La poursuite des débiteurs s’inscrit dans une course contre le temps. Même avec un titre exécutoire en main, le créancier se heurte à divers obstacles temporels qui peuvent retarder, voire empêcher le recouvrement. Cette dimension temporelle, souvent négligée, constitue un paramètre déterminant dans l’efficacité d’une procédure d’exécution.
Les délais de grâce judiciaires
Le juge peut accorder au débiteur un délai pour payer sa dette. C’est le délai de grâce, prévu par l’article 1343-5 du Code civil.
Le créancier doit savoir que le juge dispose d’une large marge d’appréciation. Il peut reporter ou échelonner le paiement des sommes dues dans une limite de deux ans. La 2e chambre civile de la Cour de cassation a précisé, dans un arrêt du 1er février 2001, que ces délais relèvent du pouvoir souverain du juge.
Le délai de grâce n’est pas réservé au juge qui a prononcé la condamnation. Il peut être demandé:
- Au juge qui condamne le débiteur
- Au juge des référés en cas d’urgence
- Au juge de l’exécution après signification d’un commandement ou d’un acte de saisie
L’octroi de ce délai entraîne la suspension des procédures d’exécution forcée déjà engagées. Seules des mesures conservatoires peuvent être prises pendant ce délai.
Tous les débiteurs ne peuvent cependant pas bénéficier de ces délais. L’article 1343-5 du Code civil les exclut pour:
- Les dettes d’aliments
- Les lettres de change
- Les billets à ordre
- Les chèques
Des jugements récents montrent que les juges tiennent compte à la fois de la situation du débiteur et de celle du créancier, comme l’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt du 22 mars 2012 concernant une créance alimentaire.
Les délais légaux et périodes de trêve
La loi impose certaines périodes pendant lesquelles les mesures d’exécution sont interdites.
La plus connue est la trêve hivernale. L’article L. 412-6 du Code des procédures civiles d’exécution interdit toute expulsion entre le 1er novembre et le 31 mars de l’année suivante. Cette protection s’étend même aux occupants sans droit ni titre dans certains cas.
D’autres restrictions temporelles s’appliquent:
- Aucune mesure d’exécution ne peut être effectuée un dimanche ou un jour férié
- Les mesures d’exécution ne peuvent commencer avant 6h et après 21h selon l’article L. 141-1 du Code des procédures civiles d’exécution
En cas de décès du débiteur, les créanciers doivent composer avec les délais d’acceptation de la succession. Depuis la réforme de 2006, l’héritier dispose d’un délai de quatre mois pour accepter la succession. Si l’héritier opte pour l’acceptation à concurrence de l’actif net, aucune voie d’exécution ne peut être pratiquée pendant quinze mois à compter de la publication de cette acceptation, selon l’article 792-1 du Code civil.
La prescription des titres exécutoires
Le titre exécutoire ne confère pas un droit perpétuel à l’exécution forcée. L’article L. 111-4 du Code des procédures civiles d’exécution établit un délai de prescription de dix ans pour les titres judiciaires, à compter du moment où le jugement est devenu définitif.
Pour les autres titres exécutoires (actes notariés, transactions homologuées, etc.), la prescription applicable est celle de l’obligation qu’ils constatent, généralement cinq ans selon le droit commun.
La particularité des créances périodiques mérite attention. Dans un arrêt d’Assemblée plénière du 10 juin 2005, la Cour de cassation a précisé que pour un jugement condamnant au paiement d’une somme à terme périodique, le créancier peut poursuivre l’exécution pendant trente ans (désormais dix ans), mais ne peut réclamer que les arriérés échus depuis cinq ans avant sa demande.
Ce régime de prescription complexe exige une vigilance particulière des créanciers. La Cour de cassation a confirmé cette position dans un arrêt du 8 juin 2016 malgré la réforme de la prescription.
Les moratoires et mesures exceptionnelles
Des événements exceptionnels peuvent conduire le législateur à suspendre temporairement les procédures d’exécution par des moratoires.
Historiquement, de tels moratoires ont été adoptés lors:
- Des guerres mondiales
- Des crises économiques majeures
- Des événements de mai 1968
- Plus récemment pendant la crise sanitaire liée à la Covid-19
L’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 a ainsi créé une « période juridiquement protégée » du 12 mars au 23 juin 2020. Pendant cette période, certaines sanctions n’étaient pas encourues par le débiteur qui n’exécutait pas ses obligations.
À la différence des moratoires d’antan, ces mesures n’ont pas directement paralysé l’exécution forcée, mais ont instauré une certaine immunité temporaire qui a produit des effets similaires.
La Cour de cassation exige que ces moratoires restent limités dans le temps pour éviter qu’ils ne portent une atteinte disproportionnée au droit d’accès au juge et au droit de propriété des créanciers, comme elle l’a jugé dans un arrêt d’Assemblée plénière du 7 avril 2006.
Stratégies pour gérer les délais d’exécution
Pour le créancier, la maîtrise des délais s’avère fondamentale. Plusieurs approches s’offrent à lui:
- Agir rapidement dès l’obtention du titre exécutoire pour éviter les risques de prescription
- Interrompre régulièrement la prescription par des actes d’exécution. L’article 2244 du Code civil dispose que les mesures conservatoires ou les actes d’exécution forcée interrompent le délai de prescription
- En cas de difficultés persistantes de recouvrement, il peut être judicieux de transformer un titre exécutoire en un autre. Par exemple, le créancier muni d’un acte notarié peut avoir intérêt à agir en justice pour obtenir un jugement, comme l’a admis la Cour de cassation dans trois arrêts du 18 février 2016
- Contester les demandes de délais manifestement dilatoires
Ces différents délais et obstacles compliquent considérablement le travail de recouvrement des créances. Ils requièrent une expertise juridique pour être anticipés et contournés.
Les règles sur les délais d’exécution forcée soulèvent des questions techniques complexes. Notre cabinet accompagne régulièrement des créanciers dans leurs stratégies de recouvrement. Nous pouvons vous aider à évaluer les obstacles temporels spécifiques à votre dossier et à définir la meilleure approche pour préserver vos droits. N’hésitez pas à nous contacter pour un premier entretien d’évaluation.
Sources
- Code civil, articles 1343-5, 2244
- Code des procédures civiles d’exécution, articles L. 111-4, L. 141-1, L. 412-6
- Cour de cassation, 2e civ., 1er février 2001, n°99-15.712
- Cour de cassation, 2e civ., 22 mars 2012, n°11-13.915
- Cour de cassation, assemblée plénière, 10 juin 2005, n°03-18.922
- Cour de cassation, 1re civ., 8 juin 2016, n°15-19.614
- Cour de cassation, assemblée plénière, 7 avril 2006, n°05-11.519
- Cour de cassation, 2e civ., 18 février 2016, n°15-13.945, 15-13.991 et 15-15.778
- Ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020