Nantissement conservatoire de parts sociales et valeurs mobilières : procédure, effets et conversion

Table des matières

Lorsqu’un créancier cherche à sécuriser le recouvrement de sa créance, les droits que son débiteur détient dans une société constituent une cible de choix. Le nantissement conservatoire de parts sociales ou de valeurs mobilières est une procédure efficace qui permet de « geler » ces actifs dans l’attente d’une décision de justice. Cette mesure, qui s’inscrit dans le cadre plus large des sûretés judiciaires, offre une garantie solide au créancier. Toutefois, sa mise en œuvre est technique et répond à un formalisme précis. Elle nécessite une compréhension fine des règles qui régissent les droits d’associés pour éviter les écueils. Pour toute problématique liée à ces garanties, l’assistance d’un avocat est une aide précieuse pour naviguer entre les impératifs procéduraux et la défense de vos intérêts.

Domaine du nantissement conservatoire : parts sociales et valeurs mobilières

Avant d’engager une telle mesure, il est indispensable d’identifier correctement la nature des droits détenus par le débiteur. Le régime juridique applicable n’est pas le même selon qu’il s’agit de parts sociales ou de valeurs mobilières. Cette distinction conditionne la procédure à suivre et l’efficacité de la garantie. De manière générale, ces actifs entrent dans la catégorie des droits incorporels, dont le traitement obéit à des règles spécifiques. Pour une vue d’ensemble, il peut être utile de se reporter à notre article sur la saisie des droits incorporels.

Distinction entre parts sociales et valeurs mobilières

La différence fondamentale entre ces deux types de titres réside dans la nature de la société qui les a émis. Les parts sociales sont les titres représentatifs du capital des sociétés de personnes, comme les sociétés à responsabilité limitée (SARL), les sociétés en nom collectif (SNC) ou les sociétés civiles. Elles ne sont pas, par nature, librement négociables. Leur cession est souvent encadrée par une procédure d’agrément des autres associés, car elles matérialisent un lien fort entre les associés (l’intuitu personae).

À l’inverse, les valeurs mobilières sont des titres financiers émis par les sociétés de capitaux, principalement les sociétés anonymes (SA) et les sociétés par actions simplifiées (SAS). Elles incluent les actions, les obligations ou d’autres titres donnant accès au capital. Leur caractéristique principale est d’être négociables et, pour les sociétés cotées, d’être fongibles. Elles peuvent donc être achetées et vendues sur un marché financier, ce qui facilite les opérations de saisie et de nantissement.

Portée du nantissement : titres concernés et exclusion de certains droits incorporels

Le nantissement conservatoire peut porter sur l’ensemble des valeurs mobilières et des droits d’associé appartenant au débiteur, comme le prévoit l’article L. 521-1 du Code des procédures civiles d’exécution. Cela inclut non seulement les titres eux-mêmes (actions, parts sociales), mais aussi les droits pécuniaires qui y sont attachés. Concrètement, la mesure de nantissement appréhende les dividendes futurs, le boni de liquidation en cas de dissolution de la société, et toute somme qui serait distribuée aux associés.

Cependant, tous les droits qu’un associé détient à l’encontre de la société ne sont pas concernés. Il convient de bien distinguer le nantissement, qui est une sûreté, de la saisie. Pour en savoir plus sur cette dernière, vous pouvez consulter notre article sur la saisie conservatoire des valeurs mobilières et droits d’associé. Le nantissement ne peut porter, par exemple, sur les sommes inscrites au crédit du compte courant d’associé du débiteur. Ce compte courant représente une créance distincte que l’associé détient contre la société. Pour bloquer ces fonds, le créancier devra recourir à une autre procédure : la saisie conservatoire de créances.

La mise en œuvre de la publicité provisoire

La procédure de nantissement conservatoire débute par un acte de publicité qui vise à informer la société émettrice ou l’intermédiaire financier de l’existence de la sûreté. Cette étape est essentielle, car elle marque le point de départ de l’indisponibilité des titres et fixe le rang du créancier.

Signification de l’acte à la société ou à l’intermédiaire habilité

La publicité est réalisée par la signification d’un acte d’huissier de justice (aujourd’hui commissaire de justice). La destination de cet acte dépend de la nature des titres. S’il s’agit de parts sociales (SARL, société civile), l’acte est signifié directement à la société qui les a émises, en la personne de son représentant légal. S’il s’agit de valeurs mobilières admises aux opérations d’un dépositaire central (cas des sociétés cotées) ou inscrites en compte chez un intermédiaire habilité (une banque, par exemple), l’acte doit être signifié à cet intermédiaire. C’est cette signification qui rend la mesure opposable aux tiers et en premier lieu, à la société ou à l’intermédiaire.

Contenu de l’acte et mentions obligatoires

Pour être valable, l’acte de nantissement doit comporter des mentions obligatoires, sous peine de nullité. Conformément aux dispositions du Code des procédures civiles d’exécution, notamment les articles R. 523-1 et suivants, il doit indiquer :

  • Les nom et domicile du débiteur, ou sa dénomination et son siège social.
  • Les nom et domicile du créancier saisissant.
  • L’autorisation du juge ou le titre en vertu duquel la mesure est pratiquée.
  • Le décompte des sommes pour lesquelles la sûreté est prise, incluant le principal, les frais et les intérêts.
  • Une identification précise des droits d’associé nantis (nombre de parts ou d’actions, société émettrice).
  • L’indication que la mesure rend les droits pécuniaires indisponibles.

L’omission d’une de ces mentions peut entraîner la nullité de l’acte et donc l’inefficacité de la garantie.

Obligations de renseignement du tiers saisi

La personne morale ou l’intermédiaire qui reçoit la signification de l’acte (le « tiers saisi ») a une obligation de collaboration. Selon l’article L. 211-5 du Code des procédures civiles d’exécution, il est tenu de fournir au commissaire de justice toutes les informations utiles concernant les droits du débiteur. Il doit notamment déclarer l’étendue des droits de l’associé, le nombre de titres détenus, ainsi que l’existence d’éventuels nantissements ou saisies antérieures qui grèveraient déjà ces titres. Cette déclaration est fondamentale pour le créancier, car elle lui permet de connaître la valeur réelle de sa garantie et la situation juridique exacte des actifs.

Effets de la publicité provisoire du nantissement conservatoire

La signification de l’acte de nantissement produit des effets immédiats et puissants. Le principal est de rendre les titres indisponibles, mais cette indisponibilité est nuancée et ne paralyse pas tous les droits de l’associé débiteur.

L’indisponibilité des droits pécuniaires et le maintien des droits politiques

L’effet majeur du nantissement conservatoire est de frapper d’indisponibilité les droits pécuniaires attachés aux parts ou actions. Concrètement, le débiteur ne peut plus céder, donner en garantie ou transmettre ses titres. Toute cession qui interviendrait en violation de cette indisponibilité serait inopposable au créancier saisissant. Les fruits et produits des titres, comme les dividendes, sont également bloqués. La société ou l’intermédiaire ne peut plus les verser au débiteur ; ils doivent être consignés.

En revanche, le nantissement conservatoire ne prive pas le débiteur de ses droits politiques. Sauf disposition contraire, l’associé débiteur conserve son droit de vote aux assemblées générales. Il continue de participer à la vie sociale de l’entreprise. Cette distinction est logique : la mesure vise à garantir une créance, pas à exclure l’associé de la société.

Le concours de saisies et la consignation des sommes

Il arrive fréquemment que plusieurs créanciers cherchent à se garantir sur les mêmes titres. En cas de pluralité de nantissements ou de concours avec une saisie, la règle applicable est celle de l’antériorité. Le premier créancier à avoir signifié son acte sera le premier à être payé sur le produit de la vente des titres. C’est pourquoi la rapidité d’action est souvent un facteur clé de succès.

Les sommes qui deviennent exigibles durant la période d’indisponibilité, comme les dividendes, ne peuvent être versées ni au débiteur, ni aux créanciers. Le tiers saisi doit les consigner auprès de la Caisse des Dépôts et Consignations. Ces fonds seront répartis ultérieurement entre les créanciers, une fois leur rang respectif définitivement établi.

La mainlevée par constitution de garantie

Le débiteur n’est pas totalement démuni. S’il souhaite retrouver la libre disposition de ses titres, par exemple pour les céder dans le cadre d’une opération stratégique, il peut demander la mainlevée du nantissement. Pour l’obtenir, il doit proposer une garantie équivalente au créancier, comme le prévoit l’article L. 512-1 du Code des procédures civiles d’exécution. Cette garantie prend souvent la forme d’une caution bancaire ou d’une consignation d’une somme d’argent suffisante pour couvrir la créance en principal, intérêts et frais. Si le créancier l’accepte ou si le juge l’ordonne, la garantie initiale est libérée et le nantissement est levé.

Les droits du débiteur : contestation, mainlevée et substitution

Le débiteur dispose de plusieurs voies de recours pour contester la mesure ou en limiter les effets. Ces recours sont enfermés dans des délais stricts et doivent être portés devant le juge de l’exécution (JEX). Il est important de noter que l’ouverture d’une procédure collective peut avoir une incidence majeure sur ces droits, un sujet que nous abordons dans notre article sur les mesures conservatoires face aux procédures collectives.

Conditions et délais pour demander la mainlevée

Le débiteur peut contester la mesure de nantissement dans un délai d’un mois à compter de la signification de l’acte. La contestation est portée devant le juge de l’exécution du lieu où demeure le débiteur. Les motifs de contestation peuvent être variés :

  • L’inexistence ou le manque de fondement de la créance.
  • L’irrégularité de la procédure de nantissement (vice de forme dans l’acte).
  • Le caractère disproportionné de la mesure par rapport au montant de la créance.

Si le juge accueille la contestation, il peut ordonner la mainlevée totale ou partielle du nantissement.

Possibilité de substitution de garantie

Comme évoqué précédemment, le débiteur peut à tout moment solliciter le remplacement du nantissement sur ses titres par une autre garantie. Cette faculté de substitution est un outil précieux pour l’associé qui a besoin de récupérer la maîtrise de ses actifs. La garantie de substitution doit être d’une valeur suffisante pour désintéresser le créancier. Si ce dernier refuse la substitution, il appartiendra au juge de trancher en appréciant si la nouvelle garantie proposée est aussi efficace que le nantissement initial.

La publicité définitive du nantissement conservatoire

La phase conservatoire est par nature temporaire. Pour que la garantie devienne pérenne et permette au créancier d’être payé, elle doit être convertie en nantissement définitif. Cette conversion, ou « publicité définitive », n’est possible que lorsque le créancier obtient un titre exécutoire constatant sa créance (un jugement de condamnation, par exemple).

Formalités d’inscription et règles d’agrément

Une fois le titre exécutoire obtenu, le créancier doit procéder à de nouvelles formalités de publicité. Celles-ci consistent en une inscription du nantissement définitif. Pour les parts sociales, cette inscription se fait sur un registre spécial tenu au greffe du tribunal de commerce du lieu d’immatriculation de la société.

Une difficulté particulière surgit pour les parts sociales en raison des clauses d’agrément. Si les statuts de la société prévoient que toute cession de parts est soumise à l’agrément des autres associés, cette clause s’applique également en cas de vente forcée. Le créancier devra donc notifier son projet de vente aux associés, qui pourront soit agréer l’acquéreur proposé, soit racheter eux-mêmes les parts. Ce mécanisme protège le caractère fermé de la société mais peut complexifier la réalisation de la garantie. Cette sûreté mobilière, bien que puissante, doit donc être analysée au cas par cas, comme nous l’expliquons dans notre article général sur le nantissement.

Effets de la publicité définitive : consolidation du rang

La publicité définitive consolide les effets du nantissement. Le rang du créancier, c’est-à-dire son ordre de priorité par rapport aux autres créanciers, est définitivement fixé à la date de la publicité provisoire. Cet effet rétroactif est la clé de voûte de l’efficacité des mesures conservatoires.

Surtout, la publicité définitive confère au créancier le droit de faire procéder à la vente forcée des titres nantis, selon les modalités prévues par la loi. Il pourra ainsi se faire payer sur le prix de vente, en respectant l’ordre des privilèges et des autres sûretés éventuelles.

La procédure de nantissement conservatoire sur parts sociales et valeurs mobilières est un instrument juridique technique mais redoutablement efficace pour un créancier. Sa réussite dépend d’une exécution rigoureuse des différentes étapes, de la publicité provisoire à la conversion définitive. Si vous êtes confronté à une telle situation, que vous soyez créancier ou débiteur, n’hésitez pas à contacter notre cabinet pour une analyse précise et un accompagnement adapté.

Sources

  • Code des procédures civiles d’exécution (notamment articles L. 511-1 et suivants, L. 521-1, R. 523-1 et suivants)
  • Code de commerce (dispositions relatives aux parts sociales et valeurs mobilières)
  • Code civil (dispositions relatives au droit de gage et aux sûretés)

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