Pour un dirigeant d’entreprise, le poste clients représente souvent un actif majeur, mais sa valeur reste latente jusqu’au paiement. Pourtant, ces créances peuvent être transformées en un levier de financement ou une garantie solide face à un acheteur. Le nantissement de créances est le mécanisme juridique qui permet cette valorisation, offrant une sûreté concrète pour sécuriser une opération de crédit ou un engagement commercial. Cet outil, bien que technique, se révèle d’une grande efficacité dans la vie des affaires. Pour l’appréhender correctement, il est essentiel de comprendre le nantissement dans toutes ses formes. Cet article détaille les régimes du nantissement de créances, du cadre de droit commun à ses applications spécifiques comme la cession ou le nantissement par bordereau Dailly.
Le nantissement de créances de droit commun : un cadre défini par le Code civil
Défini par l’article 2355 du Code civil, le nantissement est une sûreté réelle, c’est-à-dire une garantie portant sur un bien meuble incorporel, qui affecte ce dernier en garantie d’une obligation. Lorsqu’il s’agit d’une créance, ce mécanisme confère au créancier bénéficiaire (le créancier nanti) un droit préférentiel sur la créance en cas de défaillance de son propre débiteur (le constituant). Concrètement, une entreprise qui détient une facture importante sur un client peut la donner en garantie à sa banque pour obtenir un prêt. Si l’entreprise ne paie pas sa dette, la banque pourra se faire payer directement par l’acheteur (le client de l’entreprise). L’ordonnance du 23 mars 2006 a modernisé ce régime, le rendant plus souple et efficace, notamment en supprimant l’ancienne exigence de remise du titre.
La constitution du nantissement : l’exigence d’un acte écrit
La validité du nantissement de créance de droit commun est subordonnée à la rédaction d’un écrit, comme le prévoit l’article 2356 du Code civil. Cet acte peut être un acte authentique, établi par un notaire, ou un simple acte sous seing privé, dont chaque partie conservera un exemplaire. Cette exigence est une condition de validité, sous peine de nullité : en son absence, le nantissement est frappé de nullité. Le document doit impérativement désigner la créance garantie (par exemple, le prêt à garantir) et la créance donnée en nantissement (la facture sur un acheteur). Une créance future peut faire l’objet du nantissement, à la condition qu’elle soit suffisamment identifiable par un ensemble d’information comme l’identité du débiteur, le lieu de paiement, son montant ou son échéance. La précision de cet acte est fondamentale pour prévenir toute contestation sur l’assiette de la garantie.
L’opposabilité : comment rendre la garantie efficace face au débiteur et aux tiers
Une fois valablement constitué, le nantissement de créance doit être rendu opposable pour produire ses pleins effets. La loi opère une distinction. D’une part, à l’égard des tiers (autres créanciers du constituant), l’opposabilité du nantissement est acquise à compter de la date de l’acte, conformément à l’article 2361 du Code civil. L’inscription de l’acte sous seing privé sur un registre public, bien que non obligatoire, est une pratique recommandée pour lui conférer une date certaine et écarter toute discussion sur son antériorité. D’autre part, pour être opposable au débiteur de la créance nantie (l’acheteur qui doit payer la facture), le nantissement doit lui être notifié, ou ce dernier doit être intervenu à l’acte. Cette notification, prévue par l’article 2362 du Code civil, est une étape clé. À compter de ce moment, l’acheteur de la créance nantie ne peut plus valablement payer sa dette entre les mains de son créancier initial. Il doit la régler au créancier nanti si celui-ci en fait la demande pour obtenir le paiement de sa créance.
Les effets du nantissement de droit commun
Les droits et obligations des parties varient selon le moment où la créance nantie devient exigible par rapport à la dette principale qu’elle garantit. La loi a clarifié la gestion des fonds et les modalités de réalisation de cette sûreté.
Le sort des paiements reçus avant l’échéance de la dette garantie
Il est fréquent que la créance donnée en garantie (par exemple, une facture payable à 60 jours) arrive à échéance alors que le prêt qu’elle sécurise court encore sur plusieurs années. Si le nantissement a été notifié, seul le créancier nanti a le droit de recevoir le paiement de la créance. L’acheteur qui paierait le constituant s’exposerait au risque de devoir payer une seconde fois. Toutefois, le créancier nanti ne peut s’approprier ces fonds immédiatement, car sa propre créance n’est pas encore exigible. L’article 2364 du Code civil lui impose de conserver les sommes perçues sur un compte spécial, ouvert auprès d’un établissement habilité. Cet argent demeure affecté à la garantie de sa créance, exerçant de fait un droit de rétention au profit du bénéficiaire jusqu’à l’échéance de cette dernière, protégeant le créancier nanti tout en assurant que le paiement n’est pas utilisé prématurément.
La réalisation de la sûreté : entre attribution judiciaire et pacte commissoire
Lorsque la créance garantie arrive à son terme et que le débiteur est défaillant, le créancier nanti peut mettre en œuvre sa garantie. Plusieurs options s’offrent à lui. Si l’échéance de la créance nantie est déjà passée et les fonds disponibles, il peut se les attribuer à hauteur de sa propre créance. S’il n’y a pas de fonds disponibles, le créancier nanti peut demander en justice l’attribution de la créance nantie. Le droit a surtout validé une pratique très efficace : le pacte commissoire. L’article 2365 du Code civil autorise les parties à convenir, dès la constitution du nantissement, qu’en cas de défaillance du débiteur, le créancier deviendra automatiquement propriétaire de la créance nantie, opérant une forme de cession forcée. Cette attribution conventionnelle doit s’accompagner d’une estimation du juste prix de la créance par un expert au jour du transfert pour éviter tout abus. Ce mécanisme puissant a cependant une limite majeure, comme nous le verrons.
La mobilisation de créances professionnelles : le bordereau Dailly
Le nantissement de droit commun, malgré sa modernisation, conserve un certain formalisme. La pratique bancaire a donc consacré un outil d’une redoutable efficacité, inspiré de la loi « Dailly » et régi par un chapitre dédié du Code monétaire et financier.
Un mécanisme simplifié pour les entreprises et les établissements de crédit
Le nantissement de créances professionnelles par bordereau, dit « bordereau Dailly », est un mécanisme réservé aux crédits consentis par un établissement de crédit à une entreprise ou un professionnel. Sa simplicité est son principal atout. La constitution du nantissement s’opère par la simple remise d’un bordereau unique qui constitue un titre simplifié. Cet acte unique, daté et signé par le cédant (l’entreprise), rend l’opération immédiatement opposable aux tiers et à chaque acheteur, sans autre formalité de notification. Ce mécanisme permet de garantir rapidement un volume important de créances, ce qui est une pratique courante pour les entreprises cherchant à optimiser leur trésorerie en vue du remboursement de leurs propres dettes.
Cession Dailly versus nantissement Dailly : quelle différence en pratique ?
Ce support unique, le bordereau Dailly, permet deux opérations distinctes : la cession de créance et le nantissement de créance. Bien que les deux utilisent le même support (le bordereau), leur effet est différent. Le nantissement Dailly crée un droit de préférence pour le créancier bénéficiaire, similaire au nantissement de droit commun. En revanche, la cession Dailly opère un transfert de propriété de la créance du cédant vers la banque bénéficiaire. Cette dernière devient la nouvelle titulaire de la créance. En pratique, les établissements de crédit privilégient très largement la cession Dailly, cette technique de cession de créance professionnelle leur conférant une sécurité maximale en les sortant du concours avec les autres créanciers du débiteur en cas de difficulté de l’entreprise cédante. La cession Dailly est donc souvent la réponse préférée à un besoin de financement rapide.
Les autres formes de nantissements spéciaux sur créances
Le droit des sûretés a prévu des régimes spécifiques pour d’autres types de créances, témoignant de la nécessité d’adapter la garantie à la nature de l’actif incorporel concerné.
Le nantissement de compte bancaire : une garantie sur un solde fluctuant
L’article 2360 du Code civil organise la possibilité de nantir la créance particulière, bien meuble incorporel par excellence, que représente le solde créditeur d’un compte bancaire. L’assiette de cette sûreté est par nature mouvante, le solde du compte variant au gré des opérations. La loi précise que la garantie porte sur le solde du compte au jour de la realisation de la sûreté. En cas d’ouverture d’une procédure collective, son assiette est figée : elle est déterminée par le solde du compte au jour du jugement d’ouverture, comme l’a confirmé la Cour de cassation. La nature juridique exacte de ce nantissement et son articulation avec les règles de la compensation ont soulevé des questions, mais son utilité pratique pour garantir un crédit de trésorerie est certaine.
Le nantissement de marché public : une sûreté historique concurrencée
Le Code de la commande publique (CCP) organise un mécanisme de nantissement pour les créances que le titulaire du marché (l’entreprise) détient sur une personne publique au titre de l’exécution de travaux, de fournitures ou de services pour ce marché. Il s’agissait historiquement d’un outil essentiel au financement des titulaires de marchés publics. Le formalisme de ce nantissement, qui implique, selon l’article R2191-46 du CCP, la remise d’un exemplaire unique ou d’un certificat de cessibilité du marché, le rend aujourd’hui moins attractif. Cette remise est suivie d’une notification à l’acheteur public et au comptable public assignataire. Cette information doit aussi être transmise à la DAJ de l’entité publique. Le comptable public est la clé de voûte du dispositif. L’avis du comptable est essentiel. Une fois notifié, le comptable ne peut se libérer qu’entre les mains du créancier. Le rôle du comptable public est donc central, bien plus que celui d’un simple comptable d’entreprise. Ce formalisme est fortement concurrencé par la cession de créances par bordereau Dailly, dont la mise en œuvre est plus simple et rapide pour les banques et les entreprises, et qui peut également porter sur une créance issue d’une commande publique.
Nantissement de fonds de commerce et d’assurance-vie : des applications spécifiques
D’autres biens meubles incorporels peuvent faire l’objet de nantissements régis par des règles propres. Le nantissement de fonds de commerce, par exemple, est une sûreté très répandue qui doit faire l’objet d’une inscription sur le registre spécial tenu au greffe du tribunal de commerce. De même, d’autres actifs, comme les contrats d’assurance, peuvent également faire l’objet de montages spécifiques, à l’instar du gage par nantissement des polices d’assurance vie, qui répond à des conditions de constitution et de réalisation particulières.
Enjeux pratiques et risques : le nantissement face à la procédure collective
L’efficacité d’un nantissement de créance se mesure surtout lorsque le débiteur constituant rencontre des difficultés financières. L’ouverture d’une procédure collective (sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire) a des conséquences majeures sur le sort de la garantie. Cette règle s’applique aussi au nantissement judiciaire provisoire qui n’aurait pas fait l’objet d’une inscription définitive. La première règle est que le créancier nanti doit déclarer sa créance et son nantissement au passif de la procédure. Surtout, la procédure collective paralyse le pacte commissoire. Même s’il a été valablement convenu, le créancier ne pourra pas s’attribuer la créance nantie après le jugement d’ouverture. Cette disposition d’ordre public vise à protéger l’intégrité du patrimoine du débiteur et les droits des autres créanciers. L’issue finale dépendra alors de la nature de la procédure et des décisions du juge-commissaire ou du tribunal de commerce. La différence entre une cession de créance à titre de garantie (type Dailly) et un simple nantissement prend ici tout son sens : le bénéficiaire de la cession, étant propriétaire de la créance sur l’acheteur, est en principe hors du concours des créanciers, sauf action en justice contestant le prix ou la validité de la cession elle-même, ce qui lui offre une protection bien supérieure.
Le choix et la mise en place d’un nantissement de créances exigent une analyse précise de la nature de la créance et des objectifs poursuivis. Une rédaction attentive de l’acte de nantissement, véritable fiche d’identité de la garantie, est indispensable pour garantir son efficacité juridique, notamment en cas de défaillance du débiteur. Pour sécuriser vos opérations de financement et bénéficier d’un accompagnement sur mesure, notre expertise en matière de sûretés et garanties est à votre disposition.
Sources
- Code civil (notamment les Art. 2355 à 2366)
- Code de commerce
- Code monétaire et financier (notamment les articles L. 313-23 et suivants)
- Code de la commande publique