Saisie conservatoire : bloquer les biens meubles et l’argent de votre débiteur

Table des matières

Dans notre précédent article, nous avons exploré les mesures conservatoires, ces outils juridiques essentiels pour protéger vos créances lorsque leur recouvrement est menacé. Parmi eux, la saisie conservatoire est sans doute l’instrument le plus direct pour « geler » les actifs de votre débiteur avant qu’ils ne disparaissent. C’est une action préventive qui vise à rendre indisponibles certains de ses biens.

Elle peut prendre différentes formes, mais nous allons nous concentrer ici sur deux types particulièrement fréquents et efficaces : la saisie des biens meubles corporels (voitures, stocks, matériel…) et la saisie des créances (notamment l’argent détenu sur les comptes bancaires). Bien que très efficaces pour sécuriser ce qui vous est dû, ces saisies obéissent à des règles précises qu’il convient de maîtriser. Nous verrons comment elles fonctionnent, quels sont leurs effets et comment elles peuvent ensuite aboutir au paiement.

La saisie conservatoire des biens meubles corporels

Cette mesure permet de rendre indisponibles les biens matériels appartenant à votre débiteur, comme son mobilier, ses véhicules, son matériel professionnel ou ses stocks de marchandises (article L. 521-1 du Code des procédures civiles d’exécution – CPCE). Attention toutefois, certains biens essentiels à la vie courante ou à l’activité professionnelle du débiteur sont protégés par la loi et déclarés insaisissables (article L. 112-2 du CPCE).

Comment se déroule la saisie ?

Concrètement, c’est un huissier de justice qui réalise l’opération. Il agit soit sur la base d’une autorisation obtenue préalablement auprès du juge (comme expliqué dans notre article sur la procédure), soit, dans certains cas précis (détaillés également dans cet autre article), directement si vous disposez déjà d’un titre comme un jugement ou un chèque impayé.

L’huissier se rend sur les lieux où se trouvent les biens. Il peut s’agir du domicile du débiteur, de ses locaux professionnels, ou même d’un lieu appartenant à un tiers (un entrepôt de stockage, par exemple – articles R. 521-1 et R. 522-5 du CPCE). Il présente le titre ou l’autorisation justifiant son intervention. Avant de procéder, il demande au débiteur (s’il est présent) si les biens ont déjà fait l’objet d’une saisie antérieure (article R. 522-1 du CPCE).

L’huissier dresse ensuite un inventaire précis des biens saisis dans un acte appelé « procès-verbal de saisie ». Cette description détaillée est importante pour éviter toute contestation ou substitution ultérieure. Si le débiteur est présent, l’huissier lui remet une copie de cet acte et lui rappelle verbalement les conséquences de la saisie. S’il est absent, l’acte lui sera signifié ultérieurement.

Quels sont les effets immédiats ?

Dès l’établissement de l’acte de saisie, les biens listés deviennent indisponibles (article L. 521-1 du CPCE). Cela signifie que le débiteur ne peut plus ni les vendre, ni les donner, ni même les déplacer sans autorisation (sauf cas exceptionnel et information préalable du créancier, article R. 221-13 du CPCE).

Le débiteur (ou le tiers chez qui les biens ont été saisis) en devient le gardien. Il est responsable de leur conservation et ne doit pas les laisser se dégrader. Tout détournement ou destruction volontaire des biens saisis l’exposerait à des sanctions pénales (prévues à l’article 314-6 du Code pénal). En principe, le débiteur peut continuer à utiliser les biens saisis (sauf s’ils sont consomptibles, comme des matières premières), mais il ne peut plus en disposer juridiquement.

Et après la saisie ? Vers la vente

La saisie conservatoire n’est qu’une première étape. Pour obtenir le paiement, vous devrez d’abord obtenir un titre exécutoire (un jugement définitif condamnant votre débiteur), si vous n’en aviez pas déjà un.

Une fois ce titre obtenu, si le débiteur ne paie toujours pas, l’huissier pourra signifier au débiteur un « acte de conversion » (article R. 522-7 du CPCE). Cet acte transforme la saisie conservatoire en saisie-vente. Il contient un commandement de payer la somme due (principal, intérêts et frais) sous huit jours.

Si le paiement n’intervient pas dans ce délai, l’huissier pourra alors organiser la vente des biens saisis (articles R. 522-8 à R. 522-10 du CPCE). La vente peut être amiable si le débiteur trouve un acheteur et que les créanciers acceptent, ou forcée (vente aux enchères). Le produit de la vente servira à vous désintéresser.

La saisie conservatoire des créances (comptes bancaires, etc.)

Cette saisie ne vise pas des objets matériels, mais l’argent que des tiers doivent à votre débiteur. L’exemple le plus courant est la saisie du solde créditeur d’un compte bancaire, mais cela peut aussi concerner une somme due par un client de votre débiteur, ou encore des loyers qui lui sont dus par un locataire (article L. 523-1 du CPCE). Seules les créances portant sur une somme d’argent peuvent faire l’objet de cette saisie.

Comment fonctionne cette opération « triangulaire » ?

Ici, l’huissier de justice intervient auprès d’un tiers qui détient des fonds pour le compte de votre débiteur (la banque, le client, le locataire…). C’est une opération en trois étapes :

  1. Signification au tiers saisi : L’huissier signifie l’acte de saisie directement au tiers (par exemple, à la banque). Cet acte contient notamment l’identité du débiteur, le titre ou l’autorisation permettant la saisie, et le montant réclamé (article R. 523-1 du CPCE).
  2. Obligations du tiers saisi : Dès réception, le tiers (la banque) doit déclarer à l’huissier l’étendue de ses obligations envers le débiteur (le solde du compte au jour de la saisie, par exemple) et l’informer d’éventuelles autres saisies ou cessions de créances (articles L. 211-3 et R. 523-4 du CPCE). S’il ne respecte pas cette obligation d’information, le tiers peut être condamné à payer lui-même la dette, ou à verser des dommages-intérêts (article R. 523-5 du CPCE). Pour les comptes bancaires, des règles spécifiques s’appliquent pour calculer le solde effectivement disponible en tenant compte des opérations en cours (article L. 162-1 du CPCE).
  3. Information du débiteur saisi : Dans les huit jours suivant la signification au tiers, l’huissier doit impérativement informer votre débiteur de la saisie pratiquée, en lui signifiant une copie de l’acte de saisie et de l’autorisation ou du titre. Cet acte doit mentionner les droits du débiteur, notamment celui de contester la saisie (article R. 523-3 du CPCE). Le non-respect de ce délai de huit jours entraîne la nullité (caducité) de la saisie.

Quels sont les effets spécifiques de cette saisie ?

La saisie conservatoire de créances présente des particularités importantes :

  • Indisponibilité partielle : Contrairement à la saisie des meubles, l’indisponibilité ne porte que sur le montant de la somme pour laquelle la saisie est pratiquée (tel qu’autorisé par le juge ou mentionné dans votre titre). Si le compte bancaire de votre débiteur contient plus que ce montant, il peut librement disposer de l’excédent (article L. 523-1 du CPCE). C’est un équilibre pour ne pas paralyser totalement la trésorerie du débiteur.
  • Protection d’un minimum vital (Solde Bancaire Insaisissable – SBI) : La loi protège un minimum vital sur le compte bancaire du débiteur personne physique. Une somme équivalente au montant forfaitaire du RSA pour une personne seule doit impérativement être laissée à sa disposition (article L. 162-2 du CPCE). L’acte de dénonciation au débiteur doit d’ailleurs mentionner ce montant laissé disponible.
  • Consignation et privilège : En contrepartie de l’indisponibilité seulement partielle, la loi prévoit que la somme bloquée est considérée comme consignée de plein droit au profit du créancier saisissant. Surtout, cette saisie vous confère un privilège sur cette somme (article L. 523-1 CPCE, faisant référence à l’article 2350 du Code civil). Cela signifie que vous obtenez une priorité sur cette somme spécifique par rapport aux autres créanciers qui pourraient agir après vous.

Et après la saisie ? Vers le paiement direct

Comme pour la saisie de meubles, vous devez obtenir un titre exécutoire si vous n’en avez pas. Une fois ce titre en main, la saisie conservatoire de créances se convertit en saisie-attribution.

L’huissier signifie au tiers saisi (la banque, par exemple) un « acte de conversion » qui contient une demande de paiement (article L. 523-2 et R. 523-7 du CPCE). Cet acte est également signifié au débiteur (article R. 523-8 du CPCE). Le débiteur dispose alors d’un délai (un mois pour contester la saisie-attribution elle-même, mais le délai peut être plus court pour contester spécifiquement l’acte de conversion, voir article R. 211-11 CPCE) pour contester.

S’il n’y a pas de contestation valable dans les délais, l’acte de conversion emporte attribution immédiate de la créance saisie à votre profit. Le tiers saisi (la banque) devra alors vous verser directement les fonds bloqués, jusqu’à concurrence du montant de votre condamnation (dans la limite des fonds saisis et déclarés par le tiers). Ce paiement éteint la dette du débiteur à votre égard, et celle du tiers envers le débiteur, dans la limite des sommes versées.

Que se passe-t-il si plusieurs saisies visent les mêmes biens ?

Il est possible que plusieurs créanciers cherchent à saisir les mêmes biens.

  • Pour les biens meubles corporels : Plusieurs saisies conservatoires peuvent coexister sur les mêmes biens (article R. 522-11 du CPCE). Une saisie-vente peut aussi être pratiquée sur des biens déjà saisis à titre conservatoire (article R. 522-12 du CPCE). Dans ce cas, la loi organise l’information entre les créanciers et les modalités de la vente (amiable ou forcée) pour que le produit soit réparti entre eux, en fonction de leurs éventuels privilèges ou de la date de leurs actions.
  • Pour les créances : La situation est différente en raison de l’effet de consignation et du privilège conféré par la première saisie conservatoire (article L. 523-1 et L. 521-1 alinéa 3 du CPCE). En principe, une fois qu’une somme est rendue indisponible et affectée au premier créancier saisissant, une autre saisie (conservatoire ou attribution) pratiquée postérieurement sur cette même somme ne pourra pas primer sur les droits du premier. Le concours entre créanciers sur la somme initialement bloquée est donc largement neutralisé par le privilège du premier saisissant.

Les saisies conservatoires de meubles ou de créances sont des procédures techniques mais redoutablement efficaces pour un créancier confronté à un débiteur récalcitrant ou qui organise son insolvabilité. Elles nécessitent rigueur et réactivité.

Si vous vous reconnaissez dans l’une de ces situations et envisagez une saisie conservatoire, ou si vous faites l’objet d’une telle mesure, n’hésitez pas à contacter notre cabinet pour discuter de vos options.

Sources

  • Code des procédures civiles d’exécution (CPCE)
  • Code civil
  • Code pénal

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