La saisie d’un véhicule terrestre à moteur s’avère parfois délicate, entre véhicules atypiques, conflits de créanciers et procédures concurrentes. Pour naviguer dans ces eaux troubles, un examen des situations particulières s’impose.
Véhicules concernés et cas particuliers
Les véhicules immatriculés non motorisés
Une question épineuse concerne les véhicules immatriculés mais dépourvus de moteur. Les remorques et caravanes disposent d’une immatriculation propre mais ne correspondent pas strictement à la définition d’un « véhicule terrestre à moteur ».
L’article R. 311-1, 3.5 du Code de la route définit la remorque comme un « véhicule non automoteur sur roues, destiné à être tracté par un autre véhicule ». Cette distinction technique pourrait suggérer leur exclusion du régime de saisie spécifique aux véhicules à moteur.
Cependant, rien ne justifie d’octroyer une immunité à ces biens. La jurisprudence a développé une approche pragmatique :
- Pour la saisie par déclaration auprès de l’autorité administrative, l’immatriculation constitue le critère déterminant
- Pour l’immobilisation physique, les considérations pratiques prévalent
Un commissaire de justice peut ainsi procéder à la saisie par déclaration d’une remorque immatriculée, même si l’immobilisation par sabot s’avère techniquement inadaptée pour certaines remorques ou semi-remorques.
Gage automobile et réforme du droit des sûretés
L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 a profondément transformé le régime du gage automobile. Les articles 2351 à 2353 du Code civil, qui régissaient spécifiquement le « gage automobile », ont été abrogés.
Désormais, le gage sur véhicule relève du droit commun du gage (article 2338, alinéa 2 du Code civil). Cette évolution présente deux conséquences majeures :
- Tout créancier peut constituer un gage automobile, alors qu’auparavant seuls les vendeurs à crédit, cessionnaires ou prêteurs pour l’achat pouvaient le faire
- L’inscription s’effectue sur le Système d’Immatriculation des Véhicules (SIV)
Le décret n° 2023-97 du 14 février 2023 a clarifié les modalités d’inscription sur le registre dématérialisé tenu par le ministère de l’Intérieur. Cette publicité protège les acquéreurs potentiels, qui doivent obtenir un certificat de non-gage avant tout achat.
Interaction avec les procédures collectives
L’ouverture d’une procédure collective (redressement ou liquidation judiciaire) modifie considérablement l’équation pour les créanciers titulaires de droits sur un véhicule.
Action en revendication
L’article L. 624-9 du Code de commerce autorise la revendication des meubles « dans le délai de trois mois suivant la publication du jugement ouvrant la procédure ». Ce délai, impératif, constitue un piège redoutable pour le créancier inattentif.
Pour un créancier-bailleur (crédit-bail automobile), l’article L. 624-10 du même code apporte un avantage substantiel : le propriétaire est « dispensé de faire reconnaître son droit de propriété lorsque le contrat portant sur ce bien a fait l’objet d’une publicité ». Cette dispense ne joue toutefois que si la publicité a été effectuée avant le jugement d’ouverture (article R. 624-15).
La procédure suit un cheminement précis :
- Demande en restitution par lettre recommandée à l’administrateur ou au débiteur
- Copie adressée au mandataire judiciaire
- En l’absence d’accord dans le mois, saisine du juge-commissaire
Délais spécifiques
La temporalité constitue un élément crucial. L’article R. 624-14 du Code de commerce prévoit un délai d’un mois à compter de la réception de la demande pour que son destinataire donne son accord. Au-delà, le juge-commissaire devient l’arbitre de la situation.
À noter que même en l’absence de demande préalable en restitution, le juge-commissaire peut être saisi par l’administrateur ou le débiteur pour statuer sur les droits du propriétaire.
Conflits entre procédures
La pluralité des voies d’exécution génère inévitablement des conflits entre créanciers ou procédures. Ces situations, mal encadrées par les textes, nécessitent souvent l’intervention d’un spécialiste.
Conflit entre saisie par déclaration et saisie-vente
Aucune règle explicite ne résout le conflit entre un créancier ayant pratiqué une saisie-vente et un autre ayant procédé à une saisie par déclaration administrative sur le même véhicule.
La saisie-vente n’étant inscrite sur aucun registre, rien n’empêche techniquement qu’un même véhicule serve d’assiette à deux procédures distinctes. Les textes n’attribuent aucune priorité, ni au premier saisissant, ni à celui ayant choisi l’une ou l’autre procédure.
En pratique, trois solutions se dégagent :
- Un accord amiable entre créanciers (à privilégier)
- Une répartition judiciaire sur le prix de vente
- Une distribution au marc le franc (proportionnelle aux créances)
L’autorité administrative ne pourra opérer la mutation du certificat d’immatriculation sur présentation du procès-verbal de vente si une procédure déclarative existe, sauf mainlevée (article R. 223-4 du Code des procédures civiles d’exécution).
Conflit entre créanciers de différentes natures
La hiérarchie entre créanciers suit des règles précises. L’article R. 223-5 du Code des procédures civiles d’exécution précise que les « effets de la déclaration ne peuvent préjudicier au créancier titulaire d’un gage régulièrement inscrit ».
Un créancier gagiste prime donc un simple créancier déclarant. Cette priorité s’étend même à l’indemnité d’assurance en cas de destruction du véhicule, par application de la subrogation réelle prévue à l’article L. 121-13 du Code des assurances.
Situation plus délicate : celle d’un créancier gagiste n’ayant pas inscrit son gage. S’il ne pourra opposer son droit aux tiers, le gage reste valable entre les parties (article 1103 du Code civil).
La pratique des préfectures, qui refusent généralement d’enregistrer plusieurs saisies par déclaration sur un même véhicule, attribue de facto un droit de préférence au premier déclarant. Cette pratique administrative, sans fondement textuel clair, crée une forme de privilège non prévu par la loi.
Notre cabinet intervient régulièrement dans ces situations complexes. Une récente affaire impliquant une remorque de valeur et trois créanciers différents illustre l’importance d’une stratégie adaptée. Notre intervention a permis de préserver les droits de notre client face à des créanciers plus anciens mais moins vigilants dans leurs démarches.
Sources
- Code des procédures civiles d’exécution, notamment articles L. 223-1 à L. 223-2 et R. 223-1 à R. 223-13
- Code de commerce, articles L. 624-9 à L. 624-10 et R. 624-14 à R. 624-15
- Code civil, article 2338 modifié par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021
- Décret n° 2023-97 du 14 février 2023 relatif à la publicité du gage portant sur un véhicule terrestre à moteur
- BOUR Rémy, « Saisie des véhicules terrestres à moteur », Répertoire de procédure civile, Dalloz, octobre 2024