d’observation (article L. 622-7, I, al. 2).

Pendant l’exécution d’un plan de sauvegarde ou de redressement : un paiement encadré

Si la période d’observation débouche sur l’adoption d’un plan de sauvegarde ou de redressement, l’objectif est la poursuite de l’activité et l’apurement progressif du passif. Comment vos droits de créancier garanti sont-ils traités dans ce cadre ?

Le principe : paiement selon les échéances du plan

La règle générale est que tous les créanciers antérieurs, y compris ceux bénéficiant de sûretés, sont soumis aux modalités de remboursement définies par le plan (article L. 626-18). Ce plan impose souvent des délais de paiement (pouvant aller jusqu’à 10 ans) et parfois même des abandons partiels de créances (remises). Pendant toute la durée du plan, votre droit de préférence est en quelque sorte « mis en sommeil ». Vous devez attendre les échéances prévues par le plan pour être payé, comme les autres créanciers.

Exception : vente d’un bien grevé pendant le plan (Art. L. 626-22)

Que se passe-t-il si le bien sur lequel porte votre garantie est vendu pendant l’exécution du plan ? La loi (article L. 626-22) et la jurisprudence distinguent deux situations :

  1. La vente n’était PAS prévue par le plan : Le débiteur, ayant retrouvé une certaine liberté de gestion, décide de vendre un bien grevé qui n’était pas spécifiquement affecté au remboursement dans le plan. Dans ce cas, la jurisprudence considère que les règles de la procédure collective ne s’appliquent pas de la même manière. Le prix de vente n’a pas à être versé au commissaire à l’exécution du plan. Le droit commun reprend ses droits, et le créancier inscrit sur le bien vendu pourrait potentiellement faire valoir son droit de préférence pour être payé directement sur le prix de vente, en dehors des contraintes du plan.
  2. La vente ÉTAIT prévue par le plan (ou accompagne le plan via une cession partielle d’actifs) : Ici, la vente s’inscrit dans l’exécution de la procédure. Le régime de l’article L. 626-22 s’applique. Comme en période d’observation, la quote-part du prix correspondant aux sûretés est versée à la CDC par le commissaire à l’exécution du plan. Les créanciers garantis peuvent alors :
    • Demander un paiement provisionnel (comme en période d’observation, souvent contre garantie).
    • Recevoir un paiement anticipé sur le prix consigné. Ce paiement vient en déduction des dividendes futurs prévus par le plan. Le montant des dividendes restants à percevoir sera donc réduit proportionnellement pour tenir compte de ce paiement plus rapide. La répartition se fait toujours selon l’ordre des privilèges entre les créanciers garantis et après paiement des créanciers de meilleur rang (salariés superprivilégiés, frais de justice…).
    • Accepter (ou se voir imposer par le tribunal) une substitution de garantie pour permettre l’utilisation du prix par l’entreprise. Là encore, le droit de rétention effectif fait obstacle à une substitution imposée.

Que se passe-t-il si le débiteur ne respecte pas les échéances du plan ?

Imaginez que le débiteur n’honore pas les paiements prévus par le plan. Pouvez-vous, en tant que créancier garanti, reprendre vos poursuites individuelles et saisir le bien grevé ? La réponse est non, depuis une réforme de 2008.

L’article L. 626-27 du Code de commerce confère désormais au commissaire à l’exécution du plan le monopole pour engager le recouvrement forcé des dividendes impayés. Il peut le faire sans nécessairement demander la résolution du plan. Le créancier individuel, même garanti, a perdu le droit d’agir seul pour récupérer les échéances manquées du plan. C’est une limitation importante du droit de poursuite individuel.

Les dérogations spécifiques favorisant certains créanciers

Au-delà des mécanismes généraux, certaines garanties spécifiques offrent, par nature ou par disposition légale expresse, des avantages particuliers en termes de paiement dans le cadre d’une procédure collective.

Le droit de rétention : un avantage majeur

Nous l’avons déjà évoqué, le droit de rétention effectif (détention matérielle du bien) est particulièrement puissant :

  • Il permet d’exiger un paiement intégral contre restitution du bien, que ce soit en période d’observation (si le bien est utile) ou en liquidation judiciaire (sans condition d’utilité).
  • En cas de vente du bien par le liquidateur, le droit de rétention se reporte sur le prix (article L. 642-20-1), conférant au rétenteur une priorité de paiement absolue, avant même les créanciers superprivilégiés. Cela vaut aussi, en liquidation, pour la rétention fictive (gage sans dépossession).

La réserve de propriété : un droit à paiement souvent prioritaire

Le vendeur qui a stipulé une clause de réserve de propriété bénéficie lui aussi de mécanismes favorables :

  • Option de paiement intégral (Art. L. 624-16) : Si le bien vendu est toujours chez l’acheteur en procédure et est nécessaire à l’activité, l’administrateur (ou le débiteur autorisé par le juge) peut choisir de payer immédiatement l’intégralité du prix restant dû pour conserver le bien et neutraliser l’action en restitution du vendeur. Si un paiement différé est accepté par le vendeur, sa créance de prix bénéficie alors du privilège des créances postérieures utiles.
  • Revendication du prix de revente (Art. L. 624-18) : Si l’acheteur a revendu le bien avant le jugement d’ouverture (ou même après si la vente est licite), le vendeur initial peut revendiquer directement auprès du sous-acquéreur le prix de revente qui n’a pas encore été payé à l’acheteur initial. Il a un droit exclusif sur ce prix jusqu’à concurrence de sa propre créance.

La fiducie-sûreté : une protection variable

Cette garantie moderne, où la propriété d’un bien est transférée à un fiduciaire pour garantir une dette, offre des avantages mais avec des nuances :

  • Si avec dépossession (le débiteur n’a plus l’usage du bien, ex: sommes d’argent) : Le créancier bénéficiaire échappe largement aux contraintes de la procédure (pas de suspension des poursuites). Un paiement contre retour des biens est possible en sauvegarde/redressement si le bien est jugé nécessaire (article L. 622-7).
  • Si sans dépossession (le débiteur conserve l’usage via une convention de mise à disposition) : La situation est moins favorable. La convention de mise à disposition est traitée comme un contrat en cours, et le créancier subit la suspension des poursuites pendant l’observation et le plan. Il ne peut réaliser sa garantie qu’en cas de non-respect du plan, de liquidation, ou de cession.

Le crédit-bailleur : possibilité de paiement pour levée d’option

Lorsque le contrat de crédit-bail arrive à son terme pendant la procédure, le crédit-bailleur peut voir sa situation s’améliorer si l’option d’achat est levée :

  • Le juge-commissaire peut autoriser le débiteur (en sauvegarde/redressement) ou le liquidateur à payer les sommes restant dues (y compris les loyers antérieurs impayés) pour lever l’option d’achat et acquérir définitivement le bien, si cela est justifié par la poursuite de l’activité ou les besoins de la liquidation (articles L. 622-7 et L. 641-3).
  • De même, si le contrat est cédé dans un plan de cession, le cessionnaire qui lève l’option doit régler les sommes dues au crédit-bailleur.

Naviguer dans les règles de paiement d’une procédure collective est complexe, même pour un créancier garanti. Le droit de préférence n’est pas absolu et dépend de la phase de la procédure, de la nature de la garantie, et des décisions prises par les organes de la procédure. Pour comprendre précisément vos droits et les options disponibles, notre équipe se tient à votre disposition.

Sources

  • Code de commerce : articles L.622-7, L.622-8, L.622-13, L.622-17, L.622-21, L.622-23-1, L.624-16, L.624-18, L.626-11, L.626-18, L.626-22, L.626-27, L.631-14, L.641-3, L.641-11-1, L.641-13, L.642-20-1
  • Code civil : articles 2286 (droit de rétention), 2333 et s. (gage), 2011 et s. (fiducie)

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