De nombreux organismes publics peuvent accéder aux données couvertes par le secret bancaire dans des conditions strictement encadrées. Voici une analyse précise des prérogatives de ces organismes publics.
1. Cour des comptes et chambres régionales
La Cour des comptes et les chambres régionales des comptes disposent d’un pouvoir étendu pour accéder aux informations bancaires confidentielles.
L’article L.141-5 du Code des juridictions financières stipule clairement que les magistrats de la Cour des comptes sont autorisés à exercer directement le droit de communication que détiennent les agents des services fiscaux. Ce pouvoir est également reconnu aux magistrats des chambres régionales des comptes par l’article L.241-2 du même code.
Dans leurs demandes adressées aux banques, ces magistrats doivent :
- Mentionner la nature précise de l’enquête justifiant l’accès aux informations
- Respecter le cadre défini par les articles L.83 et L.85 du Livre des procédures fiscales
Depuis mars 2022, l’article L.141-5 a été renforcé pour préciser qu’aucun secret protégé par la loi ne peut être opposé à la Cour des comptes (Ordonnance n°2022-408 du 23 mars 2022).
Le refus d’un établissement bancaire de communiquer les documents demandés est passible d’une amende de 15 000 euros.
2. Organismes de sécurité sociale
Droit de communication
Les organismes de sécurité sociale ont vu leurs pouvoirs d’investigation considérablement renforcés par la loi n°2007-1786 du 19 décembre 2007.
L’article L.114-19 du Code de la sécurité sociale permet aux agents de ces organismes d’obtenir des établissements bancaires les informations nécessaires pour:
- Contrôler la sincérité des déclarations souscrites
- Vérifier l’authenticité des pièces produites pour l’attribution de prestations
- Accomplir les missions de contrôle du recouvrement
En pratique, ces agents peuvent demander aux banques:
- Les relevés de compte de leurs clients
- Les dates d’ouverture des comptes
- L’existence d’une procuration
Ces demandes doivent être ciblées et proportionnées. La circulaire DSS/2011/233 du 21 juillet 2011 précise: « Le principe de sélectivité des demandes doit s’appliquer à toutes les opérations réalisées dans le cadre de l’exercice du droit de communication. »
Le refus de communiquer est sanctionné par une pénalité de 1 500 euros par cotisant, assuré ou allocataire concerné, dans la limite de 10 000 euros.
Protection du consentement du client
Le consentement du client à la levée du secret bancaire doit être libre et éclairé.
Le Conseil d’État, dans sa décision du 30 décembre 2009 (n°306173, Société Experian), a posé deux conditions essentielles:
- Le client doit consentir librement et de manière expresse
- Il doit disposer d’une information complète lui permettant de prendre sa décision en connaissance de cause
La CNIL a également précisé dans sa délibération n°2007-044 du 8 mars 2007 qu’un consentement obtenu lors d’une demande de crédit, sans précision sur les données exactes transmises, ne peut être considéré comme valable.
3. CNIL et protection des données personnelles
La Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) dispose d’importants pouvoirs de contrôle sur les traitements de données effectués par les établissements bancaires.
L’article 19 de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 (dans sa version actuelle) autorise la CNIL à:
- Accéder aux locaux professionnels des banques de 6h à 21h
- Demander communication de tous documents nécessaires
- Recueillir tout renseignement utile à sa mission
Le secret bancaire peut-il être opposé à la CNIL? L’article 18 de la loi précise que le secret professionnel peut être invoqué, mais le Conseil constitutionnel a jugé que « l’invocation injustifiée du secret professionnel pourrait constituer une entrave » (décision n°2004-499 DC du 29 juillet 2004).
Cette entrave est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende (article 226-22-2 du Code pénal).
La CNIL a notamment considéré qu’un établissement de crédit ne pouvait pas se retrancher derrière le secret bancaire pour refuser de lui fournir des informations demandées par un client (Délibération n°2006-174 du 28 juin 2006).
4. Défenseur des droits
Le Défenseur des droits, institué par l’article 71-1 de la Constitution et encadré par la loi organique n°2011-333 du 29 mars 2011, a des pouvoirs d’investigation qui peuvent affecter le secret bancaire.
Selon l’article 20 de cette loi organique:
- Les personnes mises en cause doivent communiquer « toutes informations et pièces utiles à l’exercice de sa mission »
- Le Défenseur peut « recueillir sur les faits portés à sa connaissance toute information qui lui apparaît nécessaire sans que son caractère secret ou confidentiel puisse lui être opposé »
Toutefois, la portée exacte de ces dispositions reste ambiguë. L’avant-dernier alinéa de l’article 20 prévoit que « les personnes astreintes au secret professionnel ne peuvent être poursuivies » pour les informations révélées au Défenseur des droits, « dès lors que ces informations entrent dans le champ de compétence de ce dernier ».
Cette rédaction ne lève pas explicitement le secret bancaire, mais crée une immunité pour les personnes qui le violeraient au profit du Défenseur des droits.
5. Direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF)
Les agents de la DGCCRF disposent de pouvoirs étendus pour obtenir des informations couvertes par le secret bancaire.
L’article L.512-3 du Code de la consommation prévoit explicitement que « le secret professionnel ne peut être opposé aux agents agissant dans le cadre des pouvoirs qui leur sont conférés par le présent livre ».
Ces agents peuvent:
- Accéder aux locaux professionnels des banques entre 8h et 20h
- Demander communication de tous documents professionnels
- Recueillir sur place les renseignements nécessaires
La Cour de cassation a confirmé cette prérogative en jugeant que « le secret professionnel comme la protection des libertés individuelles des clients ne peuvent être opposés aux enquêteurs » (Cass. crim., 24 février 2009, n°08-84.410).
Dans le cas spécifique des relations entre l’établissement de crédit et son client, l’article L.317-1 du Code monétaire et financier permet également aux agents de la DGCCRF de rechercher et constater les infractions aux dispositions portant sur les conditions générales, les frais bancaires ou les contrats-cadres de services de paiement.
Le refus de communiquer est puni d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 300 000 euros (article L.450-8 du Code de commerce).
Sources
- Code des juridictions financières : articles L.141-5, L.241-2
- Ordonnance n°2022-408 du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics
- Code de la sécurité sociale : articles L.114-19 à L.114-21
- Circulaire DSS/2011/233 du 21 juillet 2011 relative aux conditions d’application du droit de communication
- Conseil d’État, 30 décembre 2009, n°306173, Société Experian
- Loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés
- Conseil constitutionnel, décision n°2004-499 DC du 29 juillet 2004
- CNIL, Délibération n°2006-174 du 28 juin 2006
- Loi organique n°2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits
- Code de la consommation : article L.512-3
- Code monétaire et financier : article L.317-1
- Cass. crim., 24 février 2009, n°08-84.410