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Prouver la concurrence déloyale : faute, préjudice et lien de causalité expliqués

Table des matières

Vous êtes convaincu qu’un concurrent vous porte préjudice par des méthodes déloyales. Votre intuition vous dit que quelque chose cloche, que la compétition n’est plus jouée à armes égales. Mais entre la conviction intime d’être victime et la capacité à le démontrer devant un tribunal, il y a souvent un fossé important. Gagner une action en concurrence déloyale ne repose pas sur des sentiments, mais sur des preuves tangibles. Comme nous l’avons vu, le fondement de cette action est l’article 1240 du Code civil, qui impose de réunir trois conditions cumulatives : une faute, un préjudice et un lien de causalité entre les deux. Pour une compréhension approfondie de ces principes fondamentaux de la concurrence déloyale et de son fondement juridique, vous pouvez consulter notre article dédié. Oubliez l’une de ces conditions, et votre action échouera, même si le comportement de votre concurrent vous semble profondément injuste. Comment définir précisément chacun de ces éléments ? Et surtout, comment les prouver concrètement ? Pour une vue d’ensemble des procédures et sanctions possibles une fois ces conditions établies, consultez notre article dédié. C’est ce que nous allons détailler dans cet article, en abordant également les subtilités et les souplesses parfois admises par les tribunaux.

La faute : le cœur de l’action en concurrence déloyale

Tout commence par la faute. Sans comportement fautif de la part de votre concurrent, il ne peut y avoir de concurrence déloyale. Mais qu’est-ce qu’une « faute » dans ce contexte ? Il ne s’agit pas forcément d’une infraction pénale ou d’une violation d’un contrat. La faute délictuelle de l’article 1240 est plus large. Elle désigne tout comportement qui s’écarte de la norme attendue d’un professionnel prudent et loyal dans la compétition économique. Cela peut être un acte contraire aux usages honnêtes de votre profession, une manœuvre visant à créer une confusion dans l’esprit des clients, un dénigrement de vos produits, une désorganisation, ou encore un acte de parasitisme profitant indûment de vos efforts.

Un point capital, souvent méconnu : il n’est pas nécessaire de prouver que votre concurrent avait l’intention de vous nuire. La jurisprudence le répète constamment : une simple faute de négligence ou d’imprudence peut suffire. Si un concurrent, par manque de vigilance, adopte une enseigne ou un packaging trop similaire au vôtre et crée ainsi une confusion, il commet une faute susceptible d’engager sa responsabilité, même s’il n’avait pas délibérément cherché à vous imiter. Le devoir de prudence et de respect des autres acteurs du marché s’impose à tous.

Mais comment prouver cette faute concrètement ? C’est souvent là que réside la principale difficulté. Voici les principaux moyens à votre disposition :

  • Les constats d’huissier : C’est un outil très efficace pour « photographier » une situation à un instant T. Un huissier peut constater la présence d’une publicité dénigrante sur un site web, l’agencement d’un magasin créant la confusion, la vente de produits imités… Ces constats ont une forte valeur probante devant les tribunaux.
  • Les témoignages : Les attestations écrites de clients qui ont été induits en erreur, ou d’anciens salariés qui peuvent témoigner de pratiques internes déloyales (attention, le témoignage doit être spontané et obtenu loyalement), peuvent être utiles. Méfiez-vous cependant des preuves obtenues par des stratagèmes déloyaux (faux clients, enregistrements clandestins…) qui pourraient être écartées par le juge. La loyauté s’impose aussi dans la recherche de la preuve.
  • Les documents écrits : Conservez toute trace écrite : publicités, brochures, e-mails, courriers, comparatifs de prix trompeurs… qui peuvent matérialiser la faute de votre concurrent.
  • Les mesures d’instruction « in futurum » (article 145 du Code de procédure civile) : Si vous suspectez des actes déloyaux mais manquez de preuves directes (par exemple, un détournement de savoir-faire ou un parasitisme basé sur des économies internes illicites), vous pouvez demander au juge, avant même d’engager votre procès au fond, d’ordonner des mesures pour obtenir ces preuves. Il peut s’agir de la désignation d’un expert judiciaire pour analyser la situation, ou même d’autoriser une saisie de documents chez votre concurrent. C’est une procédure très utile mais encadrée : il faut justifier d’un motif légitime (des soupçons sérieux) et la mesure doit être proportionnée. Le juge veillera aussi à protéger le secret des affaires légitime de l’entreprise visée, même si ce secret n’est pas un obstacle absolu à la recherche de la vérité.

Un cas particulier de faute est la violation d’une réglementation. Si votre concurrent ne respecte pas les règles qui s’imposent à votre secteur (normes sociales, fiscales, environnementales, règles spécifiques sur les prix, diplômes requis…) et en tire un avantage économique (coûts réduits, possibilité de pratiquer des prix plus bas…), cette violation peut constituer en elle-même une faute de concurrence déloyale. Vous n’aurez alors qu’à prouver le non-respect de la règle et l’avantage concurrentiel qui en découle pour lui.

Le préjudice : quelles conséquences dommageables ?

Avoir subi une faute, c’est une chose. Encore faut-il que cette faute vous ait causé un préjudice. Sans dommage démontré, pas de réparation possible. C’est un principe de base de la responsabilité civile.

En matière de concurrence déloyale, le préjudice peut prendre diverses formes :

  • Le préjudice matériel direct : C’est le plus évident : la perte de chiffre d’affaires, la diminution de vos marges, la perte de contrats spécifiques directement imputables aux agissements déloyaux de votre concurrent. C’est souvent le préjudice le plus facile à chiffrer, mais pas toujours le seul ni le plus important.
  • Le trouble commercial : C’est une notion plus large, fréquemment utilisée par les tribunaux pour englober diverses atteintes immatérielles. Il peut s’agir d’une atteinte à votre image de marque ou à votre réputation, de la banalisation de vos produits ou de vos signes distinctifs (quand le parasite copie vos efforts, votre marque perd de sa valeur), de la déstabilisation de votre entreprise (démobilisation des équipes suite à un débauchage massif, nécessité de réorienter votre stratégie…). Les dépenses que vous avez dû engager pour contrer les actes déloyaux (campagne de communication corrective, frais juridiques…) font aussi partie de ce trouble.
  • Le préjudice moral : Oui, même une entreprise (personne morale) peut subir un préjudice moral, distinct du trouble commercial. Il vise l’atteinte à son honneur, à sa considération professionnelle. Il est souvent symbolique (condamnation à 1€) mais peut être accordé en complément du préjudice matériel.

La difficulté majeure réside souvent dans l’évaluation de ce préjudice. Comment isoler l’impact exact de la faute de votre concurrent des autres facteurs qui influencent votre activité (conjoncture économique, concurrence normale, vos propres choix stratégiques…) ? C’est un exercice complexe. Les juges le savent et disposent d’un pouvoir souverain pour apprécier le montant de la réparation. Ils se basent sur les éléments que vous leur fournissez (bilans comptables, études de marché, attestations…) mais l’évaluation reste souvent forfaitaire.

Face à cette difficulté, la jurisprudence a développé une approche pragmatique. Les juges considèrent très souvent que de certains actes de concurrence déloyale, par leur nature même (un dénigrement public, une imitation créant une confusion évidente, un parasitisme flagrant…), découle nécessairement un préjudice, au minimum un trouble commercial ou un préjudice moral. C’est ce qu’on appelle parfois la « présomption de préjudice ». Attention, cela ne vous dispense pas totalement de justifier l’étendue de votre dommage ! Si vous ne fournissez aucun élément permettant au juge d’évaluer, même approximativement, les conséquences financières ou commerciales de la faute, votre demande de dommages et intérêts risque d’être rejetée ou limitée au minimum symbolique. Il faut donc, même si le préjudice est présumé dans son principe, s’efforcer de le quantifier.

Une méthode d’évaluation, de plus en plus admise notamment en cas de parasitisme, consiste à calculer le préjudice non pas en fonction de la perte subie par la victime, mais en fonction des économies ou des profits réalisés par l’auteur de la faute. L’idée est de le priver du gain indûment acquis grâce à son comportement déloyal. C’est une approche dissuasive et qui vise à rétablir l’équilibre concurrentiel faussé.

Le lien de causalité : prouver que la faute a causé le préjudice

Troisième et dernière condition : il faut démontrer que le préjudice que vous invoquez est bien la consequence directe de la faute commise par votre concurrent. Ce lien de causalité peut sembler évident, mais il doit être établi.

Comment faire ?

  • En montrant une corrélation temporelle : votre chiffre d’affaires a chuté juste après le début de la campagne de dénigrement, par exemple.
  • En procédant à des comparaisons : évolution de votre activité comparée à celle de concurrents non affectés par la faute, ou comparée à vos propres prévisions basées sur les années antérieures.
  • En produisant des attestations de clients expliquant avoir choisi le concurrent en raison de la confusion créée, ou avoir renoncé à acheter vos produits suite aux critiques dénigrantes.

Là encore, la preuve peut être délicate. D’autres facteurs ont pu jouer sur vos résultats. C’est pourquoi les juges font souvent preuve de pragmatisme. Si la faute est avérée et grave, et qu’un préjudice (même un simple trouble commercial) est constaté, ils admettront assez facilement le lien de causalité, considérant que la faute a nécessairement contribué au dommage, sans exiger une démonstration scientifique impossible à fournir. La « présomption » de préjudice aide indirectement à établir ce lien.

En conclusion, si l’action en concurrence déloyale repose sur les trois piliers classiques de la responsabilité civile – faute, préjudice, lien de causalité – leur application pratique est marquée par une certaine souplesse jurisprudentielle, consciente des réalités économiques et des difficultés de preuve. Néanmoins, le succès de votre action dépendra largement de la qualité du dossier que vous présenterez. Réunir des preuves solides de la faute, identifier clairement les différents aspects de votre préjudice et fournir des éléments pour en justifier l’évaluation et le lien avec la faute sont des étapes déterminantes.

La constitution d’un dossier solide est déterminante pour le succès d’une action en concurrence déloyale. Notre cabinet vous assiste dans la collecte des preuves et la démonstration des conditions de la responsabilité. Pour bénéficier de notre expertise spécialisée et optimiser les chances de succès de votre action, contactez-nous pour élaborer votre stratégie.

Sources

  • Code civil : Article 1240 (ancien article 1382), Article 1241 (ancien article 1383).
  • Code de procédure civile : Article 145 (Mesures d’instruction avant tout procès).

Voici le quatrième article de la série, consacré aux formes agressives de concurrence déloyale : le dénigrement et la désorganisation.

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