Quirataires de navire : quels droits, quelles responsabilités financières ?

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Devenir copropriétaire d’un navire, ou « quirataire » selon le terme consacré, ouvre la porte à une aventure maritime partagée. Mais au-delà du rêve, cette qualité confère des droits précis et, surtout, implique des responsabilités financières qu’il est essentiel de bien comprendre avant de s’engager. Loin d’être un simple investisseur passif, le quirataire détient une part du navire et participe à sa vie juridique et économique. Son engagement peut cependant dépasser sa mise initiale, notamment en cas de dettes. La création de la copropriété de navire implique également que chaque quirataire doit s’accorder sur la gestion et l’entretien du bateau, ce qui peut nécessiter des réunions régulières et une bonne communication. De plus, il est fondamental de se familiariser avec les règlements maritimes et les obligations légales qui encadrent la copropriété, afin d’éviter d’éventuels litiges entre les copropriétaires. Ainsi, cette aventure maritime requiert non seulement un investissement financier, mais aussi un engagement personnel pour garantir le succès de la collaboration.

Cet article explore en détail ce que signifie être quirataire. Quels sont vos droits concrets sur le navire et sur votre part ? Comment pouvez-vous participer aux décisions et aux résultats ? Est-il facile de céder ses parts ? Nous aborderons ensuite le point souvent névralgique de la responsabilité pour les dettes de la copropriété : qui paie quoi ? Votre responsabilité est-elle illimitée ? Existe-t-il des moyens de la contenir ? Enfin, nous évoquerons les garanties spécifiques qui peuvent être prises sur le navire, comme l’hypothèque. De plus, il est crucial de bien comprendre les droits des copropriétaires de navire afin de protéger vos intérêts en tant que quirataire. Une bonne connaissance de ces droits vous permettra de naviguer efficacement dans les complexités de la copropriété maritime. Enfin, nous aborderons les mesures à prendre pour assurer une gestion saine et transparente de la copropriété et éviter les conflits potentiels.

Les droits du quirataire : plus qu’un simple investisseur

Contrairement à un actionnaire de société qui détient un titre financier, le quirataire possède un véritable droit de propriété, un droit réel, sur une fraction indivise du navire lui-même. Il n’apporte pas sa part à une entité distincte ; il la conserve. Cette nuance est importante et fonde plusieurs de ses prérogatives.

Naturellement, en tant que copropriétaire, le quirataire participe aux résultats de l’exploitation du navire, qu’il s’agisse des bénéfices ou des pertes, et ce, proportionnellement à sa part d’intérêt, comme le précise l’article 19 de la loi du 3 janvier 1967. Cette participation aux résultats a pour corollaire l’obligation de contribuer aux dépenses et de répondre aux appels de fonds décidés par la majorité pour les besoins de l’exploitation. Il participe également, comme nous l’avons vu dans notre précédent article, aux décisions collectives par son droit de vote, lui aussi proportionnel à ses parts.

Un droit fondamental du quirataire est celui de disposer librement de sa part. En principe, il peut vendre ou donner ses quirats quand il le souhaite et à qui il veut, sans avoir besoin de l’accord des autres copropriétaires (Loi 1967, art. 22). La copropriété est donc, par nature, « ouverte ». Cette cession doit être constatée par écrit (Loi 1967, art. 10) et faire l’objet d’une publicité rigoureuse : elle doit être inscrite sur la fiche matricule du navire tenue par les douanes (Décret du 27 octobre 1967, art. 8 et 92).

Cette publicité est absolument déterminante. Tant qu’elle n’est pas effectuée, la cession n’est pas opposable aux tiers. Cela signifie que le vendeur (le cédant) reste tenu des dettes de la copropriété nées avant la date de publication de la cession, comme le souligne la fin de l’article 22 de la loi de 1967. Une décision récente de la Cour de cassation (Com. 19 mai 2021, n° 19-20.155) a rappelé avec force ce principe : peu importe que la vente ait eu lieu, si la publicité n’est pas faite (par exemple, parce que l’acheteur tarde à fournir les documents), le vendeur reste engagé vis-à-vis des créanciers pour les dettes antérieures à cette publicité. On imagine aisément l’inquiétude d’un vendeur confronté à un acheteur négligent…

Le caractère ouvert de la copropriété peut parfois être perçu comme un inconvénient, notamment dans les copropriétés de plaisance ou de pêche où les relations personnelles (l’ intuitu personae) sont importantes. Peut-on alors insérer dans le contrat initial une clause obligeant un quirataire qui souhaite vendre à obtenir l’agrément des autres ? La loi ne le prévoit pas expressément, contrairement au droit des sociétés. La question est débattue, mais si une telle clause était admise, son efficacité dépendrait sans doute, là encore, de sa publication sur la fiche matricule.

La loi prévoit toutefois deux limites expresses à la liberté de cession :

  1. Si la vente d’une part a pour conséquence de faire perdre au navire sa francisation (par exemple, si l’acheteur est ressortissant d’un pays tiers et que sa part fait basculer la majorité du capital hors UE), l’accord unanime de tous les autres copropriétaires est indispensable (Loi 1967, art. 22, al. 2).
  2. Un cas particulier concerne les copropriétaires qui sont également membres de l’équipage. S’ils sont licenciés, ils ont le droit de quitter la copropriété et d’obtenir le remboursement de la valeur de leurs parts (fixée à l’amiable ou par le tribunal). C’est une sorte de droit de retrait spécifique (Loi 1967, art. 23).

Enfin, dernier droit patrimonial important : le quirataire peut utiliser sa part comme garantie. Il a le droit d’hypothéquer son ou ses quirats pour garantir ses propres dettes personnelles, en respectant les règles des hypothèques maritimes (Loi 1967, art. 24).

Qui paie les dettes de la copropriété ? Un régime à plusieurs vitesses

C’est souvent la question qui préoccupe le plus les candidats à la copropriété : jusqu’où mon patrimoine personnel est-il engagé si le navire génère des dettes ? Avant de répondre, il faut savoir quelles dettes engagent la copropriété. Il s’agit de toutes les dettes (contractuelles, délictuelles, légales) nées de la gestion normale du navire par le gérant agissant dans le cadre de ses pouvoirs légaux (rappelez-vous que les limitations internes de ses pouvoirs sont inopposables aux tiers). Sont également concernées les dettes contractées par un autre quirataire ou un tiers si celui-ci avait reçu un mandat exprès de la copropriété ou du gérant. En cas de défaut de paiement, les créanciers peuvent se retourner contre les biens de la copropriété, mais également contre les patrimoines personnels des copropriétaires si la situation l’exige. Cela souligne l’importance d’une bonne gestion financière et d’une transparence au sein de la copropriété. Il est crucial de bien comprendre les implications financières afin d’éviter une mise en danger des biens personnels, surtout à la fin de la copropriété de navire.

Historiquement, la jurisprudence considérait que tous les quirataires étaient responsables indéfiniment et solidairement des dettes. C’était une solution très sévère, surtout lorsque des personnes non initiées au monde maritime ont commencé à investir. La loi du 3 janvier 1967, modifiée sur ce point par une loi du 26 juin 1987 visant à attirer de nouveaux capitaux, a instauré un système plus nuancé, organisé autour de la distinction entre les quirataires qui sont gérants et ceux qui ne le sont pas. C’est l’article 20 de la loi de 1967 qui régit ce dispositif complexe.

Les quirataires qui sont également gérants (ou ceux qui sont réputés gérants parce qu’aucun gérant n’a été désigné ou publié) voient leur situation inchangée : ils restent tenus indéfiniment sur leur patrimoine personnel et solidairement entre eux pour toutes les dettes de la copropriété. La solidarité signifie qu’un créancier peut réclamer la totalité de la dette à un seul des gérants, à charge pour lui de se retourner ensuite contre les autres. Ils ne peuvent échapper à cette responsabilité par une convention contraire.

Les quirataires qui ne sont pas gérants bénéficient d’un régime plus favorable. Leur responsabilité est certes toujours indéfinie (elle peut dépasser le montant de leur part), mais elle n’est plus solidaire de plein droit. Elle est devenue conjointe : chaque quirataire non-gérant n’est tenu des dettes qu’à proportion de sa part dans le navire. Par exemple, s’il détient 2 quirats sur 24 (soit 1/12ème), un créancier ne peut lui réclamer que 1/12ème de la dette. Ce système rappelle celui des associés de sociétés civiles (Code civil, art. 1857).

Mais la loi va plus loin et offre une flexibilité contractuelle aux quirataires non-gérants. Ils peuvent, par une convention écrite :

  • Soit limiter leur responsabilité au montant de leur participation dans le navire. Leur engagement ne dépassera alors pas la valeur de leurs quirats.
  • Soit, à l’inverse, rétablir une solidarité entre eux ou avec les gérants, qui n’existe plus automatiquement.

Un cas particulier est prévu : si la gestion est confiée à un ou plusieurs gérants qui ne sont pas copropriétaires. Pour éviter que tous les copropriétaires ne se déchargent de la responsabilité solidaire sur un gérant externe (potentiellement peu solvable), la loi impose qu’il soit alors stipulé dans une convention que des copropriétaires représentant plus de la moitié des intérêts restent indéfiniment et solidairement tenus des dettes. Si une telle convention n’est pas établie et publiée, alors tous les quirataires, sans exception, redeviennent indéfiniment et solidairement responsables (Loi 1967, art. 20, al. 4).

Le point absolument essentiel à retenir est que toutes ces conventions aménageant la responsabilité des quirataires non-gérants (limitation ou solidarité) ne sont valables et opposables aux tiers que si elles ont été publiées (Loi 1967, art. 20, al. 5). Cette publication se fait par une mention sur la fiche matricule du navire (Décret 1967, art. 92). Sans cette publicité, les règles légales s’appliquent : responsabilité solidaire pour les gérants, responsabilité conjointe pour les non-gérants.

Ce régime de responsabilité, bien que protecteur sur le papier, connaît des limites pratiques. D’une part, la responsabilité « indéfinie » des quirataires peut elle-même être plafonnée par les mécanismes généraux de limitation de responsabilité de l’exploitant de navire prévus par d’autres textes (notamment l’article 58 de la loi de 1967 elle-même, renvoyant aux conventions internationales). D’autre part, si le quirataire gérant solidaire est une société à responsabilité limitée (SARL ou EURL) avec un capital minimal, la garantie offerte aux créanciers peut être faible. C’est pourquoi, dans la pratique, les partenaires financiers (les banques notamment) exigent très souvent des garanties personnelles supplémentaires, comme le cautionnement solidaire de chacun des copropriétaires, pour sécuriser leurs prêts.

Sécuriser les créances : l’hypothèque sur le navire

Outre les recours contre les quirataires eux-mêmes, les créanciers peuvent chercher à obtenir une garantie directement sur le bien exploité : le navire. L’hypothèque maritime est un outil privilégié pour cela. Il faut bien la distinguer de l’hypothèque qu’un quirataire peut consentir sur sa propre part (quirat) pour garantir une dette personnelle. Ici, il s’agit d’hypothéquer le navire entier pour garantir une dette de la copropriété elle-même (par exemple, un prêt pour une réparation majeure ou pour l’acquisition).

Qui peut décider d’une telle mesure ? Le gérant peut le faire, mais pas seul. Compte tenu de la gravité de l’acte (qui peut conduire à la saisie et à la vente du navire en cas de non-paiement), la loi exige une autorisation spéciale des copropriétaires. Et pas n’importe laquelle : il faut l’accord d’une majorité de copropriétaires représentant au moins les trois quarts (3/4) de la valeur du navire (Loi 1967, art. 25). C’est une majorité qualifiée très élevée, calculée sur la valeur estimée du bâtiment et non sur le nombre de parts, destinée à protéger les intérêts de l’ensemble des copropriétaires, y compris ceux qui pourraient être moins au fait des affaires maritimes.

Comme pour la constitution de la copropriété, l’hypothèque doit être constatée par écrit (Loi 1967, art. 43), même un simple acte sous seing privé suffit. Pour être opposable aux tiers et donner un rang au créancier, elle doit impérativement être inscrite sur un registre spécial tenu par le conservateur des hypothèques maritimes, qui est en pratique le bureau des douanes où le navire a été francisé (Décret 1967, art. 15). L’inscription est également mentionnée sur la fiche matricule (Décret 1967, art. 92).

Une fois inscrite, l’hypothèque confère au créancier des droits importants : un droit de préférence sur le prix de vente du navire par rapport aux créanciers ordinaires (Loi 1967, art. 47) et un droit de suite, qui lui permet de saisir le navire même s’il a été vendu à un tiers (Loi 1967, art. 55). La loi protège également le créancier hypothécaire en interdisant toute opération volontaire qui entraînerait la perte de la francisation du navire sans son accord (art. 57). L’acquéreur d’un navire hypothéqué dispose, quant à lui, de procédures spécifiques pour se protéger des poursuites, notamment en offrant de payer immédiatement les créanciers inscrits jusqu’à concurrence du prix d’achat (Décret 1967, art. 21 et suivants).


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Sources

  • Loi n° 67-5 du 3 janvier 1967 portant statut des navires et autres bâtiments de mer (articles pertinents, notamment 10, 19, 20, 22, 23, 24, 25, 43, 47, 55, 57, 58)
  • Loi n° 87-444 du 26 juin 1987 modifiant la loi n° 67-5
  • Décret n° 67-967 du 27 octobre 1967 pris pour l’application de la loi n° 67-5 (articles pertinents, notamment 8, 15, 21 et s., 92)
  • Code des transports (Dispositions recodifiant potentiellement certains articles des textes précédents)
  • Code civil (notamment article 1857 relatif à la responsabilité dans les sociétés civiles)
  • Jurisprudence pertinente (ex : Cass. Com. 19 mai 2021, n° 19-20.155 sur l’opposabilité de la cession de parts)

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