La saisie d’un navire est une mesure qui entraîne d’importantes conséquences pour le bâtiment et son équipage. Derrière la simplicité apparente de cette procédure se cachent des implications juridiques, économiques et humaines considérables.
I. Effets immédiats sur le navire
Immobilisation physique
Le navire saisi est immobilisé au port. Il ne s’agit pas d’une simple formalité administrative, mais d’une immobilisation physique complète. Le Code des transports est sans ambiguïté : « Le navire qui fait l’objet d’une saisie ne peut quitter le port » (art. L. 5114-21).
Interdiction de quitter le port
Cette interdiction est absolue. Elle touche tous les navires, quelle que soit leur taille ou leur fonction. Seul le juge de l’exécution peut y déroger, sous conditions strictes.
Mesures de contrôle effectives
Pour garantir cette immobilisation, plusieurs mesures concrètes sont prises :
- Retrait des papiers de bord
- Refus de fournir un pilote
- Refus de service des remorqueurs
- Parfois, retrait d’une pièce maîtresse de la machine pour les petits navires
Notification aux autorités portuaires
Les autorités portuaires sont informées de la saisie. L’article R. 5114-24 du Code des transports prévoit que le procès-verbal de saisie doit être notifié « aux services du port où se trouve le navire ». En pratique, cette notification intervient souvent dès le commandement de payer pour éviter toute fuite du navire.
II. Conséquences économiques
Coûts d’immobilisation
Un navire à l’arrêt génère des coûts considérables. Chaque jour d’immobilisation représente une charge financière importante pour l’armateur. Ces frais s’accumulent rapidement et peuvent dépasser la valeur de la créance initiale.
Perte d’exploitation
La saisie empêche l’exploitation commerciale du navire. Les contrats d’affrètement ou de transport sont compromis. Des pénalités pour retard peuvent s’appliquer. L’armateur perd ses sources de revenus.
Frais portuaires continuant à courir
Le navire saisi doit s’acquitter des frais portuaires habituels :
- Droits de port
- Location d’emplacement
- Services portuaires
- Fournitures diverses
Ces frais s’accumulent sans que le navire ne génère de revenus.
Impact commercial
La saisie affecte la réputation commerciale de l’armateur. Les chargeurs et affréteurs peuvent perdre confiance. Des relations commerciales établies peuvent être rompues. Des contrats futures peuvent être perdus.
Ce risque pousse souvent l’armateur à fournir rapidement une garantie pour obtenir la mainlevée de la saisie.
III. Situation juridique du navire saisi
Régime de garde et gardiennage
Un gardien est désigné lors de la saisie. Ce rôle est généralement confié au capitaine du navire, agissant comme représentant de l’armateur. Le port autonome ne peut pas assurer ce gardiennage, comme l’a confirmé le Conseil d’État (CE, 20 janv. 1989, n° 60269).
Le gardien doit signer l’acte de saisie et veiller à la conservation du navire.
Responsabilités en cas de dommage
La question de la responsabilité en cas de dommage au navire saisi est complexe. Plusieurs acteurs peuvent être mis en cause :
- Le gardien
- Le créancier saisissant
- Le propriétaire du navire
- L’huissier
La jurisprudence a précisé que « la perte du navire résultant du manque d’entretien pendant le cours de sa saisie ne peut être imputée au saisissant, sauf à établir qu’il aurait été empêché de pourvoir aux besoins de son navire par la faute du saisissant » (Cass. com., 3 mars 1998, n° 95-20.692).
Entretien et conservation
Le propriétaire reste responsable de l’entretien du navire. Un manque d’entretien peut mener à la dépréciation rapide du bien. Dans certains cas, le navire saisi peut se détériorer jusqu’à devenir inutilisable.
Assurances
Les polices d’assurance doivent être maintenues pendant la saisie. Une interruption des couvertures d’assurance pourrait avoir des conséquences désastreuses en cas de sinistre.
IV. Impact sur l’équipage
Statut juridique pendant la saisie
Les contrats d’engagement maritime ne sont pas automatiquement rompus par la saisie. L’équipage reste en principe à bord. Mais leur situation devient précaire, surtout si l’armateur connaît des difficultés financières.
Maintien ou rupture des contrats d’engagement
La saisie n’est pas en elle-même un motif de rupture des contrats. Cependant, l’adjudication du navire (sa vente forcée) légitime le licenciement du capitaine selon l’article L. 5114-26 du Code des transports. Cette disposition ne s’étend pas aux autres membres d’équipage.
Paiement des salaires
La question du paiement des salaires pendant la saisie est épineuse. En théorie, l’armateur reste tenu de payer l’équipage. En pratique, si la saisie résulte déjà de difficultés financières, ces paiements peuvent être compromis.
Heureusement, les créances de salaires bénéficient d’un privilège maritime de rang élevé. La jurisprudence a jugé que « les salaires de l’équipage resté à bord du navire saisi jusqu’à sa vente sont des frais nécessaires à la garde et à la conservation du navire et privilégiés comme tels » (CA Aix-en-Provence, 1er févr. 2001).
Rapatriement éventuel
Si la saisie se prolonge, un rapatriement de l’équipage peut devenir nécessaire. Cette situation pose des problèmes pratiques et financiers, notamment pour les marins étrangers.
V. Cas des voyages autorisés
Possibilité de voyages malgré la saisie
Le juge de l’exécution peut autoriser le navire saisi à effectuer « un ou plusieurs voyages déterminés » (art. L. 5114-21 du Code des transports). Cette option permet d’éviter une immobilisation totale et ses conséquences économiques désastreuses.
Conditions et garanties
Cette autorisation n’est accordée que « sur justification d’une garantie suffisante » (art. L. 5114-21). Cette garantie prend généralement la forme d’une caution bancaire ou d’une consignation d’argent.
Le montant de cette garantie est fixé en fonction de plusieurs éléments :
- L’importance des créances du saisissant
- La valeur du navire
- Le montant du fonds de limitation de responsabilité dont l’armateur pourrait se prévaloir
Délais et obligations de retour
Le juge fixe un délai précis pour le retour du navire. Ce délai doit être strictement respecté.
Conséquences du non-retour
Si le navire ne rejoint pas son port dans le délai imparti, « la somme déposée en garantie est acquise aux créanciers » (art. L. 5114-21). De plus, l’indemnité d’assurance sera versée aux créanciers saisissants en cas de sinistre empêchant le retour du navire.
VI. Questions d’ordre international
Situation des marins étrangers
Les équipages internationaux se trouvent dans une situation particulièrement vulnérable. Éloignés de leur pays d’origine, ils peuvent se retrouver bloqués sans ressources.
Rôle des consulats
Pour les navires étrangers, la notification du procès-verbal de saisie doit être faite au consul du pays dont le navire bat pavillon (art. R. 5114-24). Les consulats jouent un rôle d’information et peuvent apporter une assistance à leurs ressortissants.
Aspects sociaux et humanitaires
Des situations humanitaires difficiles peuvent survenir lorsque des équipages sont abandonnés suite à une saisie. Des navires se retrouvent parfois immobilisés pendant des mois, voire des années, avec des marins vivant dans des conditions précaires.
Jurisprudence
La jurisprudence a précisé de nombreux aspects liés aux saisies internationales :
- L’immunité des navires d’État (affaire du « Sedov »)
- La théorie de « l’émanation » pour les flottes commerciales d’État
- L’application de la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952 qui permet la saisie conservatoire d’un navire pour les créances maritimes listées à l’article 1er
La sauvegarde des droits des équipages reste un défi majeur dans ces situations transfrontalières complexes.
La saisie d’un navire n’est jamais un acte anodin. Ses conséquences dépassent largement le cadre juridique pour toucher profondément les réalités économiques et humaines du monde maritime.
Sources
- Code des transports, notamment les articles L. 5114-21 à L. 5114-29 et R. 5114-20 à R. 5114-47
- Convention de Bruxelles du 10 mai 1952 sur la saisie conservatoire des navires
- Jurisprudence : Cass. com., 3 mars 1998, n° 95-20.692 ; CE, 20 janv. 1989, n° 60269 ; CA Aix-en-Provence, 1er févr. 2001
- Affaire du navire-école russe « Sedov » (TGI Brest, 24 juill. 2000, n° 00/11258 ; CA Rennes, 27 juin 2002, n° 00/04888 ; Cass. 1re civ., 9 déc. 2003, n° 01-13.341)




