Responsabilité de l’hôtelier : dommages aux clients et à leurs biens

Table des matières

Un séjour à l’hôtel est généralement une expérience positive, mais nul n’est à l’abri d’un incident : une chute malencontreuse dans les escaliers, le vol d’objets de valeur dans une chambre ou d’un véhicule sur le parking… Lorsque de tels événements surviennent, la question de la responsabilité de l’hôtelier se pose immédiatement. Qui doit supporter les conséquences financières du dommage subi par le client ? Le droit français encadre précisément cette responsabilité, mais selon des régimes distincts et parfois complexes, qu’il s’agisse de l’atteinte à la personne du voyageur ou de celle portée à ses biens. Comprendre ces règles est essentiel tant pour le client souhaitant faire valoir ses droits que pour l’exploitant cherchant à maîtriser ses risques.

La sécurité de la personne du voyageur

Lorsqu’un client subit un dommage corporel dans l’enceinte de l’hôtel (une blessure suite à une chute, une intoxication alimentaire liée au restaurant de l’hôtel…), la responsabilité de l’exploitant peut être engagée sur le terrain contractuel. En effet, le contrat d’hôtellerie met à la charge de l’hôtelier une obligation générale de sécurité envers ses clients.

Cependant, la jurisprudence considère de manière constante qu’il s’agit ici d’une obligation de moyens. Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? L’hôtelier n’est pas automatiquement responsable de tout accident survenant dans son établissement. Il doit seulement prouver qu’il a mis en œuvre les moyens raisonnables pour assurer la sécurité de ses clients. Inversement, c’est au client victime de prouver que l’accident est dû à une faute de l’hôtelier : un manquement à ses devoirs de prudence et de diligence.

Cette faute peut prendre diverses formes : un défaut d’entretien des locaux (un sol glissant non signalé, une marche défectueuse), un équipement dangereux (une installation électrique non conforme), un manque de signalisation d’un danger particulier, ou encore une surveillance insuffisante dans certaines zones (piscine, par exemple). Si le client parvient à démontrer cette faute et le lien de causalité entre celle-ci et son préjudice, il pourra obtenir réparation.

En l’absence de faute prouvée de l’hôtelier, ou si l’accident résulte exclusivement de l’imprudence ou de la maladresse du client lui-même (une chute due à l’inattention, par exemple), l’exploitant ne sera pas tenu responsable. Il arrive aussi que les torts soient partagés : une faute de l’hôtelier (une rampe d’escalier mal fixée) combinée à une imprudence du client (il descendait en courant). Dans ce cas, la responsabilité peut être partagée entre l’hôtelier et la victime, et l’indemnisation sera réduite en proportion de la faute du client.

Il ne faut pas oublier que si la faute de l’hôtelier (ou de ses employés) est suffisamment grave et cause des blessures importantes, voire le décès d’un client, sa responsabilité pénale peut également être engagée pour blessures ou homicide involontaires (articles 221-6 et 222-19 du code pénal). Cette action pénale a une incidence sur l’action civile en réparation : le juge civil doit souvent attendre la décision du juge pénal avant de statuer (« le criminel tient le civil en état »). Une relaxe au pénal n’empêche pas toujours une condamnation au civil, mais une condamnation pénale pour faute établit définitivement cette faute pour le procès civil.

La sécurité des biens apportés par le voyageur : le régime spécifique des articles 1952 à 1954 du code civil

Le régime de responsabilité change radicalement lorsqu’il s’agit des biens que le client apporte avec lui à l’hôtel (bagages, vêtements, appareils électroniques, argent, bijoux, matériel professionnel…). Pour ces situations, le code civil a instauré un régime spécial, défini aux articles 1952 à 1954. Ces règles, issues d’une convention européenne et intégrées en droit français, sont considérées comme d’ordre public, ce qui signifie qu’on ne peut y déroger facilement par contrat.

La caractéristique fondamentale de ce régime est qu’il instaure une responsabilité de plein droit de l’hôtelier. Autrement dit, si les biens d’un client sont volés ou endommagés dans l’hôtel, l’exploitant est présumé responsable automatiquement, sans que le client ait besoin de prouver une faute de sa part. C’est un avantage considérable pour le client victime. La Cour de cassation l’a d’ailleurs rappelé clairement dans une décision de septembre 2020 (Civ. 1ère, 23 sept. 2020, n° 19-11.441) : la responsabilité de l’hôtelier n’est pas subordonnée à la preuve d’une faute, celle-ci n’intervenant que pour déterminer si l’indemnisation doit être plafonnée ou non.

Cette responsabilité couvre tous les « effets apportés » par le voyageur dans l’enceinte de l’établissement ou dans ses dépendances privatives (comme le parking ou le garage de l’hôtel). Cela inclut une large gamme d’objets, y compris les véhicules eux-mêmes dans certaines conditions (voir plus bas). Seuls les animaux vivants sont explicitement exclus par la loi. La responsabilité dure pendant toute la durée effective du séjour du client dans l’établissement.

Bien que le client n’ait pas à prouver la faute de l’hôtelier, il doit tout de même établir trois éléments pour obtenir réparation :

  1. L’introduction des biens dans l’hôtel : Il doit démontrer qu’il avait bien avec lui les objets prétendument volés ou endommagés. Comme il s’agit d’un « dépôt nécessaire », la preuve est libre et peut se faire par tous moyens (témoignages, factures, photos, faisceau d’indices – article 1950 du code civil).
  2. La réalité du vol ou du dommage : Il doit prouver que l’incident a bien eu lieu dans l’hôtel pendant son séjour. Un dépôt de plainte rapide auprès des services de police est souvent un élément de preuve déterminant en cas de vol.
  3. L’étendue de son préjudice : Il doit justifier de la valeur des biens volés ou du coût des réparations pour les biens endommagés.

Les limites de la responsabilité pour les biens : plafonds et exonérations

Si la responsabilité de l’hôtelier est présumée, elle n’est ni absolue ni illimitée. La loi prévoit des cas où l’hôtelier peut être totalement exonéré, et des cas où son obligation de réparation est limitée à un certain montant (plafonnée).

L’hôtelier peut échapper à toute responsabilité (article 1954, alinéa 1er du code civil) s’il prouve que le dommage est dû :

  • À la force majeure : Il s’agit d’un événement extérieur, imprévisible et irrésistible. Attention, les tribunaux interprètent très strictement cette notion. Un vol à main armée ou un cambriolage, bien que violents, ne sont généralement pas considérés comme des cas de force majeure exonératoire, car ils sont malheureusement des risques prévisibles contre lesquels un hôtelier doit prendre des précautions raisonnables.
  • À la nature ou au vice de la chose : Par exemple, si un objet particulièrement fragile se brise sans intervention extérieure.
  • À la faute du client : Si le client a commis une négligence grave qui est à l’origine du dommage (par exemple, laisser la porte de sa chambre ouverte toute la nuit, exhiber ostensiblement une importante somme d’argent, laisser des objets de valeur en évidence sur le siège d’une voiture non verrouillée sur le parking de l’hôtel). Selon la gravité de la faute du client, l’hôtelier peut être totalement ou partiellement exonéré.

En dehors de ces cas d’exonération totale, la responsabilité de l’hôtelier subsiste, mais l’indemnisation qu’il doit verser est en principe plafonnée. L’article 1953, alinéa 2 du code civil fixe cette limite à 100 fois le prix de location du logement par journée. Il s’agit bien d’un plafond maximum : si le préjudice prouvé par le client est inférieur à ce montant, l’hôtelier ne devra rembourser que le préjudice réel. C’est à l’hôtelier d’établir quel était le prix journalier de la chambre si ce point est contesté.

Cependant, ce plafond peut être écarté dans certaines situations où la responsabilité de l’hôtelier redevient illimitée (article 1953 in fine). L’hôtelier devra alors indemniser l’intégralité du préjudice prouvé par le client. C’est le cas lorsque :

  1. Le client prouve que le dommage résulte d’une faute de l’hôtelier ou de l’un de ses employés. Il peut s’agir d’une simple négligence : un défaut de surveillance manifeste, une porte d’accès mal sécurisée, la remise d’une clé à une mauvaise personne, un coffre-fort défectueux ou mal fixé… Comme l’a souligné l’arrêt de 2020 précité, c’est ici que la preuve de la faute redevient déterminante, non pas pour établir la responsabilité (qui est présumée), mais pour obtenir une indemnisation intégrale.
  2. L’hôtelier a refusé de recevoir en dépôt les objets de valeur du client sans motif légitime. Si un client demande à déposer des bijoux, de l’argent liquide ou des documents importants dans le coffre central de l’hôtel et que l’hôtelier refuse sans raison valable, il sera tenu à une indemnisation illimitée si ces objets sont ensuite volés dans la chambre. Quels sont les motifs légitimes de refus ? La loi évoque les objets dangereux, ou ceux dont la valeur ou l’encombrement seraient excessifs par rapport à la taille et au standing de l’établissement. C’est au client de prouver qu’il a demandé le dépôt et qu’il lui a été refusé, et à l’hôtelier de justifier la légitimité de son refus.

Enfin, compte tenu du caractère d’ordre public de ces règles, les clauses que l’on trouve parfois affichées dans les hôtels visant à limiter ou exclure la responsabilité de l’exploitant (« La direction décline toute responsabilité en cas de vol… ») sont généralement considérées comme nulles et sans effet si elles contredisent les dispositions légales, notamment en cas de faute prouvée de l’hôtelier ou de refus de dépôt injustifié.

Cas particulier des objets laissés dans le véhicule (Art. 1954 al. 2 C. civ.)

Une règle spécifique s’applique lorsque le vol ou le dommage concerne des objets laissés par le client dans son véhicule, ou le véhicule lui-même, pendant qu’il est stationné.

La condition essentielle pour que cette responsabilité spéciale s’applique est que le véhicule doit être garé dans un lieu dont l’hôtelier a la jouissance privative : son propre garage, un parking fermé appartenant à l’hôtel ou dont il a l’usage exclusif. Si le client se gare sur la voie publique, même juste devant l’hôtel, l’exploitant n’est pas responsable en vertu de ce régime spécial. La jurisprudence s’attache à la maîtrise juridique de l’emplacement (propriété, location) plutôt qu’à la simple présence d’une clôture.

Lorsque cette condition est remplie, l’hôtelier est responsable du vol ou des dommages subis par le véhicule ou les objets qui s’y trouvent (y compris ceux fixés à l’extérieur, comme un coffre de toit), mais l’indemnisation est soumise à un plafond différent : elle est limitée à 50 fois le prix de location du logement par journée.

Ce plafond de 50 fois peut, lui aussi, être écarté (responsabilité illimitée) dans les mêmes cas que pour les objets en chambre : faute prouvée de l’hôtelier concernant la sécurité du parking (éclairage défectueux, accès non contrôlé malgré des promesses…), ou si l’hôtelier s’était spécifiquement engagé à assurer une surveillance particulière du véhicule ou du parking (publicité mentionnant un « parking gardé », par exemple).

Que se passe-t-il si un client subit à la fois un vol dans sa chambre et un vol dans sa voiture sur le parking de l’hôtel ? Peut-il cumuler les deux plafonds d’indemnisation (100 fois + 50 fois le prix de la chambre) ? La tendance des tribunaux est d’admettre ce cumul, considérant qu’il s’agit de préjudices distincts soumis à des règles de plafonnement spécifiques.

Gérer le risque : assurances et bonnes pratiques

Pour l’exploitant hôtelier, la gestion de ces risques de responsabilité est primordiale. La souscription d’une assurance responsabilité civile professionnelle (RC Pro) adaptée est indispensable pour couvrir les éventuelles indemnisations dues aux clients en cas d’accident corporel ou de vol/dommage aux biens. Au-delà de l’assurance, une parfaite connaissance et un strict respect du cadre juridique et réglementaire de l’exploitation hôtelière sont essentiels pour prévenir les risques de responsabilité.

Du côté du client, quelques précautions simples peuvent limiter les risques : utiliser systématiquement le coffre-fort de la chambre ou le coffre central de l’hôtel pour les objets de valeur et l’argent liquide, ne pas laisser d’objets précieux en évidence, bien verrouiller sa chambre et ses fenêtres (surtout en rez-de-chaussée), et fermer à clé son véhicule sur le parking.

En cas de sinistre (accident, vol, dommage), il est essentiel de réagir rapidement : informer immédiatement la direction de l’hôtel, prendre des photos si possible, et surtout, déposer plainte auprès de la police ou de la gendarmerie en cas de vol ou de vandalisme. Ce dépôt de plainte sera souvent indispensable pour faire valoir ses droits auprès de l’hôtelier ou de son assureur.

Si vous avez été victime d’un vol ou d’un accident dans un établissement hôtelier, ou si vous êtes un exploitant souhaitant mieux comprendre et gérer vos risques de responsabilité, notre cabinet peut vous conseiller.

Sources

  • Code civil (notamment Art. 1950, 1952-1954)
  • Code pénal (notamment Art. 221-6, 222-19)
  • Jurisprudence clé : Cass. Civ. 1ère, 23 septembre 2020, n° 19-11.441 (clarification sur la preuve de la faute et le déplafonnement)

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