black textile on white textile

Les comptes collectifs : l’art partagé de la gestion bancaire

Table des matières

Dans l’univers bancaire, les comptes ne sont pas toujours affaire d’un seul titulaire. Couples, associés, héritiers ou simples coinvestisseurs peuvent partager la titularité d’un compte bancaire. Au-delà des règles générales d’ouverture et de fonctionnement d’un compte bancaire, cette configuration de pluralité, loin d’être anodine, déploie un éventail de mécanismes juridiques qui définissent les droits et responsabilités de chacun. En pratique, ces arrangements prennent trois formes distinctes : les comptes en usufruit/nue-propriété, les comptes indivis et les comptes joints. Chacun répond à des besoins précis et s’accompagne de contraintes spécifiques.

Les comptes à plusieurs titulaires : trois configurations distinctes

Comptes en usufruit et nue-propriété : un mécanisme de démembrement

Le compte en usufruit/nue-propriété transpose au domaine bancaire le démembrement classique du droit de propriété. Cette configuration survient fréquemment par transmission successorale.

Les sommes déposées, considérées comme des biens consomptibles par excellence, ne peuvent donner lieu qu’à un quasi-usufruit. L’usufruitier dispose librement des fonds, à charge d’en restituer le montant à l’expiration de l’usufruit. C’est donc lui qui fait fonctionner le compte sous sa seule signature (article 586 du Code civil).

Le décès de l’usufruitier met fin à ce démembrement : le nu-propriétaire devient seul titulaire du compte, mais les intérêts générés avant le décès reviennent aux héritiers de l’usufruitier.

Comptes indivis : une gestion sous contrainte d’unanimité

Le compte indivis reflète un état d’indivision entre plusieurs personnes. Cette configuration concerne typiquement les cohéritiers avant partage, les associés de sociétés de fait ou les membres de sociétés en participation.

Particularité majeure : le droit commun impose que ces comptes ne fonctionnent que sous la signature de tous les titulaires. La jurisprudence est claire sur ce point : un banquier qui autoriserait un retrait effectué par un seul cotitulaire engagerait sa responsabilité (CA Paris, 7 juillet 1981).

Pour contourner cette contrainte d’unanimité, les cotitulaires recourent souvent au mandat réciproque ou désignent l’un d’entre eux comme mandataire.

Une précision importante : le décès d’un cotitulaire ne met théoriquement fin au compte que pour sa part. En pratique, les banques préfèrent clôturer le compte et en ouvrir un nouveau aux survivants qui le demandent, évitant ainsi la gestion délicate des parts respectives.

Comptes joints : le mécanisme de la solidarité active

Le compte joint représente la forme la plus souple de compte collectif. Son principe fondamental : faire des cotitulaires les créanciers solidaires du banquier dépositaire, appliquant ainsi la solidarité active prévue par les articles 1311 et suivants du Code civil.

Cette modalité permet à chaque titulaire de faire fonctionner le compte sous sa seule signature et d’en retirer librement les fonds. Cette simplicité opérationnelle explique son succès, notamment auprès des couples.

Il faut cependant distinguer les rapports avec la banque des rapports entre cotitulaires. Si chacun peut agir seul vis-à-vis de la banque, les droits de chaque cotitulaire entre eux restent définis par leur convention particulière.

Les enjeux spécifiques des comptes joints

La révocabilité unilatérale

La jurisprudence a établi un principe important : la convention de compte joint est toujours révocable par la seule volonté de l’un des cotitulaires (Civ. 1re, 19 juillet 1988, n° 86-12.357). Cette manifestation de volonté n’est soumise à aucune exigence de forme et peut même être tacite, résultant par exemple d’une demande de blocage du compte.

Cette révocation peut prendre deux formes :

  • Transformation du compte joint en compte indivis (révocation de la solidarité active)
  • Résiliation de l’engagement du révoquant, le compte restant individuel au nom du cotitulaire restant

Le banquier a l’obligation d’informer les autres cotitulaires de cette révocation, sans pouvoir invoquer un usage contraire (Com. 4 mai 1999, n° 95-21.752).

La solidarité passive : une option fréquente

En principe, le compte joint n’implique pas automatiquement la solidarité passive entre les cotitulaires. Toutefois, dans la pratique, les banques la stipulent systématiquement dans leurs conventions.

Les implications sont considérables : en cas de solde débiteur, le banquier peut poursuivre chaque titulaire pour la totalité du découvert. Pour une gestion approfondie des créances, frais et procédures de saisie sur comptes bancaires, il est essentiel de maîtriser ces mécanismes. La Cour de cassation a même jugé que si la dépense ne profite qu’à un seul cotitulaire, la solidarité oblige l’autre à supporter le solde débiteur qui en découle, même sans consentement à l’opération (Com. 8 février 2005, n° 02-16.967).

Décès d’un cotitulaire : persistance du compte

Contrairement aux comptes indivis, le décès d’un cotitulaire n’entraîne pas automatiquement la clôture du compte joint. Celui-ci continue à fonctionner sous la signature des survivants.

Toutefois, les héritiers peuvent exercer la faculté de révocation. Dans ce cas, chaque héritier ne peut, conformément à l’article 1309 du Code civil, opérer de retrait que dans la proportion de sa part successorale.

Comptes joints entre époux : articulation avec le régime matrimonial

Le compte joint est particulièrement utilisé par les couples mariés. La loi du 13 juillet 1965 a facilité cette pratique en consacrant l’indépendance bancaire des époux (article 221 du Code civil).

L’article 221, alinéa 2, prévoit qu’à l’égard du dépositaire, l’époux déposant est toujours réputé avoir la libre disposition des fonds déposés. Cette présomption, considérée comme irréfragable, exonère le banquier de toute responsabilité pour les opérations effectuées sur le compte.

Il existe toutefois une limite importante : cette présomption ne joue qu’à l’égard du banquier et ne modifie pas l’incidence du régime matrimonial dans les rapports des époux entre eux. Ainsi, en régime communautaire, le dépôt ne fait pas échapper les fonds à la présomption de communauté.

Le fonctionnement par mandataire : délégation contrôlée

Étendue et formalisme du mandat bancaire

Le droit commun du mandat s’applique sans restriction à l’ouverture et au fonctionnement des comptes bancaires. Toute personne peut donc donner procuration à un tiers pour faire fonctionner son compte.

Ce mandat n’est soumis à aucune règle de forme particulière et peut être donné par acte sous seing privé, voire tacitement. La Cour de cassation a même jugé que la banque qui fournit des imprimés facilitant l’établissement de procurations n’engage pas sa responsabilité (Com. 28 avril 2004, n° 02-13.591).

Le mandataire n’est pas personnellement tenu du solde débiteur résultant des opérations réalisées, sauf s’il est prouvé qu’il a agi dans son intérêt personnel (Civ. 1re, 6 mars 1996, n° 93-17.223).

L’extinction du mandat : nécessaire vigilance

Les causes d’extinction du mandat bancaire suivent le droit commun, avec quelques particularités pratiques importantes. Pour une compréhension complète des causes de clôture d’un compte et leurs conséquences juridiques, notamment en cas de décès, il est essentiel de maîtriser ces règles.

En cas de révocation, le banquier doit exécuter les ordres émis par le mandataire avant celle-ci. S’il exécute un ordre postérieur, il fait un paiement libératoire tant que la révocation ne lui a pas été notifiée (article 2005 du Code civil). Cette règle protège les banques contre les révocations non signifiées.

Le décès du mandant met également fin au mandat. Le banquier n’est pas responsable des opérations effectuées par le mandataire après le décès tant qu’il n’en a pas eu connaissance.

Le mandat entre époux : une pratique courante

Le mandat entre époux constitue une application fréquente de cette délégation de pouvoir. La jurisprudence récente a assoupli le régime de preuve en admettant que « la preuve du mandat entre conjoints pour faire fonctionner le compte peut être rapportée par tous moyens par le banquier qui n’y est pas partie » (Civ. 1re, 3 juin 2015, n° 14-19.825).

La responsabilité de la banque n’est pas engagée si le titulaire ratifie les opérations passées sans procuration, cette ratification pouvant être tacite (Com. 17 novembre 2015, n° 14-18.980).

Le mandat post-mortem : validité limitée

La validité d’un « mandat post mortem » est généralement reconnue, mais elle peut se heurter à l’ordre public successoral. Un banquier qui l’exécuterait pourrait engager sa responsabilité envers les héritiers du mandant (Civ. 1re, 28 juin 1988, n° 86-13.639).

Une exception notable introduite par la loi du 26 juillet 2013 : malgré la clôture du compte pour décès, le prélèvement des sommes nécessaires au règlement des frais d’obsèques est désormais permis (article L. 312-1-4 du Code monétaire et financier).

Les enjeux juridiques des comptes collectifs sont multiples et leurs ramifications pratiques considérables. Une configuration inadaptée peut entraîner blocages opérationnels, conflits entre cotitulaires ou complications successorales. Un conseil juridique personnalisé permet d’éviter ces écueils et d’optimiser la structure de titularité bancaire selon votre situation personnelle ou professionnelle. Notre cabinet d’avocats spécialisé en droit bancaire vous accompagne dans ces choix stratégiques.

Sources

  • Code civil, articles 221, 586, 1309, 1311 et suivants, 2005
  • Code monétaire et financier, article L. 312-1-4
  • Civ. 1re, 19 juillet 1988, n° 86-12.357
  • Com. 4 mai 1999, n° 95-21.752
  • Com. 8 février 2005, n° 02-16.967
  • Civ. 1re, 3 juin 2015, n° 14-19.825
  • Com. 17 novembre 2015, n° 14-18.980
  • Civ. 1re, 28 juin 1988, n° 86-13.639
  • Com. 28 avril 2004, n° 02-13.591
  • Civ. 1re, 6 mars 1996, n° 93-17.223
  • CA Paris, 7 juillet 1981
  • Loi n° 65-570 du 13 juillet 1965
  • Loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013

Vous souhaitez échanger ?

Notre équipe est à votre disposition et s’engage à vous répondre sous 24 à 48 heures.

07 45 89 90 90

Vous êtes avocat ?

Consultez notre offre éditoriale dédiée.

Dossiers

> La pratique de la saisie immobilière> Les axes de défense en matière de saisie immobilière

Formations professionnelles

> Catalogue> Programme

Poursuivre la lecture

fr_FRFR