Nous avons vu dans un précédent article à quel point le principe du contradictoire est essentiel pour garantir un débat équilibré devant la justice civile. Mais un procès équitable ne se résume pas uniquement à la possibilité de répondre aux arguments de son adversaire. D’autres principes fondamentaux, parfois moins connus mais tout aussi importants, contribuent à assurer que la justice soit rendue dans des conditions respectueuses des droits de chacun et de l’intérêt général.
Cet article se penche sur ces garanties complémentaires : la liberté fondamentale de choisir comment et par qui être défendu, l’exigence de transparence à travers la publicité de la justice, et enfin les règles qui visent à assurer des débats sereins et loyaux. Ensemble, ces principes forment un cadre essentiel pour une bonne administration de la justice.
La liberté de la défense : choisir comment et par qui être défendu
Le droit de se défendre est au cœur du procès. Cette liberté recouvre deux aspects principaux : la possibilité de se défendre soi-même et celle de choisir son représentant ou assistant.
Se défendre soi-même : un droit de plus en plus théorique ?
L’article 18 du Code de procédure civile affirme que les parties « peuvent se défendre elles-mêmes, sous réserve des cas dans lesquels la loi en dispose autrement ». En théorie, vous avez donc le droit d’assurer seul votre défense, de présenter vos arguments et de plaider votre cause sans intermédiaire.
Cependant, la réserve posée par le texte (« sauf les cas où la loi… ») est devenue l’écrasante majorité des situations devant les juridictions civiles principales. Les réformes successives ont considérablement étendu le champ de la représentation obligatoire par avocat. C’est désormais la règle devant le Tribunal Judiciaire (article 760 du Code de procédure civile) et la Cour d’appel. Cette obligation s’est même étendue à des domaines où elle n’existait pas, comme devant le Juge de l’exécution ou, pour certaines affaires, devant le Tribunal de commerce (article 853 du Code de procédure civile).
Cette évolution, motivée par une volonté de professionnaliser et d’accélérer les procédures, rend la liberté de se défendre soi-même largement théorique dans de nombreux contentieux. Bien sûr, même lorsque vous êtes représenté par un avocat, le juge conserve toujours la possibilité de vous entendre personnellement (article 20 du Code de procédure civile), mais ce n’est qu’une faculté pour lui, pas un droit systématique pour vous.
Choisir son défenseur : une liberté fondamentale, mais encadrée
Que la représentation soit obligatoire ou non, l’article 19 du Code de procédure civile consacre la liberté pour les parties de « choisiss[ir] librement leur défenseur, soit pour se faire représenter soit pour se faire assister ». Ce libre choix est reconnu comme un droit fondamental, essentiel à l’exercice effectif des droits de la défense et au procès équitable (garanti par l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme). La relation de confiance entre le justiciable et son conseil est ici primordiale.
Toutefois, cette liberté n’est pas absolue et connaît des limites légales :
- Limites liées à la qualité du défenseur :
- Lorsque la représentation n’est pas obligatoire (par exemple, devant le Conseil de Prud’hommes ou le Tribunal Paritaire des Baux Ruraux), la loi liste les personnes habilitées à représenter ou assister une partie (avocat, mais aussi conjoint, concubin, partenaire de PACS, parent, représentant syndical ou associatif agréé, selon les juridictions – voir par exemple article 762 du Code de procédure civile ou R. 1453-2 du Code du travail). Vous ne pouvez pas choisir n’importe qui.
- Lorsque la représentation est obligatoire, le choix se restreint aux professionnels qui bénéficient d’un monopole : principalement les avocats devant le Tribunal Judiciaire et la Cour d’appel, et les avocats aux Conseils (avocats spécialisés près la Cour de cassation et le Conseil d’État) devant ces hautes juridictions (article 973 du Code de procédure civile).
- Limites géographiques pour les avocats : la postulation
- Même en choisissant un avocat, une autre limite s’applique devant le Tribunal Judiciaire et la Cour d’appel : la règle de la postulation territoriale. En principe (depuis la loi du 31 décembre 1971 modifiée), pour accomplir les actes de procédure, vous devez mandater un avocat inscrit au barreau du ressort de la Cour d’appel où se trouve le tribunal (article 5 de la loi de 1971). Votre avocat plaidant habituel, s’il n’est pas de ce ressort, devra donc faire appel à un confrère « postulant » local, sauf dans les cas où la postulation a été élargie (notamment au niveau national devant les TJ depuis la loi « Macron » de 2015, sauf exceptions comme la saisie immobilière). Cette règle vise à garantir une bonne connaissance des usages locaux et à faciliter les relations avec la juridiction.
La publicité de la justice : la transparence comme gage de confiance
Un autre principe essentiel à une justice démocratique est celui de sa publicité. L’idée est que la justice ne doit pas être rendue en secret, mais sous le regard des citoyens. Cela favorise la confiance du public et constitue une garantie contre l’arbitraire. Cette publicité concerne tant les débats que les décisions elles-mêmes.
La publicité des débats : portes ouvertes sur l’audience
L’article 22 du Code de procédure civile pose le principe : « Les débats sont publics, sauf les cas où la loi exige ou permet qu’ils aient lieu en chambre du conseil ». L’article 433 confirme cette règle.
Cela signifie que, sauf exception, n’importe qui (public, journalistes) doit pouvoir assister à l’audience, écouter les plaidoiries et voir comment le procès se déroule. Cette transparence est vue comme une condition du procès équitable (article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme), car elle permet un contrôle démocratique sur l’action des juges et pousse ces derniers à une plus grande rigueur.
Bien entendu, ce principe connaît des exceptions, justifiées par la nécessité de protéger d’autres intérêts :
- La loi impose la chambre du conseil (débats non publics) pour protéger l’intimité de la vie privée, notamment en matière familiale (divorce, autorité parentale – voir articles 248, 298 du Code civil, 1189 du Code de procédure civile) ou pour préserver le secret des affaires (article L. 153-1 du Code de commerce). La matière gracieuse se déroule également en chambre du conseil (article 434).
- Le juge peut décider de tenir l’audience en chambre du conseil si la publicité risque de porter atteinte à l’intimité de la vie privée, ou de troubler la sérénité des débats (article 435).
- Les parties peuvent demander conjointement la chambre du conseil, mais le juge n’est pas obligé d’accepter.
Il faut noter que la sanction du défaut de publicité des débats est assez faible en pratique : l’article 446 du Code de procédure civile prévoit que cette irrégularité doit être soulevée avant la fin des débats pour entraîner une éventuelle nullité, ce qui arrive rarement.
La publicité des jugements : savoir ce qui a été décidé
Le principe de publicité s’étend également aux décisions de justice elles-mêmes. L’article 451 du Code de procédure civile (reprenant la loi du 5 juillet 1972) prévoit que « les décisions contentieuses sont prononcées en audience publique ».
En pratique, cela signifie souvent que la décision est rendue publique par sa mise à disposition au greffe de la juridiction, une modalité prévue par l’article 450 et jugée conforme aux exigences européennes.
Les exceptions à la publicité du jugement sont similaires à celles des débats : matière gracieuse, certaines affaires relatives à l’état et la capacité des personnes, protection de la vie privée ou du secret des affaires.
Ce principe de publicité des décisions prend une nouvelle dimension avec le développement de l’Open Data des décisions de justice. Suite aux lois pour une République Numérique (2016) et de Réforme pour la Justice (2019), les décisions de justice ont vocation à être mises en ligne et accessibles au public, après une procédure d’anonymisation visant à protéger les données personnelles des parties et l’identité des magistrats et greffiers. C’est un enjeu majeur qui cherche à équilibrer la transparence de la justice et la protection des droits individuels.
Un cadre serein et loyal pour les débats
Enfin, pour que la justice puisse être rendue correctement, les débats doivent se dérouler dans un climat de respect et de loyauté.
La langue française comme règle
L’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539 et l’article 2 de la Constitution l’imposent : le français est la langue de la justice en France. Les décisions doivent être rédigées en français. Cependant, l’article 23 du Code de procédure civile apporte une souplesse : le juge n’est pas obligé de faire appel à un interprète s’il comprend la langue dans laquelle une partie s’exprime. Des dispositions spécifiques (article 23-1) existent aussi pour garantir la communication avec les personnes sourdes ou malentendantes (interprète LSF, etc.).
L’obligation de réserve : le respect dû à la justice
L’article 24 du Code de procédure civile rappelle une évidence : « Les parties doivent garder en tout le respect dû à la justice ». Cela s’applique aux écrits comme aux paroles, et concerne le respect envers le tribunal, les adversaires et les auxiliaires de justice. Le juge dispose de pouvoirs de police de l’audience pour sanctionner les manquements (rappels à l’ordre, suppression d’écrits injurieux, etc.).
La loyauté des débats : un standard de bonne foi
Si le Code de procédure civile ne contient pas d’article proclamant explicitement un « principe de loyauté » pour le procès judiciaire (contrairement à la procédure d’arbitrage, voir article 1464), la jurisprudence a néanmoins consacré l’idée que le juge doit « respecter et faire respecter la loyauté des débats » (Civ. 1ère, 7 juin 2005).
Ce standard de loyauté peut être invoqué pour sanctionner des comportements considérés comme déloyaux ou dilatoires, par exemple la communication répétée de conclusions juste avant la clôture pour désorganiser la défense adverse.
On rattache parfois à cette idée de loyauté le principe de l’estoppel, ou « interdiction de se contredire au détriment d’autrui ». Importé de la common law, ce principe a été reconnu timidement par la Cour de cassation (Assemblée Plénière, 27 février 2009). Son application en droit français reste cependant très limitée : il ne sanctionne pas le simple fait de changer d’avis ou d’argument, mais plutôt un changement de position procédurale qui induirait l’adversaire en erreur et lui causerait un préjudice, révélant une mauvaise foi manifeste. Son invocation reste exceptionnelle.
Un procès civil équitable est donc bien plus qu’un simple échange d’arguments. Il repose sur un ensemble de garanties qui touchent à la liberté de se défendre, à la transparence de l’institution judiciaire et à la loyauté des échanges. Connaître ces principes vous permet non seulement de veiller au respect de vos propres droits mais aussi de comprendre les attentes légitimes de la justice à votre égard. Si vous pensez qu’un de ces principes fondamentaux a été méconnu dans votre affaire, ou si vous souhaitez être conseillé sur la conduite à tenir pour respecter scrupuleusement ce cadre, notre cabinet est à votre écoute pour analyser votre situation.
Sources
- Code de procédure civile : articles 18, 19, 20, 22, 23, 23-1, 24, 433, 434, 435, 446, 450, 451, 760, 762, 853, 884, 973, 1464.
- Code civil : articles 248, 298, 1189.
- Code du travail : article R. 1453-2.
- Code de justice administrative : article R. 432-1.
- Code de commerce : article L. 153-1.
- Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques : article 5.
- Loi n° 72-626 du 5 juillet 1972 instituant un juge de l’exécution et relative à la réforme de la procédure civile : article 11-2.
- Loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique.
- Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice : article 33.
- Constitution du 4 octobre 1958 : article 2.
- Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales : article 6.
- Jurisprudence de la Cour de cassation : Civ. 1ère, 7 juin 2005, n° 05-60.044 (loyauté des débats) ; Ass. Plén., 27 février 2009, n° 07-19.841 (estoppel).