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Recouvrement des créances titrisées : enjeux et évolutions juridiques

Table des matières

Le parcours d’une créance ne s’arrête pas à sa cession. Lorsqu’une entreprise transfère un portefeuille de créances à un organisme de financement dans le cadre d’une opération de titrisation, une question essentielle se pose : qui est légalement en droit d’en réclamer le paiement au débiteur ? La réponse, loin d’être simple, a fait l’objet de nombreuses évolutions législatives et de débats jurisprudentiels. Comprendre les règles qui régissent la qualité à agir en recouvrement est donc un enjeu majeur pour la sécurité juridique de toutes les parties impliquées, du cédant aux investisseurs, en passant par le débiteur lui-même.

Principes généraux du recouvrement des créances titrisées

La règle de base, posée par l’article L. 214-172 du Code monétaire et financier, est celle de la continuité. En principe, le recouvrement des créances titrisées continue d’être assuré par le cédant, c’est-à-dire l’entité qui a originellement vendu les créances. Cette solution présente des avantages pratiques évidents. Le cédant, souvent une banque ou une grande entreprise, conserve sa relation commerciale avec le débiteur, ce qui peut faciliter les échanges et préserver la relation client. De plus, il possède une connaissance approfondie du portefeuille de créances et des procédures de recouvrement internes déjà en place.

Ce maintien du recouvrement par le cédant est encadré par une convention de gestion ou de recouvrement passée avec la société de gestion de l’organisme de titrisation. Ce contrat définit les missions, les pouvoirs et la rémunération de l’agent de recouvrement. Cependant, ce principe n’est pas absolu et le législateur a prévu des alternatives pour confier cette mission à d’autres acteurs.

Les évolutions législatives concernant la qualité à agir en recouvrement

Le cadre juridique du recouvrement des créances titrisées a connu une libéralisation progressive. Initialement, la loi de 1988 qui a introduit la titrisation en France était très restrictive. Le recouvrement ne pouvait être confié à un tiers que sous des conditions très strictes, nécessitant l’accord écrit du débiteur.

Une première étape d’assouplissement est intervenue avec la loi de 1993, qui a permis de transférer le recouvrement à un autre établissement de crédit par simple information du débiteur, à condition qu’une clause dans le contrat initial le prévoie. L’ordonnance de 2013 a ensuite élargi cette possibilité à « toute autre entité désignée à cet effet », marquant une nouvelle ouverture mais créant aussi une zone d’incertitude sur la nécessité d’une désignation formelle pour que la société de gestion de l’organisme puisse elle-même agir.

La véritable clarification est venue avec l’ordonnance du 4 octobre 2017, complétée par la loi PACTE du 22 mai 2019. Ces textes ont profondément remanié les règles et modernisé le cadre juridique des organismes de titrisation. Ils ont mis fin à un contentieux abondant en reconnaissant explicitement à la société de gestion de portefeuille (SGP) la qualité pour agir en recouvrement, de plein droit.

La société de gestion de portefeuille (sgp) comme acteur direct du recouvrement

La réforme de 2017 constitue un tournant. L’article L. 214-172 du Code monétaire et financier dispose désormais que la société de gestion, en tant que représentante légale de l’organisme de financement, peut assurer directement le recouvrement des créances. Elle n’a plus besoin d’un mandat spécifique ou d’une désignation formelle pour le faire ; sa qualité à agir découle directement de la loi. Cette clarification positionne la SGP comme un intervenant central, dont le rôle s’articule avec celui des autres acteurs de l’opération de titrisation.

En conséquence, l’information du débiteur n’est plus requise pour que la SGP puisse engager une action. L’obligation d’information ne subsiste qu’en cas de changement ultérieur, c’est-à-dire si la SGP décide de confier à son tour le recouvrement à une autre entité, par exemple une société spécialisée. Dans ce cas, le débiteur doit être informé de ce nouveau changement « par tout moyen », y compris par l’acte judiciaire qui engage la procédure contre lui.

Conflits de lois dans le temps et jurisprudence

L’entrée en vigueur de l’ordonnance de 2017 a soulevé la question de son application aux procédures judiciaires engagées avant sa mise en œuvre, sous l’empire de la loi de 2013 plus restrictive. Quel est l’impact pour les actions en recouvrement déjà en cours ?

Après une période d’hésitation, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence significatif. Dans plusieurs arrêts rendus en 2020, elle a jugé que les nouvelles dispositions de l’article L. 214-172 s’appliquaient de manière immédiate aux instances en cours. La Haute juridiction s’est fondée sur l’article 126 du Code de procédure civile, qui permet d’écarter une fin de non-recevoir si sa cause a disparu au moment où le juge statue.

Concrètement, même si la société de gestion n’avait pas formellement la qualité pour agir au moment où elle a initié la procédure, l’entrée en vigueur de la loi de 2017 en cours d’instance a « régularisé » sa situation. Cette solution pragmatique a permis de valider de nombreuses procédures qui auraient pu être annulées pour un motif de forme, sécurisant ainsi les opérations de titrisation passées.

L’impact de la procédure collective du cédant sur le recouvrement

L’un des piliers de la titrisation est le principe de « bankruptcy remoteness », ou « l’éloignement du risque de faillite ». L’objectif est de s’assurer que les créances transférées à l’organisme de titrisation sont isolées du patrimoine du cédant et protégées en cas de difficultés financières de ce dernier. C’est une sorte de cloison étanche qui garantit aux investisseurs que leur remboursement ne sera pas affecté par une éventuelle procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire du cédant.

Le droit français assure cette protection de manière très robuste. L’article L. 214-175, III du Code monétaire et financier déclare que les dispositions du livre VI du Code de commerce, relatives aux entreprises en difficulté, ne sont pas applicables aux organismes de titrisation. De plus, la cession des créances, une fois effective par la remise du bordereau, est opposable à tous les tiers, y compris aux organes de la procédure collective du cédant. Les flux financiers issus du recouvrement sont ainsi dirigés vers l’organisme de titrisation et ses investisseurs, à l’abri des autres créanciers du cédant.

Le droit de retrait litigieux et la cession de créances futures

Bien que la cession de créances à un organisme de titrisation soit un mécanisme spécifique, elle n’échappe pas totalement au droit commun. La jurisprudence a ainsi confirmé que le droit de retrait litigieux, prévu à l’article 1699 du Code civil, pouvait en théorie s’appliquer. Ce droit permet au débiteur d’une créance qui faisait l’objet d’un litige avant sa cession de « racheter » sa propre dette au cessionnaire, en lui remboursant le prix que ce dernier a payé. Toutefois, son application pratique dans le cadre de la titrisation est souvent impossible. Les portefeuilles de créances sont généralement cédés pour un prix global et forfaitaire, sans qu’un prix individuel soit attribué à chaque créance. La Cour de cassation a jugé que cette absence de prix individualisé empêche le débiteur d’exercer son droit de retrait.

Par ailleurs, la souplesse du cadre juridique permet la cession de créances qui ne sont pas encore nées, dites créances futures. Il peut s’agir par exemple des loyers à échoir de baux commerciaux déjà conclus. Pour être valables, ces créances doivent être suffisamment déterminables. Leur cession est efficace dès la signature du bordereau et reste valable même si le cédant fait l’objet d’une procédure collective avant que les créances ne deviennent exigibles.

Le compte spécialement affecté : un mécanisme de sécurisation des flux

Pour renforcer la protection des flux financiers, la loi a prévu un outil puissant : le compte spécialement affecté. L’article L. 214-173 du Code monétaire et financier permet à l’agent de recouvrement de déposer les sommes encaissées pour le compte de l’organisme de titrisation sur un compte bancaire dédié.

L’intérêt majeur de ce mécanisme est qu’il crée une nouvelle étanchéité. Les fonds crédités sur ce compte sont insaisissables par les propres créanciers de l’entité chargée du recouvrement. Même si cette dernière venait à faire faillite, les sommes collectées pour l’organisme de titrisation seraient protégées et ne tomberaient pas dans l’actif de la procédure collective du recouvreur. Ce dispositif garantit que l’argent des débiteurs est bien fléché vers les investisseurs, sécurisant ainsi l’ensemble du montage financier.

La gestion du recouvrement des créances titrisées est un domaine technique où les règles ont beaucoup évolué, cherchant un équilibre entre l’efficacité des opérations de financement et la protection des débiteurs. La jurisprudence continue d’affiner l’interprétation de ces règles complexes. Pour naviguer ces complexités et sécuriser vos opérations de financement, l’assistance d’un avocat expert en droit bancaire est déterminante. Notre cabinet vous accompagne pour analyser vos conventions de recouvrement et défendre vos intérêts.

Sources

  • Code monétaire et financier
  • Code de commerce
  • Code civil

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