La saisie-attribution est une procédure de recouvrement souvent perçue comme un mécanisme direct : un créancier, muni d’un titre exécutoire, saisit les sommes dues à son débiteur par un tiers. Cependant, cette simplicité apparente masque des situations juridiques d’une grande complexité. Que se passe-t-il lorsque le créancier ou le débiteur initial n’est plus le même, suite à une cession de créance, une succession ou une fusion de sociétés ? Comment agir si votre débiteur, par négligence, omet de recouvrer ses propres créances, bloquant ainsi indirectement les vôtres ? Ces scénarios, loin d’être rares, exigent une maîtrise technique approfondie du droit de l’exécution pour sécuriser les droits de chacun.
Le principe de la relativité des poursuites en saisie-attribution
Avant d’explorer ces situations complexes, il est essentiel de maîtriser le principe fondamental de la saisie-attribution, qui repose sur la notion de créance personnelle. Une mesure d’exécution forcée ne peut être engagée que par le créancier désigné au titre exécutoire, et uniquement contre le débiteur qui y est nommément visé. Ce lien direct et personnel est la clé de voûte de la procédure. Concrètement, cela signifie qu’un créancier ne peut pas saisir le compte bancaire d’une société filiale pour une dette contractée par la société mère, ni ceux d’un conjoint pour une dette purement personnelle de l’autre époux. Ce principe de relativité garantit la responsabilité individuelle et protège les tiers contre des poursuites qui ne les concernent pas personnellement. Toutefois, cette règle connaît des aménagements importants lorsque la titularité de la créance ou de la dette est transférée.
La saisie-attribution au profit des ayants cause du créancier
Un « ayant cause » est une personne qui a acquis un droit ou une obligation d’une autre personne, appelée son « auteur ». Dans le contexte du recouvrement, l’ayant cause du créancier est celui qui se substitue au créancier initial et peut, sous certaines conditions, exercer les droits attachés à la créance. L’un des enjeux majeurs pour l’ayant cause est de pouvoir se prévaloir de la transmission du titre exécutoire initialement obtenu par le créancier d’origine. Le droit opère une distinction selon la nature de la transmission du patrimoine.
Ayants cause à titre particulier : cession et subrogation
La transmission d’une créance peut résulter d’une cession, c’est-à-dire une vente de la créance, ou d’une subrogation, mécanisme par lequel une personne qui paie la dette d’autrui est investie des droits du créancier. Dans ces deux cas, le cessionnaire ou le subrogé devient le nouveau créancier et peut utiliser le titre exécutoire obtenu par son auteur pour pratiquer une saisie-attribution. Cependant, une condition de forme est impérative pour que cette saisie soit valable : la transmission de la créance doit avoir été rendue opposable au débiteur. Depuis la réforme du droit des obligations de 2016 (ordonnance du 10 février 2016, entrée en vigueur le 1er octobre de la même année), l’article 1324 du Code civil prévoit que la cession doit être notifiée au débiteur par acte de commissaire de justice (huissier de justice) ou que celui-ci doit en avoir pris acte dans un acte authentique. Sans cette formalité de signification, le débiteur pourrait légitimement refuser de payer le nouveau créancier, et une saisie serait jugée irrégulière.
Ayants cause universels ou à titre universel : succession et fusions/scissions
La situation est différente lors d’une transmission universelle de patrimoine, qui intervient typiquement lors du décès d’une personne physique (succession) ou d’opérations de restructuration de sociétés (fusion-absorption, scission). Dans ces hypothèses, l’ayant cause (l’héritier, la société absorbante) recueille l’intégralité du patrimoine de son auteur, dettes et créances comprises. Le transfert s’opère de plein droit. L’héritier ou la société absorbante peut donc se prévaloir directement du titre exécutoire détenu par le défunt ou la société absorbée pour engager une saisie-attribution, sans avoir à accomplir de formalité de notification spécifique de la transmission de la créance elle-même.
La saisie-attribution contre les ayants cause du débiteur
Le même raisonnement s’applique lorsque c’est le débiteur qui change. Le créancier peut poursuivre le recouvrement de sa créance contre ceux qui ont recueilli le patrimoine de son débiteur initial. En cas de décès, la saisie est possible contre les héritiers qui ont accepté la succession. L’article 877 du Code civil encadre strictement cette possibilité : le créancier doit d’abord faire procéder à la signification du titre exécutoire aux héritiers et observer un délai de huit jours avant de pouvoir pratiquer la saisie. Cette règle vise à laisser aux héritiers un temps de réflexion et d’organisation. Dans le cas d’une fusion ou d’une scission de société, le créancier peut agir directement contre la société absorbante ou la société bénéficiaire de la scission. Contrairement au cas des héritiers, la loi ne prévoit pas de délai d’attente spécifique, la saisie peut donc être diligentée dès que l’opération de restructuration est juridiquement effective, sans qu’une décision judiciaire supplémentaire soit requise.
Saisie-attribution et obligations solidaires : une relativité stricte du titre exécutoire
La solidarité est un mécanisme juridique par lequel plusieurs débiteurs sont tenus de la totalité d’une même dette. Le créancier peut alors demander le paiement intégral à n’importe lequel d’entre eux. On pourrait penser qu’un titre exécutoire obtenu contre un seul des codébiteurs solidaires permettrait de saisir les biens de tous les autres. La jurisprudence constante de la Cour de cassation a pourtant adopté une position très stricte et protectrice des droits de la défense. Elle juge de manière constante qu’un titre exécutoire ne produit d’effets qu’à l’encontre des personnes qui y sont expressément condamnées. Ainsi, un jugement obtenu contre une société (voir par exemple Cass. 2e civ., 15 octobre 2015) ne permet pas de pratiquer une saisie sur le compte personnel d’un associé, même si ce dernier est solidairement tenu des dettes sociales. De même, un titre visant un époux ne peut fonder une saisie contre son conjoint, y compris pour une dette ménagère dont ils sont solidairement responsables au titre de l’article 220 du Code civil (une position confirmée par un arrêt de la Cour en avril 2018). Tenter d’étendre une saisie à un codébiteur non visé par le titre exécutoire peut, dans certaines circonstances, s’apparenter à des pratiques abusives. Pour saisir un autre codébiteur, le créancier doit obtenir un titre exécutoire distinct à son encontre.
L’action oblique : une saisie-attribution par ricochet contre le débiteur négligent
Que faire lorsqu’un créancier se heurte à l’inertie de son propre débiteur, qui omet lui-même de recouvrer les sommes qui lui sont dues ? L’article 1341-1 du Code civil offre une solution : l’action oblique. Ce mécanisme oblique permet à un créancier d’exercer les droits et actions de son débiteur défaillant et négligent. Imaginons que A soit créancier de B, et que B soit lui-même créancier de C. Si B néglige de réclamer son dû à C, compromettant ainsi les chances de A d’être payé, A peut agir par la voie oblique contre C, « pour le compte de B ». Toutefois, l’action oblique appliquée à la saisie-attribution est une procédure oblique complexe et indirecte. Le résultat de l’action n’est pas le paiement direct du créancier A. Les fonds saisis chez C entrent d’abord dans le patrimoine du débiteur négligent B. Ce n’est qu’une fois le montant de ces fonds crédité sur le compte de B que le créancier A pourra, dans un second temps, pratiquer une saisie-attribution « classique » sur ce compte pour obtenir enfin le paiement. Cette procédure en deux temps, qui est la marque de la voie oblique, souvent lourde et impliquant une parfaite connaissance du titre exécutoire de son propre débiteur, explique la rareté en pratique de l’action oblique. La réussite d’une telle action oblique suppose une parfaite connaissance du titre exécutoire du débiteur négligent. L’exercice de la voie oblique reste donc un cas d’école.
Distinction clé : action oblique vs action directe
Il est essentiel de ne pas confondre l’action oblique avec l’action directe. Contrairement à la voie oblique, l’action directe, lorsqu’elle est prévue par un texte de loi spécifique (par exemple, au profit du sous-traitant contre le maître d’ouvrage dans le cadre d’un contrat de travail), permet au créancier d’obtenir un paiement directement du tiers débiteur, sans que les fonds ne transitent par le patrimoine de son propre débiteur. L’argent va directement de C à A. Ce paiement direct confère au créancier qui l’exerce une forme de privilège, car les sommes récupérées échappent au concours des autres créanciers de B. L’action oblique, elle, ne crée aucun droit de préférence ni aucune garantie particulière : une fois les fonds réintégrés dans le patrimoine de B, ils peuvent être saisis par n’importe quel autre créancier de B.
Contester et sécuriser les opérations de saisie-attribution complexes
La complexité de ces mécanismes ouvre la porte à de nombreuses contestations. Un débiteur saisi peut soulever l’irrégularité d’une saisie-attribution fondée sur un titre exécutoire qui ne le vise pas personnellement, sur une cession de créance dont la signification n’a pas été faite à la bonne date, ou encore pratiquée contre un héritier sans respecter le délai de huit jours de l’article 877 du Code civil. Ces cas complexes ouvrent la voie à des arguments spécifiques pour contester les irrégularités (contestation de la date de signification, contestation du montant réclamé, etc.). Le Juge de l’exécution (JEX), souvent saisi à Paris pour des dossiers d’envergure, est le seul compétent pour trancher ces litiges. Une contestation bien fondée peut entraîner la mainlevée de la saisie et l’allocation de dommages-intérêts pour le préjudice subi. La complexité de ces mécanismes de saisie-attribution requiert une analyse experte pour sécuriser vos droits ou contester une procédure irrégulière. Face à une telle situation, notre cabinet d’avocats experts en recouvrement vous assiste pour définir la stratégie la plus adaptée.
La maîtrise de ces situations spécifiques est indispensable pour mener à bien ou contester efficacement une procédure de saisie-attribution. Pour une analyse approfondie de votre dossier et une stratégie sur mesure, n’hésitez pas à contacter notre cabinet d’avocats. Nous pourrons vous donner un premier avis et un plan d’action. Pour plus d’information, n’hésitez pas à nous contacter.
Sources & Jurisprudence de référence
- Code des procédures civiles d’exécution (en particulier les art. L. 211-1 et R. 211-1)
- Code civil (notamment art. 1324 sur la cession de créance et art. 1341-1 sur l’action oblique)
- Jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. Civ. 2e) relative à la relativité du titre exécutoire
- Doctrine et thèse sur les voies d’exécution (par ex. Dalloz Action, LGDJ)
- Articles de revues spécialisées (RTD civ. par exemple)