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Les sûretés sur les bateaux fluviaux : privilèges et hypothèques

Table des matières

Acquérir, entretenir ou exploiter un bateau de navigation intérieure représente souvent un investissement conséquent. Pour financer ces opérations, le recours au crédit est fréquent. Inversement, de nombreux professionnels (fournisseurs, réparateurs, équipages, autorités portuaires…) peuvent détenir des créances liées à l’exploitation du bateau. Comment les prêteurs peuvent-ils garantir leur remboursement ? Comment les autres créanciers peuvent-ils s’assurer d’être payés, en particulier si le propriétaire du bateau rencontre des difficultés financières ? C’est là qu’interviennent les sûretés réelles, des mécanismes juridiques qui affectent le bateau lui-même à la garantie d’une ou plusieurs dettes.

En droit fluvial français, deux grandes catégories de sûretés réelles peuvent grever un bateau immatriculé : les privilèges et l’hypothèque fluviale. Les privilèges sont des garanties accordées par la loi à certaines créances jugées particulièrement dignes de protection. Ils sont souvent prioritaires mais présentent la particularité d’être généralement occultes et temporaires. L’hypothèque fluviale, quant à elle, est une garantie créée par un contrat entre le propriétaire du bateau et son créancier ; elle doit être publiée pour être pleinement efficace et offre une sécurité plus durable. Comprendre le fonctionnement, l’étendue et surtout le classement de ces différentes sûretés est essentiel pour les créanciers comme pour les propriétaires. Il est d’ailleurs tout aussi fondamental de maîtriser l’ensemble des règles de la navigation fluviale ; ces sûretés en sont une composante essentielle pour la stabilité financière et la transmissibilité des bateaux. La propriété d’un bateau fluvial est donc soumise à des règles spécifiques qui régissent son financement et sa protection, notamment celles relatives à son identification, son immatriculation et son jaugeage. La compréhension des priorités entre privilèges et hypothèque fluviale peut ainsi déterminer la viabilité financière d’un projet nautique. Il est donc crucial pour tout propriétaire de bateau de bien se renseigner sur ses droits et obligations pour éviter des litiges ultérieurs.

Les privilèges : des garanties légales prioritaires mais souvent occultes

La loi reconnaît que certaines dettes liées au bateau ou à sa navigation méritent une protection renforcée. Elle leur accorde un privilège, c’est-à-dire un droit d’être payé par préférence sur le prix de vente du bateau, avant d’autres créanciers. On distingue deux types de privilèges applicables aux bateaux : ceux spécifiquement créés par le droit fluvial et ceux issus du droit commun du Code civil.

Les privilèges spécifiquement fluviaux

Le Code des transports, en harmonie avec le Protocole n°1 de la Convention de Genève de 1965, liste plusieurs créances bénéficiant d’un privilège fluvial. Il est intéressant de noter que ces privilèges peuvent naître même si le bateau est exploité par un tiers (un affréteur, par exemple) et non par son propriétaire. Le bien garantit alors la dette d’un autre, sauf si le propriétaire a été dépossédé illicitement et que le créancier était de mauvaise foi.

Quelles sont ces créances privilégiées ? L’article L. 4122-16 du Code des transports les énumère :

  1. Les frais de justice engagés pour parvenir à la vente forcée du bateau et à la distribution du prix (y compris les frais de garde pendant la saisie). Ces frais sont même payés avant tous les autres créanciers, même privilégiés.
  2. Les créances issues des contrats de travail du capitaine et des membres de l’équipage (pour les salaires, le privilège est limité à six mois). Cette priorité s’explique par le caractère alimentaire de ces rémunérations.
  3. Les rémunérations dues pour assistance ou sauvetage du bateau, ainsi que les contributions du bateau aux avaries communes (dépenses extraordinaires engagées volontairement pour le salut commun du bateau et de sa cargaison). Ces créances ont profité à tous en préservant le bien.
  4. Les indemnités dues pour les dommages causés par le bateau lors d’un abordage ou d’un autre accident de navigation. Attention : ce privilège ne couvre que les dommages causés aux autres bateaux, aux installations portuaires ou fluviales, et aux personnes ou biens ne se trouvant pas à bord du bateau responsable. Les passagers ou les propriétaires de marchandises transportées à bord ne bénéficient donc pas de ce privilège spécifique pour leurs propres dommages.
  5. Enfin, les taxes liées à la navigation (comme les péages VNF), les droits de port et les frais de pilotage éventuellement dus.

Le privilège couvre la créance principale, mais aussi les intérêts et les frais engagés par le créancier pour obtenir un titre exécutoire (un jugement de condamnation, par exemple).

Les privilèges du Code civil applicables aux bateaux

Outre ces privilèges spécifiquement fluviaux, l’article L. 4122-12 du Code des transports précise que les bateaux peuvent aussi être grevés par les privilèges généraux que le Code civil reconnaît sur les meubles (articles 2331 et 2332). Parmi les plus courants, on trouve :

  • Le privilège du vendeur du bateau impayé (privilège du vendeur de meuble).
  • Le privilège du « conservateur » : celui qui a engagé des frais pour la conservation de la chose.

C’est surtout ce dernier privilège qui peut soulever des questions pratiques. Que faut-il entendre par « frais de conservation » ? La jurisprudence hésite entre une approche stricte (frais indispensables pour éviter la perte matérielle imminente du bateau) et une approche plus économique (frais nécessaires pour maintenir le bateau en état de remplir sa fonction). Par exemple, la Cour de cassation a parfois refusé de considérer comme des frais de conservation l’installation d’équipements améliorant simplement l’exploitation ou la rentabilité. Toutefois, elle a admis le privilège lorsque l’installation d’un équipement (radio, etc.) était devenue obligatoire pour obtenir le permis de naviguer, car sans cela, le bateau aurait été impropre à sa destination (Com. 31 janv. 1962, Bull. civ. III, n° 66 ; Com. 9 oct. 1984, n° 83-15.370). La frontière reste parfois floue.

L’assiette et les caractéristiques des privilèges

Sur quoi portent ces privilèges ? Évidemment sur le bateau lui-même. Mais leur assiette s’étend aussi, selon l’article L. 4122-13 du Code des transports, à tous les objets qui, sans en faire partie intégrante, y sont attachés de manière permanente pour son exploitation (agrès, apparaux…). Cependant, si ces objets n’appartiennent pas au propriétaire du bateau (par exemple, du matériel loué ou vendu avec une clause de réserve de propriété), ils échappent au privilège. De plus, le statut légal des bateaux intérieurs peut également influencer la configuration des privilèges, car il détermine dans quelle mesure la réglementation nationale ou locale intervient dans la reconnaissance des droits des propriétaires. Il est donc essentiel de comprendre ce statut pour apprécier pleinement les implications juridiques qui en découlent, notamment en matière de protection des biens attachés au bateau. En effet, une mauvaise interprétation du statut légal pourrait mener à des litiges complexes sur la propriété et les droits de priorité.

Les privilèges bénéficient également d’une « subrogation réelle » sur certaines indemnités remplaçant le bateau : indemnités dues pour sa perte ou pour des dommages matériels non réparés (y compris celles issues d’assistance, sauvetage ou avaries communes). Attention toutefois : cette subrogation ne joue pas sur l’indemnité versée par l’assureur du bateau en cas de sinistre. Cette indemnité est réservée en priorité aux créanciers hypothécaires.

Un avantage majeur des privilèges est le droit de suite : ils suivent le bateau en quelques mains qu’il passe (article L. 4122-18 du Code des transports). Même si le bateau est vendu, le créancier privilégié pourra le faire saisir chez le nouvel acquéreur pour se faire payer.

Cependant, ce droit de suite est la contrepartie d’un inconvénient majeur : les privilèges fluviaux sont occultes. Ils naissent et s’exercent sans aucune formalité de publicité. Un acheteur, même de bonne foi, peut donc découvrir après l’achat l’existence d’un privilège antérieur dont il ignorait tout.

Pour limiter cette insécurité juridique, la loi a prévu une durée de vie très courte pour ces privilèges. Ils s’éteignent :

  • Soit avec la créance qu’ils garantissent.
  • Soit, et c’est la règle la plus importante, à l’expiration d’un délai très bref après la naissance de la créance : un an pour les privilèges liés aux salaires, à l’assistance/sauvetage et aux frais de justice de la vente ; six mois seulement pour les autres (dommages, taxes). Passé ce délai, le privilège disparaît, même si la créance existe toujours.
  • Enfin, la vente volontaire du bateau (si le créancier ne fait pas opposition rapidement) ou sa vente forcée en justice éteint également les privilèges.

L’hypothèque fluviale : la garantie conventionnelle par excellence

Demandée de longue date par la profession pour faciliter l’accès au crédit, l’hypothèque fluviale a été introduite en droit français par une loi de 1917, s’inspirant de l’hypothèque maritime. Régie aujourd’hui par les articles L. 4122-1 et suivants du Code des transports, elle est une sûreté beaucoup plus classique et sécurisante que les privilèges.

Comment constituer une hypothèque sur un bateau ?

Contrairement aux privilèges qui naissent automatiquement de la loi, l’hypothèque fluviale est exclusivement conventionnelle. Elle résulte d’un contrat passé entre le propriétaire du bateau (le débiteur ou une tierce personne qui affecte son bien en garantie de la dette d’autrui) et le créancier. Il n’existe pas d’hypothèque légale ou judiciaire en matière fluviale.

Quels bateaux peuvent être hypothéqués ? Uniquement les bateaux immatriculés ou en cours de construction (après une déclaration spécifique au bureau d’immatriculation). Un bateau non immatriculable ne peut pas être hypothéqué.

Le contrat d’hypothèque est solennel : il doit obligatoirement être constaté par écrit, sous peine de nullité (acte authentique notarié ou acte sous seing privé). Cet acte peut être établi « à ordre », ce qui permet de transmettre l’hypothèque en même temps que la créance par simple endossement, facilitant la circulation du crédit.

L’importance capitale de la publicité

C’est la différence fondamentale avec les privilèges occultes. Pour que l’hypothèque produise ses effets à l’égard des tiers (autres créanciers, acquéreur ultérieur…), elle doit impérativement être publiée. Cette publicité se fait par une inscription au greffe du tribunal de commerce du lieu d’immatriculation du bateau, sur le même registre que celui mentionné pour la publicité des ventes.

L’inscription se fait sur présentation de deux bordereaux détaillant la créance garantie, les parties, le bateau, et le titre constitutif d’hypothèque. C’est la date de cette inscription qui détermine le rang de l’hypothèque par rapport aux autres hypothèques éventuelles sur le même bateau (« premier inscrit, premier servi »). Si plusieurs hypothèques sont inscrites le même jour, elles viennent en concurrence. L’inscription garantit le capital de la créance, ainsi que trois années d’intérêts en plus de ceux de l’année en cours. Elle est valable dix ans et peut être renouvelée avant son expiration pour conserver son rang.

Grâce à cette publicité, toute personne intéressée (acheteur potentiel, autre créancier…) peut connaître précisément l’état hypothécaire du bateau en demandant un état des inscriptions au greffe. Un extrait de ces inscriptions (ou un certificat négatif) doit d’ailleurs se trouver à bord.

L’inscription peut être radiée (et l’hypothèque disparaît alors) soit par accord des parties, soit en vertu d’un jugement devenu définitif.

Ce que garantit l’hypothèque et ses effets

L’assiette de l’hypothèque est similaire à celle des privilèges : elle porte sur le bateau et ses accessoires attachés à demeure, sauf ceux n’appartenant pas au propriétaire.

Les effets de l’hypothèque pour le créancier sont classiques :

  • Un droit de préférence : le créancier hypothécaire sera payé sur le prix de vente du bateau avant les créanciers chirographaires et, sous certaines réserves, avant les titulaires de privilèges du Code civil. Son rang par rapport aux privilèges fluviaux et aux autres hypothèques dépend des règles de classement (voir ci-dessous).
  • Un droit de suite : le créancier peut saisir le bateau même s’il a été vendu à un tiers acquéreur après l’inscription de l’hypothèque. Contrairement au droit de suite des privilèges, celui de l’hypothèque ne crée pas d’insécurité, car l’hypothèque était publique et l’acquéreur pouvait (et devait) s’en informer.

Pour se protéger de ce droit de suite, l’acquéreur d’un bateau hypothéqué peut utiliser la procédure de purge (articles R. 4122-7 et suivants du Code des transports). Elle consiste à notifier aux créanciers inscrits son offre de payer immédiatement les dettes hypothécaires jusqu’à concurrence du prix d’achat. Si un créancier n’est pas satisfait, il peut requérir la mise aux enchères du bateau, en se portant premier enchérisseur pour un prix supérieur de 10% à l’offre de l’acquéreur. En cas de mise aux enchères, l’acquéreur doit être conscient que les créanciers ont la possibilité d’utiliser les voies d’exécution de la saisie pour faire valoir leurs droits. Cette situation peut entraîner des complications et des retards dans le transfert de propriété du bateau. Il est donc recommandé d’anticiper ces démarches et de chercher à négocier avec les créanciers avant de procéder à la purge.

Enfin, un avantage notable de l’hypothèque par rapport aux privilèges : en cas de perte ou d’avarie grave du bateau, le droit du créancier hypothécaire se reporte par subrogation réelle sur l’indemnité d’assurance versée par l’assureur. Les créanciers privilégiés n’ont pas cet avantage.

Qui est payé en premier ? Le classement des sûretés

Lorsqu’un bateau est vendu (volontairement ou en justice) et que plusieurs créanciers (privilégiés, hypothécaires, chirographaires) se présentent pour être payés sur le prix, un ordre de paiement strict doit être respecté. C’est souvent là que se jouent les véritables enjeux pour les créanciers.

La hiérarchie générale est la suivante :

  1. Les frais de justice engagés pour la vente forcée et la distribution du prix.
  2. Les privilèges fluviaux (dans l’ordre fixé par l’article L. 4122-16 : salaires équipage, assistance/sauvetage, dommages, taxes…). Entre créances de même rang, la répartition se fait au prorata, sauf pour les créances d’assistance/sauvetage où les plus récentes priment les plus anciennes.
  3. L’hypothèque fluviale (dont le rang entre plusieurs hypothèques dépend de la date d’inscription).
  4. Les privilèges du Code civil (conservateur, vendeur…).
  5. Les créanciers chirographaires (ceux qui n’ont aucune sûreté).

Cependant, cet ordre général connaît des exceptions importantes :

  • Le privilège fluvial pour dommages causés par le bateau ne prime l’hypothèque que si le dommage est antérieur à l’inscription de l’hypothèque.
  • Les privilèges du Code civil peuvent passer avant l’hypothèque si la créance est née avant l’inscription de l’hypothèque ET si le créancier privilégié était en possession du bateau ou l’avait fait saisir avant cette inscription.
  • Un point particulièrement défavorable pour les créanciers hypothécaires : la jurisprudence considère que le privilège général mobilier du Trésor public prime l’hypothèque fluviale, car aucune loi ne prévoit l’inverse (contrairement à ce qui existe pour les navires et aéronefs) (Com. 3 févr. 1998, n° 95-18.690). L’administration fiscale peut donc passer avant le banquier prêteur hypothécaire.

Naviguer dans le monde des sûretés fluviales demande une expertise certaine pour bien comprendre les droits et les risques de chacun. Que vous soyez créancier cherchant à garantir au mieux votre dû, propriétaire souhaitant utiliser votre bateau comme garantie pour un financement, ou acquéreur veillant à acheter un bien libre de charges imprévues, notre cabinet peut vous éclairer sur la meilleure stratégie et les précautions à prendre. Contactez-nous pour discuter de votre situation et découvrir notre offre complète de services juridiques en droit commercial.

Sources

  • Code des transports (articles L. 4122-1 à L. 4122-21, R. 4122-1 et s.)
  • Code civil (articles 2331, 2332)
  • Convention de Genève du 25 janvier 1965, Protocole n°1 relatif aux droits réels sur les bateaux de navigation intérieure
  • Jurisprudence citée (Com. 31 janv. 1962 ; Com. 9 oct. 1984 ; Com. 3 févr. 1998, n° 95-18.690)

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