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Responsabilité des juges et magistrats : quand et comment l’engager ?

Table des matières

En 2017, un juge d’instruction est sanctionné d’une réprimande par le Conseil Supérieur de la Magistrature pour des dysfonctionnements graves dans l’affaire d’Outreau. Cette décision rare illustre la question complexe de la responsabilité des juges. Notre système distingue la responsabilité de l’État et celle du juge lui-même. Cette distinction conditionne vos recours possibles.

La responsabilité civile des magistrats professionnels

Impossibilité d’action directe contre le juge

Vous ne pouvez pas agir directement contre un magistrat professionnel. Cette règle protège l’indépendance judiciaire contre les pressions potentielles des justiciables mécontents.

L’ancien système de « prise à partie » directe contre le juge a été supprimé pour les magistrats professionnels. La jurisprudence le confirme sans ambiguïté (Civ. 1re, 5 mars 1980).

Votre action doit viser l’État, seul responsable direct envers vous en cas de dysfonctionnement du service public de la justice.

La notion restrictive de faute personnelle

La faute personnelle du magistrat se distingue de la simple faute de service. Elle correspond essentiellement à une faute intentionnelle – celle commise avec l’intention de nuire.

Les tribunaux adoptent une interprétation très restrictive de cette notion. Une simple erreur, même grave, ne constitue pas une faute personnelle tant qu’elle n’est pas intentionnelle.

Cette conception stricte limite considérablement la mise en cause personnelle des magistrats.

L’action récursoire théorique

L’État dispose théoriquement d’une action récursoire contre le magistrat auteur d’une faute personnelle. Cette action s’exerce devant une chambre civile de la Cour de cassation.

Ce mécanisme reste purement théorique. Aucun exemple d’action récursoire exercée par l’État contre un magistrat n’a été recensé dans la jurisprudence française.

Cette situation crée un décalage entre le droit et la pratique. Les magistrats professionnels bénéficient d’une immunité de fait, sinon de droit.

La responsabilité disciplinaire des magistrats

La responsabilité disciplinaire constitue le principal moyen de sanctionner les fautes des magistrats dans l’exercice de leurs fonctions.

Définition de la faute disciplinaire

L’article 43 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 définit la faute disciplinaire comme « tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité ».

Depuis la loi organique du 22 juillet 2010, constitue aussi une faute disciplinaire « la violation grave et délibérée par un magistrat d’une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties, constatée par une décision de justice devenue définitive ».

Cette définition couvre des comportements variés dans la vie professionnelle et privée des magistrats.

Le Conseil Supérieur de la Magistrature

Le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) joue un rôle central dans la discipline des magistrats. Il comprend deux formations distinctes – l’une pour les magistrats du siège, l’autre pour ceux du parquet.

Pour les magistrats du siège, le CSM statue comme conseil de discipline. Il rend des décisions ayant autorité de chose jugée.

Pour les magistrats du parquet, il émet un avis simple, la décision finale appartenant au ministre de la Justice.

Les sanctions possibles vont du simple blâme à la révocation, en passant par le déplacement d’office, l’abaissement d’échelon ou l’exclusion temporaire.

La saisine directe par les justiciables

La réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 a introduit une innovation majeure : la possibilité pour les justiciables de saisir directement le CSM.

L’article 50-3 de l’ordonnance statutaire précise : « Tout justiciable qui estime qu’à l’occasion d’une procédure judiciaire le concernant le comportement adopté par un magistrat est susceptible de recevoir une qualification disciplinaire peut saisir le Conseil supérieur de la magistrature. »

Cette saisine passe par une commission d’admission des requêtes qui filtre les plaintes manifestement infondées ou irrecevables.

Deux conditions strictes encadrent cette saisine :

  • La plainte ne peut viser un magistrat encore saisi de la procédure
  • Elle doit être présentée dans l’année suivant la décision définitive

Ce mécanisme, opérationnel depuis 2011, reste peu utilisé et rarement abouti.

Les cas particuliers

La prise à partie des juges non professionnels

Les juges non professionnels (conseillers prud’homaux, juges consulaires, assesseurs des tribunaux paritaires des baux ruraux) restent soumis à la procédure de prise à partie.

L’article L. 141-3 du code de l’organisation judiciaire définit les cas d’ouverture : dol, fraude, concussion, faute lourde ou déni de justice.

La procédure, définie aux articles 366-1 à 366-9 du code de procédure civile, commence par une requête auprès du premier président de la cour d’appel. Elle exige une autorisation préalable avant toute action au fond.

L’État reste civilement responsable des condamnations prononcées, sauf recours contre le juge.

La responsabilité contractuelle des arbitres

Les arbitres, n’exerçant aucune fonction publique, relèvent du droit commun de la responsabilité civile.

La Cour de cassation précise que leur responsabilité « suppose l’existence d’un manquement à leur obligation d’impartialité et de bonne foi, ou encore la commission d’une faute personnelle équipollente au dol ou constitutive d’une fraude, d’une faute lourde ou d’un déni de justice » (Civ. 1re, 15 janvier 2014).

Cette responsabilité s’exerce dans le cadre d’une action directe contre l’arbitre, sans garantie de l’État.

Les évolutions et débats actuels

Les réformes post-Outreau

L’affaire d’Outreau, tristement célèbre pour ses erreurs judiciaires, a provoqué une réflexion profonde sur la responsabilité des magistrats.

La loi organique du 5 mars 2007 a tenté d’instaurer une responsabilité pour « violation grave et délibérée d’une règle de procédure ». Mais le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition, estimant qu’elle portait atteinte à l’indépendance de l’autorité judiciaire.

Une version remaniée a finalement été adoptée en 2010, exigeant que la violation soit « constatée par une décision de justice devenue définitive ».

L’influence du droit européen

La jurisprudence européenne a profondément influencé la conception française de la responsabilité des juges.

L’arrêt Köbler de la Cour de justice de l’Union européenne (30 septembre 2003) a établi que la responsabilité de l’État peut être engagée pour violation manifeste du droit communautaire par une juridiction suprême nationale.

Cette jurisprudence pourrait à terme conduire à une extension de la responsabilité pour l’activité juridictionnelle des juges, même en droit interne.

Perspectives d’évolution

Le débat reste vif entre deux conceptions opposées :

  • Renforcer l’indépendance des juges en limitant leur responsabilité personnelle
  • Accentuer leur responsabilisation face aux conséquences de leurs décisions

Une voie médiane se dessine avec le renforcement des dispositifs déontologiques. La création en 2016 d’un collège de déontologie des magistrats illustre cette tendance.

Le recueil des obligations déontologiques publié par le CSM en 2010 constitue également une avancée significative.

L’enjeu reste de concilier indépendance des juges et protection des justiciables contre les erreurs judiciaires.

Face à la complexité des régimes de responsabilité des juges, notre équipe peut vous orienter vers la démarche la plus adaptée à votre situation. Qu’il s’agisse d’engager la responsabilité de l’État ou de signaler un comportement fautif d’un magistrat, nous vous accompagnons dans ces procédures sensibles.

Sources

  • Code de l’organisation judiciaire, articles L. 141-2 et L. 141-3
  • Ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 portant statut de la magistrature
  • Loi organique n°2010-830 du 22 juillet 2010
  • Arrêt Köbler de la CJCE du 30 septembre 2003

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