L’ordonnance sur requête constitue un outil procédural aux multiples usages. Je constate régulièrement dans ma pratique que cette procédure reste méconnue par de nombreux justiciables, alors qu’elle peut s’avérer redoutablement efficace. Définie à l’article 493 du Code de procédure civile comme « une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse », elle offre une réponse judiciaire rapide dans diverses situations d’urgence.
En droit des personnes et de la famille
Le président du tribunal judiciaire (anciennement TGI) intervient par ordonnance sur requête pour:
- Ordonner la rectification des actes d’état civil (article 99 du Code civil)
- Prescrire des mesures urgentes quand l’un des époux manque à ses devoirs et met en péril les intérêts familiaux (article 220-1 du Code civil)
Le juge aux affaires familiales peut également, dès la requête initiale en divorce, prendre des mesures d’urgence selon l’article 257 du Code civil.
Les constats d’adultère, bien que n’étant pas expressément prévus par un texte, sont fréquemment ordonnés par cette voie non contradictoire.
En matière de tutelles
Les décisions rendues par le juge des tutelles sont qualifiées par la jurisprudence d’ordonnances sur requête en la forme. La Cour de cassation a précisé que « l’autorisation du juge des tutelles doit revêtir la forme d’une ordonnance sur requête » (Civ. 1re, 22 octobre 2008, n° 07-19.964).
Cette qualification peut surprendre car ces décisions ne partagent pas les caractéristiques fondamentales des ordonnances sur requête (caractère provisoire et non contradictoire). Il s’agit plutôt de décisions gracieuses.
En copropriété et indivision
Le juge des requêtes intervient pour désigner:
- Un syndic de copropriété (article 17 de la loi du 10 juillet 1965)
- Les membres du conseil syndical (article 21 de la même loi)
- Un administrateur provisoire (article 18)
- Divers mandataires
En indivision, l’article 815-6 du Code civil autorise le président du tribunal judiciaire à prescrire « toutes les mesures urgentes que requiert l’intérêt commun » des indivisaires.
En droit commercial et des sociétés
L’arsenal des ordonnances sur requête en droit des sociétés est impressionnant. Elles permettent:
- La nomination de divers intervenants:
- Commissaire aux comptes (articles L. 223-14 et R. 223-11 du Code de commerce)
- Expert chargé de déterminer la valeur des droits sociaux (mêmes articles)
- Commissaire aux apports (articles L. 223-9, L. 223-33, L. 223-35)
- Liquidateur (article L. 237-19)
- Contrôleur de liquidation (article L. 237-17)
- La prorogation de délais stratégiques:
- Report du mandat du liquidateur (article 237-21)
- Report du délai de convocation d’assemblée (article L. 237-23)
- Prorogation du délai de mise en paiement des dividendes (article L. 232-13)
- Des autorisations nécessaires au fonctionnement de l’entreprise:
- Dispense de convocation d’assemblée pour le liquidateur (article L. 237-25)
- Autorisation de retrait des fonds en SARL non constituée (article L. 223-8)
Le président du tribunal de commerce est généralement compétent pour ces mesures concernant les sociétés commerciales.
En procédures collectives
Le président du tribunal de commerce peut intervenir par ordonnance sur requête pour:
- Remplacer un administrateur ou mandataire judiciaire (article R. 612-2 du Code de commerce)
- Désigner un mandataire pour poursuivre les instances en cours quand les organes de la procédure ont cessé leurs fonctions (Com. 30 octobre 2007, n° 06-16.129)
- Proroger divers délais, notamment celui d’approbation des comptes
En propriété intellectuelle
Les ordonnances sur requête sont cruciales en matière de propriété intellectuelle pour:
- Ordonner des mesures probatoires avant un procès en contrefaçon:
- Saisie-description (constatation détaillée des produits litigieux)
- Saisie-contrefaçon (saisie réelle des produits contrefaits)
Ces procédures sont ouvertes aux titulaires de:
- Marques (article L. 716-7 du CPI)
- Brevets (article L. 615-3)
- Dessins et modèles (article L. 521-4)
- Œuvres littéraires/artistiques (article L. 332-1)
- Certificats d’obtention végétale (article L. 623-27)
- Logiciels (article L. 332-1)
- Bases de données (article L. 343-1)
- Lever l’anonymat d’internautes contrefacteurs (article 6-I-8 de la LCEN du 21 juin 2004)
En matière probatoire et conservatoire
Mesures probatoires
L’article 145 du Code de procédure civile permet d’obtenir « sur requête ou en référé » des mesures d’instruction légitimes avant tout procès. La jurisprudence a précisé que l’utilisation de la voie non contradictoire de la requête reste subsidiaire, justifiée uniquement par des circonstances exigeant une dérogation au principe du contradictoire.
Attention: l’urgence n’est pas une condition du recours à cette ordonnance probatoire préventive (Civ. 2e, 15 janvier 2009, n° 08-10.771).
Mesures conservatoires
L’article 67 de la loi du 9 juillet 1991 (réformant les voies d’exécution) permet à toute personne dont la créance paraît fondée en son principe de solliciter du juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire.
Ces mesures peuvent prendre diverses formes:
- Consignation d’objets ou patrimoines menacés
- Saisies (saisie-vente, saisie-attribution, saisie-revendication)
- Sûretés judiciaires
En matière d’exécution
Les ordonnances sur requête servent également à:
- Proroger des délais en matière de saisie immobilière
- Autoriser la poursuite simultanée sur plusieurs immeubles affectés à une même créance (article 2533 du Code civil)
- Expulser des personnes impossibles à identifier (jurisprudence Ferodo, Soc. 17 mai 1977)
- Homologuer des accords (transactions selon l’article 1444-1 du CPC, projets de distribution de prix après saisie immobilière)
Au quotidien, ces ordonnances offrent des solutions rapides, discrètes et efficaces. Une tactique procédurale bien maîtrisée peut faire la différence dans de nombreux contentieux. Pour autant, leur mise en œuvre reste technique et nécessite une analyse approfondie des circonstances justifiant le non-contradictoire.
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Sources
- Code de procédure civile, articles 493 à 498
- Code civil, articles 99, 220-1, 257, 815-6, 2533
- Code de commerce, articles L. 223-14, R. 223-11, L. 223-9, L. 237-19
- Code de la propriété intellectuelle, articles L. 716-7, L. 615-3, L. 521-4, L. 332-1
- Loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 sur la copropriété
- Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique
- Civ. 1re, 22 octobre 2008, n° 07-19.964, Bull. civ. I, n° 239
- Com. 30 octobre 2007, n° 06-16.129, Bull. civ. IV, n° 230
- Soc. 17 mai 1977, D. 1977, p. 645 (arrêt Ferodo)
- Civ. 2e, 15 janvier 2009, n° 08-10.771, Bull. civ. II, n° 15