La saisie-vente, procédure d’exécution forcée permettant à un créancier de faire vendre les biens mobiliers de son débiteur, n’est pas à l’abri d’incidents. Parmi les plus délicats figurent les contestations relatives à la propriété des biens saisis. Entre erreurs d’identification, situations de vie commune où les patrimoines se mêlent, comme dans le cas de la saisie de véhicules, ou tentatives de fraude, ces incidents nécessitent souvent l’intervention judiciaire.
L’action du débiteur saisi
Demande en nullité de la saisie
Le débiteur dispose d’un recours spécifique lorsque la saisie porte sur des biens qui ne lui appartiennent pas. L’article R. 221-50 du Code des procédures civiles d’exécution lui permet de demander la nullité de la saisie. Cette action diffère substantiellement de l’action en distraction réservée aux tiers.
« Le débiteur peut demander la nullité de la saisie portant sur un bien dont il n’est pas propriétaire. » (Article R. 221-50 du Code des procédures civiles d’exécution)
La jurisprudence confirme cette possibilité. Dans un arrêt du 4 juin 2002, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a reconnu au débiteur saisi le droit d’agir par la voie de la nullité pour faire déclarer que les biens saisis à son encontre ne pouvaient pas l’être en raison de l’absence de titre de propriété (Cass. com., 4 juin 2002, n° 98-19.342).
Conditions de recevabilité
Cette action en nullité n’est recevable que jusqu’à la vente des biens saisis. Le débiteur doit prouver qu’il n’est pas propriétaire des biens objets de la saisie. S’il néglige d’intenter cette action alors qu’il sait ne plus être propriétaire des biens saisis, il s’expose à des poursuites pour détournement d’objets saisis.
La Chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé que la non-représentation d’objets saisis, que le débiteur justifie par leur vente antérieure, sans intenter une action en nullité de la saisie en cours, constitue un détournement d’objets saisis (Cass. crim., 1er sept. 2004, n° 03-86.497).
Cette action n’est pas une simple formalité. Le débiteur doit apporter des preuves solides. Dans un arrêt du 23 novembre 2007, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a jugé insuffisante la production de factures comportant une clause de réserve de propriété, mais postérieures de quelques mois au procès-verbal de saisie-vente (CA Aix-en-Provence, 23 nov. 2007, n° 06/15732).
Particularités en matière fiscale
Le contentieux fiscal présente des particularités importantes. L’article L. 281 du Livre des procédures fiscales (LPF) limite les contestations du débiteur à la régularité formelle de l’acte ou au fond des poursuites (exigibilité, montant de la dette).
La jurisprudence a toutefois assoupli cette rigueur. La Cour de cassation considère que l’action en nullité du débiteur constitue une opposition à poursuites entrant dans le champ de l’article L. 281, 1° du LPF, portant sur la régularité formelle de l’acte (Cass. com., 4 juin 2002, n° 98-19.342).
Cependant, cette action reste soumise à une procédure spécifique. Le redevable doit d’abord adresser une réclamation à l’administration fiscale avant toute saisine du juge de l’exécution, comme l’a rappelé la Cour de cassation dans un avis du 14 mai 2001 (Cass., avis, 14 mai 2001, n° 01-00.002).
L’action du tiers revendiquant
L’action en distraction
Lorsqu’un tiers estime être propriétaire de biens compris dans la saisie, il dispose d’une action spécifique : l’action en distraction prévue par l’article R. 221-51 du Code des procédures civiles d’exécution.
« Lorsqu’un tiers se prétend propriétaire d’un bien saisi, il peut demander à l’huissier de justice de mentionner cette prétention sur le procès-verbal. »
Cette action vise à extraire de la saisie les biens appartenant au tiers. Elle n’entraîne pas la nullité de la saisie mais seulement le retrait des biens litigieux.
L’action en distraction prospère même en cas de procédure collective frappant le débiteur saisi. La Chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé que l’absence de revendication dans le cadre de la procédure collective n’interdit pas au tiers d’agir en distraction (Cass. com., 26 nov. 2002, n° 01-03.980). Ces situations peuvent également se complexifier avec l’adjonction de créanciers ou les mécanismes d’opposition.
Délais et conditions de recevabilité
Cette action est strictement encadrée dans le temps. Elle doit être exercée avant la vente des biens saisis. Passé ce délai, seule une action en revendication contre l’acquéreur reste possible, avec des chances de succès limitées.
Le tiers doit préciser les éléments fondant son droit de propriété, à peine d’irrecevabilité. Cette exigence vise à prévenir les collusions frauduleuses entre le débiteur et des tiers complaisants.
Le vendeur bénéficiant d’une clause de réserve de propriété n’est pas recevable en son action en distraction face au bailleur d’immeuble dont le privilège prime sur son droit de propriété, à moins qu’il ne soit établi que le bailleur connaissait l’origine des meubles (Cass. 3e civ., 24 juin 2009, n° 08-14.357).
Preuve du droit de propriété
La charge de la preuve repose sur le tiers revendiquant. Il doit combattre la présomption de l’article 2276 du Code civil selon laquelle « en fait de meubles, la possession vaut titre ».
Les juges apprécient souverainement les preuves produites. Des factures d’achat accompagnées de relevés bancaires montrant les ressources nécessaires peuvent suffire (CA Aix-en-Provence, 16 nov. 2007, n° 06/14630).
À l’inverse, une simple lettre du tiers énonçant ses prétentions est insuffisante. La cour d’appel de Poitiers a jugé qu’une lettre dans laquelle une ex-épouse indiquait sa volonté de récupérer les biens saisis ne permettait pas d’établir l’origine du mobilier, le tiers ne pouvant se constituer une preuve à lui-même (CA Poitiers, 21 mai 2003, n° 01/02404).
Entre époux séparés de biens, les règles de preuve de l’article 1538 du Code civil excluent l’application de l’article 2276. La Cour de cassation a censuré une cour d’appel qui avait appliqué la présomption selon laquelle tous les meubles saisis au domicile d’un époux séparé de biens étaient présumés lui appartenir (Cass. 1re civ., 27 nov. 2001, n° 99-10.633).
Demandes introduites après la vente
Action en revendication
Une fois les biens vendus, l’action en distraction devient irrecevable (article R. 221-52, alinéa 1er du Code des procédures civiles d’exécution). Le tiers ne peut plus exercer qu’une action en revendication contre l’acquéreur.
Cette action se heurte cependant à la protection accordée à l’acquéreur de bonne foi par l’article 2276 du Code civil. L’action n’aboutira que si l’acquéreur était de mauvaise foi ou si le bien a été perdu ou volé, auquel cas le propriétaire devra rembourser à l’acquéreur le prix qu’il a payé (article 2277 du Code civil).
Distraction du prix
Le tiers dispose d’une solution intermédiaire jusqu’à la distribution des deniers : demander la distraction du prix de vente. L’article R. 221-52, alinéa 2 du Code des procédures civiles d’exécution permet au tiers reconnu propriétaire, jusqu’à la distribution des deniers, de demander que le prix de vente, non diminué des frais, lui soit remis.
La Cour de cassation a appliqué cette solution dans un arrêt du 8 avril 2004 (Cass. 2e civ., 8 avr. 2004, n° 02-16.842). Cette possibilité constitue un report du droit de propriété sur le produit de la vente, qui préserve partiellement les intérêts du tiers après une revendication tardive.
Ce mécanisme illustre la recherche d’équilibre entre les intérêts du créancier poursuivant, du débiteur saisi et des tiers propriétaires. Les contestations relatives à la propriété des biens saisis demeurent un terrain où l’assistance d’un avocat s’avère précieuse, tant pour le créancier, le débiteur que pour le tiers revendiquant.
Sources
- Code des procédures civiles d’exécution, articles R. 221-50 à R. 221-53
- Code civil, articles 2276 et 2277, article 1538
- Livre des procédures fiscales, article L. 281
- Cass. com., 4 juin 2002, n° 98-19.342
- Cass. crim., 1er sept. 2004, n° 03-86.497
- Cass. com., 26 nov. 2002, n° 01-03.980
- Cass. 3e civ., 24 juin 2009, n° 08-14.357
- Cass. 1re civ., 27 nov. 2001, n° 99-10.633
- Cass. 2e civ., 8 avr. 2004, n° 02-16.842
- CA Aix-en-Provence, 23 nov. 2007, n° 06/15732
- CA Aix-en-Provence, 16 nov. 2007, n° 06/14630
- CA Poitiers, 21 mai 2003, n° 01/02404
- Cass., avis, 14 mai 2001, n° 01-00.002