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Les fins de non-recevoir : quand votre droit d’agir est contesté

Table des matières

Vous pensez avoir un dossier solide pour engager une action en justice ? Attention : avant même d’examiner le fond de votre affaire, votre adversaire pourrait soulever une fin de non-recevoir. Ce moyen de défense redoutable vise non pas le bien-fondé de votre demande, mais votre droit même d’agir en justice.

1. Les fins de non-recevoir par nature

L’action n’existe pas

La fin de non-recevoir peut être invoquée lorsque l’action n’existe tout simplement pas. Cette situation se présente dans plusieurs cas :

  • Le défaut d’intérêt : selon l’article 31 du Code de procédure civile, « l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention ». Sans intérêt à agir, pas d’action possible.
  • Le défaut de qualité : vous devez appartenir à la catégorie des personnes auxquelles l’action est réservée. Par exemple, dans l’arrêt du 9 mai 2001 (Civ. 1re, n° 98-19.145), la Cour de cassation a retenu qu’assigner un courtier à la place d’un assureur constituait une fin de non-recevoir pour défaut de qualité du défendeur.

Je me souviens d’un dossier où mon client avait assigné une entreprise qui n’était pas son véritable cocontractant. L’affaire a été immédiatement bloquée par une fin de non-recevoir, sans même que le juge n’examine les arguments de fond.

L’action n’existe plus

Votre action peut aussi avoir existé, mais s’être éteinte :

  • La prescription : le délai pour agir est dépassé. L’article 2219 du Code civil définit la prescription comme « un mode d’extinction d’un droit résultant de l’inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps ».
  • La forclusion : contrairement à la prescription, ce délai est généralement préfix, c’est-à-dire non susceptible d’interruption ou de suspension.
  • L’autorité de la chose jugée : l’affaire a déjà été jugée. Cette fin de non-recevoir est expressément visée par l’article 122 du Code de procédure civile.
  • L’arrêt des poursuites individuelles : en cas de procédure collective, les poursuites individuelles sont suspendues (article L. 622-21 du Code de commerce).

L’action n’existe pas encore

Parfois, vous agissez trop tôt :

  • Délai d’attente : certaines actions sont soumises à des délais préalables. Par exemple, l’article L. 145-38 du Code de commerce prévoit que la demande en révision du loyer commercial ne peut être formée que trois ans après l’entrée en jouissance.
  • Diligence préalable : dans d’autres cas, vous devez accomplir certaines formalités avant de saisir le juge. La Cour de cassation dans un arrêt du 14 février 2003 (Ch. mixte, n° 00-19.423) a confirmé que le non-respect d’une clause contractuelle imposant une procédure de conciliation préalable constitue une fin de non-recevoir.

2. Les fins de non-recevoir par détermination de la loi

Qualification directe

Le législateur qualifie parfois explicitement un moyen de fin de non-recevoir. L’article 122 du Code de procédure civile en donne quelques exemples :

« Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée. »

L’article 125 ajoute l’absence d’ouverture d’une voie de recours. Cette disposition s’applique quand un plaideur utilise une voie de recours qui n’est pas ouverte contre la décision qu’il conteste.

Qualification indirecte

Parfois, la loi retient simplement l’irrecevabilité sans qualifier explicitement le moyen de fin de non-recevoir. C’est le cas pour :

  • La contestation des décisions de préemption et de rétrocession des SAFER après expiration du délai (articles L. 143-13 et L. 143-14 du Code rural).
  • L’absence de publication d’une demande en annulation ou en résolution d’un acte soumis à publicité foncière (article 30, § 5, du décret du 4 janvier 1955).

Dans ces cas, malgré l’absence de qualification explicite, ces moyens constituent bien des fins de non-recevoir.

Extension jurisprudentielle

La jurisprudence a parfois étendu le champ des fins de non-recevoir. Par exemple, alors que la Cour de cassation avait initialement qualifié d’exception la clause contractuelle de conciliation préalable, elle a opéré un revirement en 2003 pour en faire une fin de non-recevoir (Ch. mixte, 14 février 2003, n° 00-19.423).

3. Les fins de non-recevoir par assimilation jurisprudentielle

Évolution jurisprudentielle

La jurisprudence a créé des fins de non-recevoir en dehors de leur domaine naturel. Ces fins de non-recevoir « par assimilation » sanctionnent des irrégularités graves relatives à la saisine d’une juridiction.

Jusqu’en 2006, la jurisprudence distinguait :

  • Les irrégularités mineures (vices de forme)
  • Les « omissions » graves, assimilées à une absence de saisine

Depuis l’arrêt de la Chambre mixte du 7 juillet 2006 (n° 03-20.026), la Cour de cassation a abandonné cette distinction tout en maintenant que certaines irrégularités de saisine constituent des fins de non-recevoir.

Mode de saisine et contenu de l’acte

La Cour de cassation distingue désormais deux types d’irrégularités :

  • Irrégularités du mode de saisine : elles donnent lieu à fin de non-recevoir. Par exemple, utiliser une assignation là où le Code impose une déclaration au greffe (Civ. 2e, 12 juillet 2001, n° 99-19.940).
  • Irrégularités du contenu de l’acte de saisine : elles constituent de simples vices de forme.

Cette distinction a été clairement énoncée dans l’arrêt du 15 avril 2021 (Civ. 2e, n° 19-20.416).

Difficultés persistantes

La ligne de partage entre fin de non-recevoir et exception de nullité reste floue dans certains cas :

  • L’absence de signature d’une déclaration d’appel : longtemps considérée comme une fin de non-recevoir, elle est désormais sanctionnée par une nullité pour vice de forme (Soc. 4 octobre 2011, n° 10-23.677).
  • La déclaration d’appel ne mentionnant pas les chefs du jugement critiqués : après avoir retenu la nullité pour vice de forme, la jurisprudence évoque désormais l’absence d’effet dévolutif, ce qui s’apparente à une fin de non-recevoir.

Attention, ces subtilités procédurales peuvent paraître techniques, mais elles ont des conséquences pratiques considérables. Une exception de nullité doit être soulevée in limine litis (avant toute défense au fond), alors qu’une fin de non-recevoir peut l’être en tout état de cause, même en appel.

Vous l’aurez compris : identifier correctement le moyen de défense adapté à votre stratégie peut faire basculer l’issue d’un procès. Quand des enjeux importants se jouent sur ces qualifications juridiques, un conseil avisé peut s’avérer déterminant.

Besoin d’une analyse approfondie des moyens de défense disponibles dans votre dossier ? Notre cabinet se tient à votre disposition pour évaluer la recevabilité de votre action ou pour identifier les fins de non-recevoir susceptibles d’être opposées à votre adversaire.

Sources

  • Code de procédure civile, articles 31, 70, 71, 72, 73, 74, 107, 122, 123, 125 et 126
  • Code civil, articles 2219 et suivants
  • Code de commerce, articles L. 145-38, L. 622-21
  • Civ. 1re, 9 mai 2001, n° 98-19.145, Bull. civ. I, n° 128
  • Ch. mixte, 14 février 2003, n° 00-19.423, Bull. ch. mixte, n° 1
  • Ch. mixte, 7 juillet 2006, n° 03-20.026, Bull. ch. mixte, n° 6
  • Civ. 2e, 15 avril 2021, n° 19-20.416, Bull. civ
  • Soc. 4 octobre 2011, n° 10-23.677, Bull. civ. V, n° 222
  • Civ. 2e, 12 juillet 2001, n° 99-19.940, Bull. civ. II, n° 141

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