Votre bateau, qu’il s’agisse d’une péniche de transport, d’un bateau de plaisance naviguant sur les canaux ou d’une unité destinée aux croisières touristiques, représente bien plus qu’un simple moyen de locomotion. C’est souvent un investissement important, voire votre principal outil de travail. Le protéger contre les aléas de la navigation intérieure – un abordage, un incendie, un heurt avec un ouvrage – est donc fondamental. C’est précisément l’objet de l’assurance « corps » de bateaux de navigation intérieure.
Fortement inspirée de son homologue maritime, cette police d’assurance est spécifiquement conçue pour couvrir les dommages matériels subis par le bateau lui-même, mais elle inclut aussi une part de responsabilité civile. Comprendre son fonctionnement, ses garanties, mais aussi ses limites et ses exclusions, est essentiel pour tout propriétaire ou exploitant. Cet article vous guide à travers les méandres de l’assurance « corps » fluviale, pour vous aider à faire les choix les plus judicieux pour protéger votre capital flottant.
Que couvre l’assurance « corps » fluviale ?
La police « corps » a pour objectif principal de garantir les conséquences financières des événements accidentels qui peuvent affecter votre bateau. Elle combine une assurance de dommages (pour le bateau lui-même) et une assurance de responsabilité limitée (pour certains dommages causés à des tiers).
La garantie principale : dommages et pertes matériels
Le cœur de la police « corps » est la couverture des dommages matériels directs subis par le bateau assuré. Selon les termes courants des polices, cela inclut les dommages et pertes résultant de « tous accidents de navigation, d’explosion, d’incendie ou de tous événements de force majeure ». Cela couvre un large éventail d’incidents :
- Les conséquences d’un échouement accidentel.
- Les dégâts suite à un abordage avec un autre bateau ou un heurt contre un quai, une écluse, un pont…
- Les dommages causés par un incendie ou une explosion à bord.
- Les avaries provoquées par des événements climatiques soudains et imprévisibles assimilables à la force majeure.
Quels sont les biens précisément couverts ? Il s’agit principalement du corps du bateau (la coque, la structure), de ses appareils moteurs et de ses dépendances (tout ce qui y est fixé ou utilisé pour son service). Selon les contrats et les options choisies, la garantie peut s’étendre, sous certaines conditions, aux équipements spéciaux installés à bord (grues, matériel de navigation spécifique…) et même au mobilier.
Une part de responsabilité civile incluse
Au-delà des dommages subis par votre propre bateau, l’assurance « corps » de base inclut généralement une garantie pour certains recours que des tiers pourraient exercer contre vous suite à un accident impliquant votre bateau. Cette couverture de responsabilité est cependant limitée à des cas précis :
- Abordage ou heurt : L’assurance prend en charge les indemnités que vous pourriez devoir payer si votre bateau aborde un autre bateau de navigation intérieure, un navire de mer, ou toute autre unité flottante, ou s’il heurte un bien ou une installation (quai, écluse, etc.), causant des dommages matériels à ces tiers.
- Indemnités d’immobilisation : Si l’abordage ou le heurt cause des dommages à un bien ou une installation appartenant à un tiers, l’assurance peut couvrir les indemnités réclamées pour l’immobilisation de ce bien pendant la durée des réparations. Imaginez le coût si votre bateau endommage une porte d’écluse et bloque la navigation !
- Contribution aux avaries communes : Dans les rares cas où le droit applicable au transport (souvent celui du pays de chargement) permettrait de déclarer une situation d’avarie commune en transport fluvial (ce qui est exceptionnel en droit français), la contribution demandée à votre bateau pourrait être prise en charge par l’assureur.
Il est important de comprendre que cette garantie RC incluse dans la police « corps » est limitée. Elle ne couvre pas tous les dommages que votre bateau pourrait causer. Des extensions de garantie sont souvent nécessaires pour une protection complète (voir plus bas).
Le cas particulier des frais de retirement
Imaginez que votre bateau coule suite à un sinistre garanti. Si les autorités compétentes vous imposent de le retirer du fond de l’eau (par exemple, parce qu’il constitue un obstacle à la navigation ou un risque de pollution), les frais engagés pour cette opération complexe et coûteuse peuvent être garantis par la police « corps ». Attention, cette prise en charge nécessite généralement l’accord préalable de l’assureur.
Comment est fixée la valeur assurée ?
L’étendue de l’indemnisation dépendra de la valeur pour laquelle votre bateau est assuré. Cette « valeur assurée » est fixée dans les conditions particulières de votre contrat. Elle peut être :
- Soit une valeur agréée : vous vous mettez d’accord avec l’assureur sur une valeur forfaitaire au moment de la souscription. En cas de perte totale, c’est cette somme qui sera versée (sous réserve qu’elle ne soit pas manifestement surévaluée).
- Soit basée sur la valeur réelle du bateau au jour du sinistre.
Les polices détaillent généralement les éléments qui entrent dans le calcul de cette valeur : la coque, les superstructures, le gouvernail, les moteurs, mais aussi les équipements comme les appareils de radio-téléphonie, voire les véhicules embarqués appartenant à l’assuré ou à l’équipage, le mobilier, les effets personnels (dans certaines limites).
Un point technique important : les garanties sont souvent distinctes pour le corps/moteur, les équipements spéciaux et le mobilier. En cas de sinistre, le capital prévu pour une catégorie ne peut pas servir à combler un manque dans une autre catégorie si le dommage dépasse le capital alloué à cette dernière (principe de non-réversibilité).
Les situations et risques non couverts par la police « corps »
Comme toute assurance, la police « corps » comporte son lot d’exclusions. Il est fondamental de les connaître pour ne pas avoir de mauvaises surprises.
Les exclusions générales (rappel bref)
Nous avons vu dans un article précédent les exclusions communes à la plupart des assurances fluviales : navigation hors des zones autorisées, faute intentionnelle ou inexcusable de l’assuré, faits de guerre, de terrorisme (hors France en général), risques nucléaires, activités illégales… Celles-ci s’appliquent bien entendu à la police « corps ».
Les exclusions spécifiques à l’assurance « corps »
Au-delà des exclusions générales, la police « corps » écarte certains risques ou dommages spécifiques liés à l’état ou à l’utilisation du bateau :
- Défaut ou insuffisance d’arrimage : Si un sinistre survient parce que la cargaison ou le matériel à bord était mal arrimé, l’assurance pourrait ne pas jouer.
- Présence au fond de l’eau non déclarée : Si votre bateau coule et que vous ne le déclarez pas rapidement à l’assureur et aux autorités, la garantie peut être refusée.
- Vice propre, usure normale, vétusté : L’assurance couvre les accidents, pas la dégradation normale due au temps ou à un défaut intrinsèque du bien assuré. Si une pièce casse par simple usure, ce n’est pas un sinistre garanti.
- Défaut d’entretien : C’est une exclusion fréquente et parfois source de litiges. L’assureur peut refuser sa garantie s’il prouve que le sinistre est dû à un manque d’entretien caractérisé de votre part. Attention cependant, la charge de la preuve pèse sur l’assureur. Une jurisprudence (Cour de cassation, 5 avril 2016) a par exemple considéré que la rupture d’une canalisation d’eau due au gel, même si elle a causé le naufrage du bateau, ne suffisait pas à prouver un défaut d’entretien, car elle s’était produite lors d’une vague de froid exceptionnelle et inhabituelle.
- Non-respect des prescriptions du constructeur : Si vous ne suivez pas les recommandations techniques du fabricant pour l’utilisation ou la maintenance, et qu’un sinistre en résulte, la garantie peut être écartée.
- Navigation interdite : L’assurance ne joue pas si vous naviguez alors que la navigation est officiellement interrompue (par exemple, pour travaux), ou lorsque les conditions sont trop dangereuses (crue atteignant le niveau des plus hautes eaux navigables, présence de glace avant le passage du brise-glace).
- Conduite en état d’ivresse : Un accident survenu alors que le pilote est en état d’ébriété manifeste sera généralement exclu de la garantie.
Les recours de tiers explicitement exclus
Il faut bien comprendre les limites de la garantie responsabilité civile incluse dans la police « corps » de base. Elle ne couvre pas :
- Les dommages causés aux marchandises transportées par votre bateau assuré. Pour cela, il faut une assurance spécifique « facultés » (pour le propriétaire de la marchandise) ou une assurance de responsabilité contractuelle du transporteur.
- Votre responsabilité contractuelle vis-à-vis de tiers pour des dommages de pollution (sauf ceux résultant directement d’un abordage ou heurt couvert par la police). Par exemple, une fuite lente de carburant due à la vétusté ne serait pas couverte.
- Les frais de renflouement ou d’assistance si votre bateau s’échoue dans des conditions considérées comme normales pour la navigation (par exemple, échouage temporaire dû à la marée dans une zone d’estuaire).
Les obligations particulières de l’assuré « corps »
En plus des obligations générales (déclarer le risque initial, payer la prime, etc.), la police « corps » impose quelques devoirs spécifiques au propriétaire du bateau :
- Déclarer les changements : Vous devez informer votre assureur de toute modification importante apportée au bateau, comme une transformation de la coque ou le remplacement du moteur. Ces changements peuvent modifier le risque et nécessiter un ajustement du contrat.
- Déclarer les hypothèques : Si une hypothèque grève votre bateau (c’est-à-dire si le bateau sert de garantie pour un prêt), vous devez en informer l’assureur, que ce soit au moment de la souscription ou si l’hypothèque est contractée pendant la durée du contrat. Cette information est jugée pertinente par l’assureur pour évaluer le risque (voir jurisprudence citée dans l’article précédent).
Adapter sa couverture : les clauses additionnelles possibles
La police « corps » de base offre une couverture essentielle, mais souvent insuffisante pour une protection complète. Heureusement, les assureurs proposent généralement une gamme de clauses additionnelles permettant d’étendre ou de compléter les garanties. En voici quelques exemples courants :
- Garantie du Fret : Couvre la perte du revenu de transport (fret) si un sinistre garanti interrompt le voyage.
- Frais d’enlèvement de la cargaison : Rembourse les frais engagés pour enlever la cargaison si elle est abandonnée suite à un sinistre garanti.
- Allègement / Acheminement : Prend en charge les frais de transbordement et de réacheminement de la cargaison jusqu’à destination si le voyage est interrompu.
- Véhicule à bord : Couvre les dommages matériels subis par le véhicule automobile personnel de l’assuré lorsqu’il se trouve à bord ou lors du chargement/déchargement.
- Dommages électriques : Étend la garantie aux dommages subis par les installations électriques du bord (hors accidents de navigation), souvent avec une vétusté appliquée.
- Bris de machine : Garantit, selon des règles précises, le bris accidentel des pièces internes des moteurs propulseurs.
- Extensions de Responsabilité Civile : Très importantes, elles permettent de couvrir des recours de tiers non inclus dans la base :
- Recours pour dommages matériels hors abordage/heurt.
- Recours liés à la pollution (même sans abordage).
- Recours pour dommages corporels causés à des tiers.
- Recours des passagers (dommages matériels et corporels).
- Risque de chargement ou de déchargement : Couvre les dommages causés au bateau par les engins de manutention lors de ces opérations.
Le choix de ces clauses dépendra de votre activité et du niveau de risque que vous êtes prêt à assumer. Discuter de ces options avec votre assureur ou un conseil est fortement recommandé.
Quand l’assurance joue-t-elle ? Le temps de la garantie
La police « corps » couvre votre bateau pendant ses périodes de navigation, mais pas seulement. La garantie reste généralement acquise lorsque le bateau est :
- En cale sèche, sur un gril de carénage ou un slipway pour entretien ou réparation.
- Pendant les opérations de mise à sec, de levage ou de remise à l’eau.
La couverture est également maintenue si votre bateau prête assistance à un autre bateau en difficulté. Attention toutefois : les avaries subies par votre propre bateau lors de cette assistance ne seront prises en charge que si vous ne parvenez pas à vous faire rembourser par le propriétaire du bateau assisté. Idem si vous aidez un autre bateau à franchir un passage difficile, à condition que le tiers aidé renonce à tout recours contre vous.
En revanche, la garantie est généralement suspendue lorsque le bateau effectue des opérations commerciales de poussage ou de remorquage (sauf si ces activités sont spécifiquement déclarées et couvertes par le contrat).
Un point pratique : si votre contrat arrive à échéance alors que votre bateau est en cours de réparation suite à un sinistre garanti, ou s’il est en voyage et subit une avarie garantie, la couverture est automatiquement prolongée jusqu’à la fin des réparations ou du voyage, moyennant le paiement d’une surprime journalière.
Que faire en cas de sinistre affectant le bateau ?
Lorsqu’un accident survient, la réactivité et le respect de la procédure sont essentiels pour obtenir votre indemnisation.
La déclaration de sinistre : agir vite
C’est la première étape : vous devez déclarer le sinistre à votre assureur dès que vous en avez connaissance. Cette première information (souvent par téléphone) doit être confirmée par écrit (lettre recommandée conseillée) dans un délai très court, généralement cinq jours au plus tard. Le non-respect de ce délai peut entraîner une réduction de l’indemnité, voire une déchéance de la garantie si le retard a causé un préjudice à l’assureur.
Assurez-vous également d’avoir tous vos documents de bord en règle. Une jurisprudence (Cour de cassation, 23 octobre 2019) a rappelé que si la police exclut la garantie lorsque les papiers ne sont pas en règle, l’assureur ne peut invoquer cette clause si le titre de navigation était administrativement valide au moment du sinistre, même s’il avait été prolongé exceptionnellement.
La constatation des dégâts : l’expertise
Pour évaluer les dommages, une expertise contradictoire est organisée. L’assureur désigne un expert, et vous avez le droit d’en désigner un également (à vos frais sauf si prévu autrement). L’expertise doit normalement avoir lieu dans les quatre-vingt-dix jours suivant le sinistre. Son but est de déterminer la cause, la nature et l’étendue des avaries, et de chiffrer le coût des réparations nécessaires pour remettre le bateau en état de navigabilité.
Une particularité des polices « corps » fluviales est l’obligation faite à l’assuré de faire procéder sans délai aux réparations validées par l’expertise. Si les travaux ne sont pas entrepris dans un délai souvent fixé à trois mois après l’événement (même pour des raisons indépendantes de votre volonté), l’indemnité versée par l’assureur pourrait être plafonnée au montant qui aurait été dû si les réparations avaient été faites dans ce délai.
Le calcul de l’indemnité : règles et limites
L’indemnité versée par l’assureur se base sur le coût des remplacements et réparations jugés nécessaires par l’expertise. Attention, vous ne pouvez généralement pas prétendre à une indemnisation supplémentaire pour la dépréciation du bateau suite au sinistre, ni pour les pertes d’exploitation pendant l’immobilisation (chômage), sauf si des garanties spécifiques ont été souscrites. Les frais de gages et de nourriture de l’équipage pendant les réparations ne sont pas non plus couverts.
Une franchise, dont le montant est fixé dans votre contrat, reste à votre charge pour chaque événement (sauf en cas de perte totale ou de délaissement accepté).
L’assureur dispose de plusieurs options pour le règlement :
- Il peut exiger que les réparations soient faites par adjudication (appel d’offres), sous peine de réduire l’indemnité (souvent de 25%).
- Il peut choisir de faire réparer lui-même les objets avariés.
- Il peut vous rembourser leur valeur au moment du sinistre, après déduction de la valeur de récupération (valeur « en état d’avarie »).
- Il peut remplacer un objet endommagé ou perdu par un objet équivalent d’occasion.
N’oubliez pas que vous devrez justifier la valeur assurée de votre bateau. Si, au jour du sinistre, cette valeur assurée est inférieure à la valeur réelle, l’assureur appliquera la règle proportionnelle de capitaux et réduira l’indemnité dans la même proportion (principe indemnitaire).
L’option du délaissement : abandonner le bateau à l’assureur
Dans les cas les plus graves, l’assuré peut choisir de « délaisser » son bateau, c’est-à-dire de le céder à l’assureur en échange du paiement de l’indemnité prévue pour une perte totale. Cette option, héritée du droit maritime, n’est possible en fluvial que dans des conditions très strictes :
- Perte totale avérée du bateau.
- Impossibilité technique de le réparer.
- Coût des réparations (y compris frais de renflouement éventuels) atteignant ou dépassant la valeur assurée.
Si vous êtes dans l’une de ces situations, vous devez notifier votre décision de délaissement à l’assureur dans les trois mois suivant l’événement. L’assureur a alors trente jours pour choisir : soit il accepte le délaissement (et devient propriétaire de l’épave), soit il refuse le transfert de propriété mais vous verse quand même l’indemnité de perte totale.
L’assurance « corps » est la protection de base indispensable pour votre bateau fluvial. Sa structure, ses garanties étendues mais aussi ses nombreuses exclusions et options en font un contrat complexe. Une analyse attentive de vos besoins spécifiques et des conditions proposées est nécessaire pour garantir une couverture adéquate.
L’assurance corps est essentielle mais complexe, avec de nombreuses options et exclusions. Pour une couverture optimale de votre bateau fluvial, un conseil personnalisé est indispensable. Contactez notre cabinet pour évaluer vos besoins.
Sources
- Code des assurances (notamment art. L. 174-1 à L. 174-3)
- Police française d’assurance sur corps de bateaux de navigation intérieure (principes généraux issus des imprimés types)