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Procédure collective et publicité des sûretés : l’importance de l’inscription et ses limites

Table des matières

Obtenir une garantie sur les biens de votre débiteur, comme une hypothèque sur un immeuble ou un nantissement sur son fonds de commerce, est une étape importante pour sécuriser vos créances. Vous pensez ainsi être protégé en cas de défaillance. Mais détenir une sûreté ne suffit pas toujours. Pour qu’elle soit pleinement efficace, notamment si votre débiteur rencontre des difficultés financières graves au point d’entrer en procédure collective (sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire), il est souvent indispensable de l’avoir rendue publique par une inscription avant que les problèmes ne soient officialisés par un jugement.

En effet, l’ouverture d’une procédure collective agit comme un couperet : elle gèle de nombreuses actions et possibilités, y compris celle d’inscrire tardivement une sûreté qui n’avait pas été publiée à temps. C’est la règle dite de « l’arrêt des inscriptions », un mécanisme fondamental du droit des entreprises en difficulté qui peut avoir des conséquences redoutables pour le créancier négligent ou mal informé. Cet article vous explique cette règle, les garanties concernées, les exceptions cruciales et les incidences pratiques pour vous, créancier.

La règle de l’arrêt des inscriptions (Art. L.622-30 C. com.) : un couperet après le jugement

Le principe est posé par l’article L. 622-30 du Code de commerce : dès le jugement d’ouverture d’une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, il devient impossible d’inscrire valablement les hypothèques, gages, nantissements et privilèges sur les biens du débiteur.

Concrètement, cela signifie que si vous détenez une sûreté sur un bien de l’entreprise (constituée avant le jugement d’ouverture) mais que vous n’avez pas accompli les formalités de publicité nécessaires (inscription au greffe, au service de la publicité foncière, etc.) avant la date de ce jugement, il est trop tard. Votre garantie, même parfaitement valable au moment de sa création, ne pourra plus être rendue opposable aux autres créanciers dans le cadre de la procédure collective par une inscription postérieure.

L’objectif de cette règle est clair : figer la situation du patrimoine du débiteur et les droits des différents créanciers à la date précise du jugement d’ouverture. C’est un peu comme une photographie instantanée qui empêche toute modification ultérieure de la hiérarchie entre les créanciers par le biais d’inscriptions tardives. Cette règle s’applique indistinctement aux trois principales procédures collectives : sauvegarde, redressement judiciaire et liquidation judiciaire.

Quelles garanties sont principalement visées ?

La règle de l’arrêt des inscriptions concerne toutes les sûretés dont l’efficacité vis-à-vis des tiers dépend d’une formalité de publicité. La liste est longue et couvre la plupart des garanties couramment utilisées :

  • Hypothèques et privilèges immobiliers spéciaux : Qu’il s’agisse d’une hypothèque conventionnelle, judiciaire ou légale (comme le privilège de prêteur de deniers ou du vendeur d’immeuble, désormais assimilés à des hypothèques légales), son inscription au service de la publicité foncière doit précéder le jugement d’ouverture.
  • Sûretés mobilières soumises à publicité : Le nantissement sur fonds de commerce, le nantissement sur matériels et outillages professionnels, le gage des stocks, le gage automobile (sur véhicules immatriculés), l’hypothèque maritime ou fluviale… toutes ces garanties nécessitent une inscription (généralement au greffe du tribunal de commerce) pour être pleinement efficaces. Si l’inscription n’est pas faite avant le jugement, la garantie perd sa force dans la procédure.
  • Privilèges de certains créanciers institutionnels : Les privilèges du Trésor public ou des organismes de sécurité sociale, lorsqu’ils sont soumis à une obligation d’inscription, tombent également sous le coup de cette règle.

Deux cas spécifiques méritent une attention particulière en raison de leur fréquence et des conséquences pratiques :

  • Le crédit-bail mobilier : Bien qu’il ne s’agisse pas d’une sûreté au sens strict, mais d’une location avec option d’achat, le contrat de crédit-bail portant sur des biens d’équipement doit faire l’objet d’une publicité spécifique (inscription sur un registre tenu au greffe). Si cette publicité n’est pas effectuée avant le jugement d’ouverture de la procédure collective du locataire (le crédit-preneur), le droit de propriété du crédit-bailleur sur le bien loué devient inopposable à la procédure. Concrètement, le crédit-bailleur ne pourra pas récupérer son matériel, même s’il en est juridiquement propriétaire, et devra se contenter de déclarer sa créance (loyers impayés, indemnité). La jurisprudence est constante sur ce point, soulignant l’importance de cette publication pour informer les autres créanciers. Une dérogation très difficile à prouver existe si le crédit-bailleur démontre que tous les autres créanciers connaissaient l’existence du contrat avant le jugement.
  • La réserve de propriété : Cette clause, très fréquente dans les contrats de vente, permet au vendeur de rester propriétaire du bien jusqu’au paiement complet du prix. Pour que cette clause soit opposable à la procédure collective de l’acheteur, le vendeur doit, en principe, soit avoir publié son contrat (ce qui est rare en pratique pour les biens meubles autres que ceux soumis à une publicité spéciale), soit agir en revendication du bien dans un délai strict de trois mois après la publication du jugement d’ouverture au BODACC (article L. 624-9 du Code de commerce). Si le vendeur n’a ni publié ni agi en revendication à temps, il perd son droit de récupérer le bien vendu et impayé. L’inscription de la clause de réserve de propriété sur un registre spécifique tenu au greffe dispense d’agir en revendication (article R. 624-15 du Code de commerce), mais cette inscription doit, elle aussi, être antérieure au jugement d’ouverture pour produire cet effet.

La sanction : l’inopposabilité à la procédure

Quelle est la conséquence exacte de l’absence d’inscription avant le jugement d’ouverture ? La sûreté n’est pas annulée en tant que telle entre le créancier et le débiteur, mais elle devient inopposable à la procédure collective.

Cela signifie que, dans le cadre de la sauvegarde, du redressement ou de la liquidation, le créancier ne sera pas traité comme un créancier privilégié pour la créance que la sûreté était censée garantir. Il perdra le bénéfice de son rang et de son droit de préférence sur le bien concerné. Lors de la répartition du produit de la vente des biens du débiteur, il sera considéré comme un simple créancier chirographaire, c’est-à-dire un créancier ordinaire, non prioritaire. Ses chances de recouvrer sa créance sont alors considérablement diminuées.

Imaginez un créancier ayant une hypothèque sur un immeuble du débiteur. Si l’hypothèque n’a pas été publiée avant le jugement d’ouverture, et que l’immeuble est vendu pendant la liquidation judiciaire, ce créancier ne pourra pas être payé par priorité sur le prix de vente. Il viendra en concours avec tous les autres créanciers chirographaires, après paiement des créanciers mieux classés (salariés, frais de justice, Trésor, etc.). L’avantage essentiel de l’hypothèque est perdu.

Il est à noter que même les droits acquis par le créancier avant l’ouverture de la procédure, comme les loyers perçus par un crédit-bailleur dont le contrat n’a pas été publié, ne sont pas remis en cause. C’est bien la future efficacité de la garantie dans la procédure qui est affectée par le défaut d’inscription.

Les exceptions et limites à ne pas ignorer

Heureusement, la règle de l’arrêt des inscriptions comporte quelques exceptions et tempéraments importants.

Les dérogations légales expresses

La loi elle-même prévoit des cas où l’inscription reste possible ou n’est pas nécessaire après le jugement d’ouverture :

  • Le privilège du vendeur de fonds de commerce : C’est la dérogation la plus claire prévue par l’article L. 622-30 lui-même. Le vendeur d’un fonds de commerce dispose d’un délai de 30 jours (depuis la loi du 6 août 2015, auparavant 15 jours) à compter de la date de l’acte de vente pour inscrire son privilège au greffe. Cette inscription reste valable et opposable même si l’acquéreur fait l’objet d’une procédure collective dans cet intervalle. Attention, cette dérogation ne concerne que le privilège du vendeur, pas un éventuel nantissement pris sur le fonds.
  • Les privilèges du Trésor public : L’article L. 622-30 prévoit également que le Trésor public conserve son privilège pour certaines créances fiscales, même sans inscription après le jugement d’ouverture. Il s’agit :
    • Des créances pour lesquelles l’obligation d’inscription n’était pas encore née à la date du jugement (par exemple, le délai légal pour inscrire n’était pas écoulé).
    • Des créances mises en recouvrement après le jugement d’ouverture. Pour ces créances, le Trésor est dispensé d’inscription mais doit impérativement les déclarer au passif pour conserver son privilège. Il faut souligner que cette dispense ne concerne que les privilèges fiscaux soumis à publicité (certains impôts directs, TVA…). Elle ne s’applique pas à l’hypothèque légale du Trésor, qui doit être inscrite avant le jugement pour être opposable.

Ce qui reste possible après le jugement

Même après le jugement d’ouverture, certaines actions liées à la publicité des sûretés restent non seulement possibles, mais parfois indispensables :

  • Le renouvellement des inscriptions : Une inscription de sûreté (hypothèque, nantissement…) a une durée de vie limitée et doit être renouvelée périodiquement pour conserver son rang et son efficacité. L’ouverture d’une procédure collective n’interrompt pas cette obligation. Le créancier doit impérativement veiller à renouveler son inscription à l’échéance, même si sa créance a été admise au passif. Faute de renouvellement, l’inscription périme et la garantie devient inopposable, même si elle avait été correctement admise à titre privilégié initialement !
  • L’inscription définitive d’une sûreté provisoire : Si un créancier a pris une mesure conservatoire avant les difficultés de son débiteur, comme une inscription d’hypothèque judiciaire provisoire ou de nantissement provisoire, il peut procéder à l’inscription définitive après le jugement d’ouverture. La condition essentielle est que l’inscription provisoire ait été prise avant la date de cessation des paiements. Si cette condition est remplie, l’inscription définitive prendra rang rétroactivement à la date de l’inscription provisoire et sera donc opposable à la procédure. Il n’est même pas nécessaire d’avoir un titre exécutoire classique pour l’inscription définitive ; la décision d’admission définitive de la créance par le juge-commissaire peut suffire.

Il faut bien distinguer cette situation de celle des privilèges spéciaux immobiliers (comme l’ancien privilège de vendeur d’immeuble ou de prêteur de deniers, devenus hypothèques légales). Pour ces sûretés, même si la loi accorde un délai pour les inscrire après l’acte qui leur donne naissance, cette inscription doit impérativement intervenir avant le jugement d’ouverture pour être opposable. Il n’y a pas de mécanisme d’inscription provisoire/définitive pour ces garanties légales spécifiques.

Situations particulières : biens communs et indivis

La situation se complexifie lorsque la sûreté porte sur un bien qui n’appartient pas exclusivement au débiteur en procédure collective.

Biens communs (mariage sous régime de communauté)

La jurisprudence considère que lorsqu’un époux marié sous un régime de communauté fait l’objet d’une procédure collective, l’ensemble des biens communs est affecté par cette procédure. La communauté constitue en quelque sorte un patrimoine unique répondant des dettes.

La conséquence directe pour l’arrêt des inscriptions est que cette règle s’applique pleinement aux biens communs. Un créancier (même le créancier personnel du conjoint in bonis, c’est-à-dire celui qui n’est pas en procédure collective) ne peut plus valablement inscrire une sûreté sur un bien commun après le jugement d’ouverture de la procédure de l’autre époux. Une telle inscription serait inopposable à la procédure pour le tout, car les droits de chaque époux ne peuvent être individualisés sur un bien commun tant que dure la communauté.

Biens indivis (hors communauté)

La situation est différente pour les biens détenus en indivision (par exemple, par des époux séparés de biens, des concubins, ou suite à une succession). En principe, seule la quote-part indivise du débiteur en procédure collective est concernée par celle-ci. Le bien indivis lui-même n’entre pas dans l’actif à réaliser (sauf partage ultérieur).

Par conséquent, l’arrêt des inscriptions n’a qu’une portée limitée. Si un créancier personnel du co-indivisaire in bonis inscrit une sûreté sur le bien indivis après le jugement d’ouverture de la procédure de l’autre indivisaire, cette inscription sera valable et opposable, mais uniquement à concurrence de la quote-part de l’indivisaire in bonis. Par exemple, si un immeuble appartient pour moitié à M. A (en liquidation) et pour moitié à Mme B (in bonis), une hypothèque inscrite après le jugement par un créancier de Mme B sera efficace sur la moitié de Mme B, mais inopposable à la procédure de M. A pour l’autre moitié.

Conseils pratiques pour les créanciers

Face à la règle de l’arrêt des inscriptions et à ses conséquences potentiellement sévères, quelques réflexes s’imposent pour tout créancier souhaitant sécuriser ses garanties :

  1. Anticiper : N’attendez pas pour accomplir les formalités de publicité de vos sûretés. Faites-le dès leur constitution. Une inscription rapide est la meilleure protection.
  2. Être vigilant : Surveillez les dates d’échéance de vos inscriptions et procédez à leur renouvellement en temps utile. L’ouverture d’une procédure collective ne vous dispense pas de cette démarche.
  3. Agir rapidement en cas d’inscription provisoire : Si vous avez obtenu une inscription provisoire (hypothèque ou nantissement judiciaire conservatoire) et que les conditions pour une inscription définitive sont réunies (obtention d’un titre, admission de la créance), n’attendez pas pour la demander, surtout si la date de cessation des paiements du débiteur est incertaine ou susceptible d’être reportée.

La publicité des sûretés est un domaine technique où les délais et les formes ont une importance capitale. Une simple omission ou un retard peut anéantir l’efficacité d’une garantie patiemment négociée.

La gestion de la publicité des sûretés est technique et les délais sont stricts, avec des conséquences importantes en cas de procédure collective. Pour sécuriser vos garanties, contactez notre cabinet afin d’analyser votre situation.

Sources

  • Code de commerce : articles L.622-30, L.141-6, L.622-24, L.624-9, R.624-15, R.622-21, R.622-22 à R.622-24, R.643-1
  • Code civil : articles 815-17, 1413, 2402 et s. (textes relatifs aux hypothèques légales, anciennement privilèges immobiliers spéciaux)
  • Code général des impôts : article 1929 quater
  • Code monétaire et financier : articles R.313-4 à R.313-11 (publicité crédit-bail mobilier)

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