Vous avez obtenu une décision de justice à l’étranger qui vous est favorable, par exemple la condamnation d’un débiteur à vous payer une somme d’argent. Si cette personne réside en France ou y possède des biens, vous pourriez penser qu’il suffit de présenter le jugement étranger pour obtenir satisfaction. Malheureusement, la situation est plus complexe. Pour pouvoir utiliser les moyens de contrainte légale en France (comme une saisie sur compte bancaire ou sur salaire), votre jugement étranger doit recevoir une sorte d’autorisation officielle française : c’est la procédure d’exequatur. Sans cette étape, votre décision étrangère, même parfaitement valable dans son pays d’origine, reste lettre morte sur le plan de l’exécution forcée en France. Cet article vous explique quand cette procédure est indispensable et comment elle se déroule globalement devant les tribunaux français.
Quand l’exequatur est-il absolument nécessaire ?
Le principe est simple : l’exequatur est obligatoire dès que vous envisagez une exécution forcée sur le territoire français. Autrement dit, si la personne condamnée par le jugement étranger ne s’exécute pas volontairement, vous aurez besoin de l’exequatur pour pouvoir utiliser les pouvoirs de la force publique française afin de l’y contraindre.
Voici des exemples concrets où l’exequatur est indispensable :
- Saisir des biens : Pour faire saisir les comptes bancaires, les salaires, les meubles ou les biens immobiliers appartenant à votre débiteur et situés en France.
- Contraindre à une action : Pour obliger une personne à respecter une décision étrangère impliquant une action physique en France, comme la remise d’un enfant conformément à une décision sur la garde parentale, ou la libération d’un logement.
- Prendre une garantie officielle : Pour inscrire une hypothèque judiciaire sur un immeuble français, basée sur une condamnation pécuniaire étrangère, afin de sécuriser votre créance.
En résumé, dès qu’il faut recourir à un huissier de justice pour une mesure de contrainte en France sur la base d’une décision étrangère, l’exequatur préalable est un passage obligé. L’article 509 du Code de procédure civile le rappelle : les jugements étrangers ne sont susceptibles d’exécution en France que s’ils ont été déclarés exécutoires par un juge français.
Il faut bien distinguer ces situations de celles où seule la reconnaissance d’un état ou d’un droit est en jeu, sans besoin de contrainte. Comme nous l’avons évoqué dans notre précédent article, la reconnaissance d’un divorce étranger pour pouvoir se remarier en France, par exemple, ne nécessite généralement pas d’exequatur préalable. C’est la finalité – l’exécution forcée – qui déclenche l’obligation de passer par cette procédure spécifique.
Qui est compétent pour accorder l’exequatur en France ?
Seules les autorités judiciaires françaises peuvent accorder l’exequatur à un jugement étranger pour qu’il produise ses effets d’exécution en France. Aucune autorité étrangère ne peut le faire.
La compétence matérielle appartient au Tribunal Judiciaire. C’est donc devant ce tribunal que la demande d’exequatur doit être portée.
Quant à la compétence territoriale, la règle générale s’applique : il faut saisir le tribunal du lieu où demeure la personne contre qui l’exequatur est demandé (le défendeur). Si cette personne réside à l’étranger ou si son domicile est inconnu, le demandeur peut généralement saisir le tribunal du lieu où l’exécution du jugement est envisagée (par exemple, lieu de situation d’un bien immobilier à saisir) ou, éventuellement, celui de son propre domicile en France. La pratique admet aussi souvent la compétence du Tribunal Judiciaire de Paris, en raison de son expérience en la matière.
Comment se déroule la procédure d’exequatur (grandes lignes) ?
Obtenir l’exequatur n’est pas une simple formalité administrative. Il s’agit d’une véritable procédure judiciaire qui se déroule devant le Tribunal Judiciaire.
Elle est introduite par une assignation, un acte délivré par huissier de justice à la partie adverse. Cela signifie que la personne contre qui vous demandez l’exequatur sera informée de votre démarche et pourra se défendre. L’assistance d’un avocat est obligatoire pour cette procédure.
Le point essentiel à comprendre concerne le rôle du juge français saisi de la demande d’exequatur. Son pouvoir est strictement encadré : il ne rejuge pas l’affaire sur le fond. Le juge français n’est pas un juge d’appel de la décision étrangère. Il ne va pas réexaminer les faits, ni vérifier si le juge étranger a correctement appliqué le droit de son pays ou un autre droit. La question de savoir si la décision étrangère était « bien jugée » ou « mal jugée » n’est pas son problème. C’est le principe fondamental de la prohibition de la révision au fond, établi de longue date par la jurisprudence française (notamment depuis l’arrêt Munzer de 1964).
Alors, que fait le juge français ? Il exerce un contrôle de régularité internationale. Il vérifie uniquement si le jugement étranger respecte un certain nombre de conditions essentielles pour pouvoir être admis dans l’ordre juridique français. Ces conditions, qui feront l’objet de notre prochain article, portent notamment sur :
- La compétence du tribunal étranger qui a rendu la décision.
- La régularité de la procédure suivie à l’étranger (respect des droits de la défense).
- La conformité de la décision à l’ordre public international français (ne pas heurter les valeurs fondamentales françaises).
- L’absence de fraude à la loi.
À l’issue de ce contrôle, le juge français rendra une décision :
- Soit il accorde l’exequatur : le jugement étranger est alors déclaré exécutoire en France.
- Soit il refuse l’exequatur : le jugement étranger ne pourra pas faire l’objet d’une exécution forcée en France.
Quels documents préparer ?
Pour introduire une demande d’exequatur, le demandeur doit fournir au tribunal un certain nombre de pièces justificatives. Ces documents sont essentiels pour permettre au juge français d’effectuer son contrôle. Les pièces habituellement requises sont :
- Une copie authentique du jugement étranger : Il ne s’agit pas d’une simple photocopie, mais d’une expédition officielle délivrée par le greffe du tribunal étranger, revêtue des sceaux ou cachets nécessaires attestant de son authenticité (parfois appelée « grosse » ou copie exécutoire).
- La preuve du caractère exécutoire du jugement dans son pays d’origine : Le jugement doit être définitif ou au moins exécutoire (même s’il existe encore des voies de recours non suspensives) selon la loi du pays où il a été rendu. Un certificat du greffe étranger ou une mention sur le jugement peut l’attester. Un jugement qui ne serait pas (ou plus) exécutoire dans son pays d’origine ne peut pas l’être davantage en France.
- La preuve de la signification ou notification du jugement : Il faut prouver que la décision a été officiellement portée à la connaissance de la partie adverse, notamment si celle-ci a fait défaut lors du procès à l’étranger.
- La preuve de la signification de l’acte introductif d’instance : Si le défendeur n’a pas comparu à l’étranger, il faut prouver qu’il a bien été assigné et a eu la possibilité de se défendre.
- Une traduction assermentée : Si le jugement et les pièces justificatives sont rédigés dans une langue étrangère, une traduction en français réalisée par un traducteur agréé auprès des tribunaux français est indispensable.
Il est important de rassembler ces documents avec soin, car leur absence ou leur insuffisance peut conduire au rejet de la demande.
Que se passe-t-il une fois l’exequatur obtenu ?
Si le juge français accorde l’exequatur, le jugement étranger acquiert, sur le territoire français, la même force exécutoire qu’un jugement rendu par un tribunal français.
Cela signifie concrètement que vous pouvez alors mandater un huissier de justice en France pour mettre en œuvre les mesures d’exécution forcée nécessaires (saisies, expulsion, etc.), comme vous le feriez pour un jugement français. La décision étrangère, une fois revêtue de l’exequatur, devient un titre exécutoire français à part entière pour les besoins de son application forcée.
Il faut noter que certaines conventions internationales ou règlements européens peuvent prévoir des procédures d’exequatur simplifiées, voire une suppression de l’exequatur pour certains types de jugements circulant au sein de l’Union européenne. Ces régimes spécifiques dérogent au droit commun décrit ici.
La procédure d’exequatur est une étape technique mais souvent incontournable pour donner toute sa portée à un jugement étranger en France, particulièrement lorsqu’une exécution forcée est nécessaire. Compte tenu des conditions à vérifier et des pièces à fournir, l’accompagnement par un avocat compétent en droit international privé est fortement recommandé pour mener à bien cette démarche, et plus généralement pour naviguer les complexités des jugements en droit français. Pour une analyse personnalisée de votre cas, notre équipe se tient à votre disposition.
Sources
- Code de procédure civile (notamment article 509)
- Code civil (notamment article 2401 pour l’hypothèque judiciaire)
- Code des procédures civiles d’exécution (notamment article L. 111-3)
- Jurisprudence (principe de non-révision au fond, arrêt Munzer)
- Règlements de l’Union européenne et conventions internationales applicables.