Lorsqu’une entreprise cherche à obtenir un financement, les garanties exigées par les prêteurs sont souvent au cœur des négociations. Parmi les outils disponibles, le nantissement de parts sociales représente une sûreté efficace, permettant à un associé de garantir une dette en utilisant ses propres titres comme caution. Cette technique, qui s’apparente à une hypothèque sur un bien incorporel, soulève des questions juridiques précises selon la forme de la société concernée. Son régime a d’ailleurs été modernisé pour mieux répondre aux besoins de la vie des affaires, comme nous l’avons exploré dans notre guide complet sur le nantissement. Comprendre ses mécanismes est essentiel tant pour le créancier qui cherche à sécuriser sa créance que pour l’associé qui engage son patrimoine.
Le nantissement de parts sociales : une sûreté aux multiples facettes
Le nantissement de parts sociales est un contrat par lequel un associé, le constituant, affecte ses parts en garantie du paiement d’une dette, qu’il s’agisse de la sienne ou de celle d’un tiers. La sûreté ne porte pas sur un bien matériel, mais sur un droit incorporel : la qualité d’associé et les droits qui y sont attachés (droit aux dividendes, droit de vote). C’est un outil de crédit puissant pour les PME et les sociétés dont la principale valeur réside dans le capital social et non dans des actifs physiques.
La principale difficulté de ce mécanisme réside dans la conciliation de deux impératifs : d’une part, offrir au créancier une garantie solide et facile à mettre en œuvre en cas de défaillance du débiteur ; d’autre part, préserver l’intuitus personae, c’est-à-dire le caractère personnel de l’association au sein des sociétés. Les autres associés doivent pouvoir contrôler l’entrée de nouvelles personnes au capital. C’est pourquoi le régime juridique du nantissement de parts sociales varie considérablement entre les sociétés civiles, où l’engagement personnel est fort, et les sociétés commerciales.
La constitution du nantissement de parts sociales des sociétés civiles
Le régime du nantissement des parts de sociétés civiles, longtemps régi par des dispositions spécifiques du Code civil, a connu une importante évolution avec l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021. Cette réforme a largement unifié les règles en les alignant sur le droit commun du gage, dans un but de simplification et d’harmonisation.
Formalisme et publicité : les conditions de validité et d’opposabilité
La constitution d’un nantissement sur des parts de société civile doit impérativement être constatée par un écrit, qu’il s’agisse d’un acte sous seing privé ou d’un acte authentique. Cet écrit est une condition de validité de l’acte : un accord verbal serait sans effet. Le contrat doit clairement identifier la dette garantie ainsi que le nombre de parts sociales nanties.
Pour être opposable aux tiers, c’est-à-dire pour que le créancier puisse faire valoir son droit de préférence sur les autres créanciers de l’associé, le nantissement doit faire l’objet d’une publicité. Cette formalité s’accomplit par une inscription sur un registre spécial tenu au greffe du tribunal de commerce dans le ressort duquel la société est immatriculée. C’est la date de cette inscription qui détermine le rang des créanciers nantis entre eux. En l’absence de cette publicité, le nantissement reste valable entre les parties (le créancier et l’associé), mais il ne pourra être opposé à la société ou aux tiers, comme un autre créancier qui viendrait saisir les parts.
Le régime du nantissement judiciaire conservatoire
Un créancier qui ne dispose pas encore d’un titre exécutoire mais dont la créance semble fondée peut prendre des mesures pour préserver ses droits. Le nantissement judiciaire conservatoire lui permet de « bloquer » les parts sociales de son débiteur en attendant une décision de justice définitive. Cette mesure nécessite une autorisation du juge de l’exécution.
Une fois l’ordonnance obtenue, le nantissement est signifié à la société et publié au greffe. Le débiteur doit en être informé dans un délai de huit jours. Le créancier dispose ensuite d’un mois pour engager une procédure au fond afin d’obtenir un jugement condamnant son débiteur. Une fois ce jugement devenu définitif, l’inscription provisoire du nantissement peut être convertie en inscription définitive, prenant effet rétroactivement à la date de la première inscription.
Le nantissement de parts sociales des sociétés commerciales (sarl, snc)
Pour les sociétés commerciales, le Code de commerce ne prévoit pas de régime aussi détaillé que celui qui existait pour les sociétés civiles. L’article 2355 du Code civil précise que le nantissement de meubles incorporels, autres que les créances, est soumis aux règles du gage de meubles corporels. C’est donc ce régime qui s’applique par défaut aux parts de SARL ou de SNC, avec des aménagements liés à la nature de ces sociétés. Le nantissement sur des parts sociales se distingue ainsi du nantissement sur des comptes d’instruments financiers, qui porte sur des valeurs mobilières et obéit à des règles propres au Code monétaire et financier.
Les règles applicables aux sarl et les procédures d’agrément
Dans une Société à Responsabilité Limitée (SARL), le nantissement de parts sociales est possible, mais il doit composer avec les règles d’agrément prévues pour les cessions de parts. L’enjeu est d’éviter qu’un créancier étranger à la société ne devienne associé contre la volonté des autres. L’article L. 223-14 du Code de commerce, auquel il est fait renvoi, impose d’obtenir le consentement des associés.
Concrètement, le projet de nantissement doit être notifié à la société et à chacun des associés. L’agrément est donné par une décision des associés représentant au moins la moitié des parts sociales, sauf si les statuts prévoient une majorité plus forte. Si la société donne son accord au projet de nantissement, cet accord vaut également agrément du potentiel acquéreur en cas de réalisation forcée (vente des parts). Cette anticipation est un gain de sécurité pour le créancier. Si la société refuse l’agrément, le nantissement ne peut être constitué.
Cas spécifiques des sociétés en nom collectif (snc)
La Société en Nom Collectif (SNC) est la forme de société où l’intuitus personae est le plus fort. Tous les associés sont commerçants et indéfiniment et solidairement responsables des dettes sociales. L’entrée d’un nouvel associé ne peut donc se faire à la légère. Par conséquent, le nantissement de parts de SNC, bien que non interdit, est soumis à l’exigence d’un accord unanime de tous les associés. Sans cet accord unanime, le nantissement ne peut être valablement constitué. Cette contrainte rend la pratique du nantissement de parts de SNC beaucoup plus rare que pour les autres formes de sociétés.
La réalisation du nantissement : concilier garantie et intuitus personae
La réalisation est l’étape ultime où le créancier, confronté à l’impayé, exerce les droits que lui confère la sûreté. C’est à ce moment que se cristallise la tension entre la protection du créancier et la préservation de la cohésion de la société. Les procédures visent à permettre au créancier d’être payé tout en donnant aux associés une porte de sortie pour éviter l’intrusion d’un tiers non désiré.
Le droit de rétention et l’attribution judiciaire ou conventionnelle
En cas de défaillance du débiteur, le créancier nanti dispose de plusieurs options. Il bénéficie d’un droit de rétention sur les parts, ce qui l’autorise à les conserver et à s’opposer à leur vente par un autre créancier. Il peut provoquer la vente forcée des parts aux enchères publiques après avoir mis en demeure le débiteur de payer.
Plus efficacement, le créancier peut demander au tribunal l’attribution judiciaire des parts sociales. Leur valeur est alors estimée par un expert à la date du transfert de propriété, et cette valeur vient s’imputer sur la créance. Depuis la réforme du droit des sûretés, il est également possible de prévoir dans l’acte de nantissement un « pacte commissoire ». Cette clause, longtemps interdite, autorise le créancier à devenir automatiquement propriétaire des parts en cas de défaut de paiement, après une estimation de leur valeur. Cette solution offre une rapidité et une efficacité redoutables pour le créancier.
Le rôle de l’agrément des associés dans la réalisation forcée
Quelle que soit la méthode de réalisation (vente, attribution), la question de l’agrément du nouvel associé se pose. La loi organise des mécanismes pour protéger les associés en place. La réalisation forcée doit être notifiée à la société et aux associés un mois avant la vente.
Deux scénarios se présentent :
- Le projet de nantissement avait été agréé par les associés : cet agrément initial vaut pour l’acquéreur. Toutefois, les associés conservent une dernière chance. Ils peuvent se substituer à l’acquéreur dans les jours qui suivent la vente, ou la société peut elle-même racheter les parts pour les annuler.
- Le projet de nantissement n’avait pas été soumis à agrément : les associés disposent de plusieurs options après la notification. Ils peuvent décider de dissoudre la société, faire racheter les parts par un autre associé ou par la société elle-même, ou laisser la vente se faire. S’ils choisissent de laisser faire, l’acquéreur sera réputé agréé, l’inaction des associés valant acceptation tacite.
Ces procédures complexes illustrent la nécessité de rédiger l’acte de nantissement avec la plus grande précision et d’anticiper les difficultés potentielles liées à sa réalisation. Le recours à un avocat est fondamental pour sécuriser l’opération, tant pour le créancier que pour le débiteur et ses coassociés.
La mise en place et la réalisation d’un nantissement de parts sociales sont des opérations juridiques techniques qui engagent significativement le patrimoine des associés et l’équilibre de la société. Une analyse rigoureuse des statuts et une rédaction soignée de l’acte de nantissement sont indispensables pour prévenir les litiges. Pour sécuriser une opération de financement ou défendre vos droits en tant qu’associé ou créancier, n’hésitez pas à contacter notre cabinet, dont la pratique est dédiée aux sûretés et garanties, pour une analyse de votre situation.
Sources
- Code civil (notamment les articles 1866 à 1868, et 2355 et suivants)
- Code de commerce (notamment les articles L. 223-14, L. 223-15)
- Code monétaire et financier
- Ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés