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Les privilèges dans les procédures collectives : qui sera payé en premier ?

Table des matières

Quand une entreprise traverse une crise financière et entre en procédure collective, le jeu normal des sûretés est bouleversé. Cela est d’autant plus vrai pour le propriétaire d’un bien hypothéqué dont les droits et obligations se voient impactés. Les règles habituelles du Code civil cèdent la place à une logique différente, où l’enjeu n’est plus seulement le remboursement des créanciers, mais aussi la possible survie de l’entreprise.

Un jeu de privilèges modifié

En temps normal, les créanciers titulaires de sûretés ont l’assurance d’être payés selon l’ordre établi par le Code civil. Les privilèges immobiliers généraux priment sur les hypothèques, qui elles-mêmes l’emportent sur les créances chirographaires.

Mais l’ouverture d’une procédure collective change tout. La sauvegarde de l’entreprise et la protection de certains créanciers jugés plus vulnérables deviennent prioritaires.

L’ordonnance du 15 septembre 2021 a clarifié ce classement spécifique à l’article L.643-8 du Code de commerce, établissant une hiérarchie précise entre les créanciers.

Le superprivilège des salariés : la protection du travail

En tête de ce classement figure le superprivilège des salariés. Ce mécanisme garantit le paiement des salaires des 60 derniers jours de travail (90 jours pour les VRP), dans la limite d’un plafond mensuel.

« Les salariés, qui ne bénéficient pas des profits de l’entreprise, ne doivent pas supporter ses pertes », rappelle la Cour de cassation dans plusieurs arrêts.

Ce superprivilège prime tous les autres, à l’exception du droit de propriété et du droit de rétention, considérés comme « hors concours ». Son fondement est double : le caractère alimentaire des sommes dues et l’idée que le salarié ne doit pas subir les risques de l’activité.

L’AGS : un filet de sécurité supplémentaire

La protection des salariés est renforcée par l’intervention de l’AGS (Association pour la Gestion du régime de garantie des créances des Salariés). Ce mécanisme assure le paiement des créances salariales même si l’entreprise n’a pas les fonds disponibles.

L’AGS se trouve alors subrogée dans les droits des salariés et bénéficie elle-même du superprivilège pour les sommes qu’elle a avancées.

Le privilège de la procédure : encourager la poursuite d’activité

Viennent ensuite les créances nées après l’ouverture de la procédure collective, qui bénéficient du « privilège de la procédure » (articles L.622-17 et L.641-13 du Code de commerce).

Ce privilège concerne les créances nées pour:

  • Les besoins du déroulement de la procédure
  • La période d’observation ou le maintien provisoire de l’activité
  • Les prestations fournies après l’ouverture de la procédure

Son objectif est simple : permettre à l’entreprise de continuer à fonctionner pendant la procédure. Sans cette garantie, personne n’accepterait de contracter avec une entreprise en difficulté.

Ce privilège permet le paiement à l’échéance, sans attendre la clôture de la procédure, et confère un rang avantageux en cas de liquidation.

Le privilège de la conciliation : récompenser la prise de risque

Moins connu mais tout aussi important, le privilège de la conciliation (article L.611-11 du Code de commerce) protège ceux qui ont soutenu l’entreprise avant même l’ouverture d’une procédure collective.

Ce privilège, surnommé « privilège de l’argent frais » (new money), bénéficie aux personnes qui ont:

  • Consenti un nouvel apport en trésorerie
  • Fourni un nouveau bien ou service
  • Agi dans le cadre d’un accord de conciliation homologué

La particularité de ce privilège? Il n’existe que si la tentative de sauvetage échoue et qu’une procédure collective est ouverte après l’échec de la conciliation.

Son rang est particulièrement favorable puisqu’il se place juste après le superprivilège des salariés et les frais de justice.

Un classement hiérarchisé par la loi

L’article L.643-8 du Code de commerce établit aujourd’hui un ordre précis de distribution des fonds en cas de liquidation judiciaire:

  1. Les créances hors concours (propriété, rétention)
  2. Le superprivilège des salariés
  3. Les frais de justice postérieurs au jugement d’ouverture
  4. Le privilège des producteurs agricoles
  5. Le privilège de conciliation
  6. Les sûretés immobilières selon leur rang au Code civil
  7. Les créances salariales non superprivilégiées
  8. Les créances liées aux apports de trésorerie pour le plan
  9. Les créances des contrats poursuivis
  10. Les autres créances selon leur rang

Cette hiérarchie complexe montre bien que la procédure collective n’est plus seulement un outil de remboursement des créanciers, mais un mécanisme qui tente de concilier protection de l’emploi, incitation au soutien des entreprises en difficulté, et préservation des droits des créanciers antérieurs.

Les hypothèques et autres sûretés traditionnelles se trouvent reléguées au sixième rang, ce qui explique pourquoi les créanciers titulaires de ces garanties peuvent se sentir lésés par l’ouverture d’une procédure collective.

Ce système de privilèges spécifiques aux procédures collectives illustre la volonté du législateur de protéger certaines catégories de créanciers jugés plus vulnérables ou plus utiles à la survie de l’entreprise, quitte à bouleverser l’ordre normal des sûretés. Pour une compréhension approfondie de l’impact des procédures collectives sur les garanties immobilières et la défense de vos droits, l’accompagnement d’un avocat spécialisé en hypothèques est essentiel.

Sources

  • Code de commerce, article L. 643-8 issu de l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021
  • Code de commerce, articles L. 622-17 et L. 641-13
  • Code du travail, articles L. 3253-2 à L. 3253-4 et L. 7313-8
  • Fascicule 768 : « Sûretés sur les immeubles – Privilèges immobiliers », JurisClasseur Droit bancaire et financier
  • Fascicule 50 : « Sûretés sur les immeubles – Présentation générale et classement », JurisClasseur Notarial Répertoire

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