Lorsqu’un créancier cherche à recouvrer sa dette auprès d’un armateur ou d’un exploitant de navire, l’immobilisation du navire par une saisie conservatoire représente une arme redoutable. Cette mesure, bien que provisoire, paralyse l’exploitation commerciale du bien, créant ainsi une forte incitation au paiement. Cependant, sa mise en œuvre est encadrée par un régime juridique complexe, qui mêle droit commun et règles spécifiques au droit maritime. Cet article technique, qui s’inscrit dans le prolongement de notre guide sur la saisie conservatoire des navires, a pour objectif de détailler la procédure d’obtention de la saisie, les conditions de sa mainlevée et la répartition des responsabilités qui en découlent. L’assistance d’un avocat compétent en saisie de navire est souvent indispensable pour naviguer ces eaux juridiques.
Procédure d’obtention de la saisie conservatoire de navire
La mise en œuvre d’une saisie conservatoire sur un navire est une procédure rigoureuse qui combine des sources de droit international et national. Le créancier doit agir avec méthode pour garantir l’efficacité de sa démarche et éviter les écueils procéduraux.
Compétence de la loi nationale et interdiction de la répétition des saisies
Le principe fondamental en matière de procédure de saisie est celui de la lex fori, c’est-à-dire l’application de la loi du lieu où la saisie est pratiquée. La Convention de Bruxelles de 1952, pierre angulaire du droit international de la saisie, renvoie expressément aux lois nationales pour tout ce qui a trait à la procédure (obtention de l’autorisation, incidents, etc.). Ainsi, une saisie pratiquée dans un port français sera soumise aux règles de procédure françaises, et ce, quelle que soit la nationalité du navire, du créancier ou du débiteur.
Par ailleurs, afin de protéger les armateurs contre un harcèlement judiciaire, la même Convention de 1952, en son article 3, point 3, pose une interdiction de principe des saisies multiples. Un navire ne peut être saisi plus d’une fois pour la même créance et par le même demandeur dans la juridiction d’un ou de plusieurs États contractants. Si une garantie a été fournie pour obtenir la mainlevée d’une première saisie, toute saisie ultérieure du même navire, ou de tout autre navire du même propriétaire pour la même créance, devra être levée par le juge. Cette protection connaît cependant des limites, notamment si le créancier prouve que la garantie initiale a été libérée avant la nouvelle saisie ou s’il existe une autre raison valable de la maintenir.
Sources du droit français (Code des transports, Code des procédures civiles d’exécution)
En France, la saisie conservatoire de navires est régie par une dualité de textes. D’une part, le Code des transports (notamment aux articles L. 5114-21, L. 5114-22 et R. 5114-15 à R. 5114-19) énonce les règles spéciales à la matière maritime. Ces dispositions, issues de lois et décrets anciens, ont été codifiées pour plus de clarté. D’autre part, et de manière subsidiaire, le Code des procédures civiles d’exécution (CPCE) s’applique pour tout ce qui n’est pas spécifiquement réglé par le droit maritime. Cette articulation est essentielle : le CPCE forme le droit commun des mesures conservatoires, mais il est écarté chaque fois qu’une règle particulière du Code des transports a vocation à s’appliquer.
Règles de compétence (territoriale et matérielle du juge de l’exécution)
La détermination du juge compétent est une étape fondamentale. Sur le plan territorial, l’article R. 5114-16 du Code des transports déroge au droit commun et désigne le juge du lieu d’exécution de la mesure. Autrement dit, pour un navire se trouvant dans le port de Marseille, le juge compétent sera celui de Marseille, même si le débiteur a son siège social à l’étranger. Cette règle est d’une importance pratique considérable car elle ancre la compétence en France dès lors que le navire y est physiquement présent.
Sur le plan matériel, la compétence d’attribution a évolué. Aujourd’hui, elle est principalement dévolue au juge de l’exécution (JEX), conformément à l’article L. 511-3 du CPCE. Toutefois, le président du tribunal de commerce peut également être compétent, mais uniquement si la demande est formée avant tout procès au fond et si elle vise à la conservation d’une créance de nature commerciale. Il s’agit donc d’une compétence concurrente, bien que le rôle du Juge de l’exécution reste central dans le contentieux des saisies.
Nécessité d’une autorisation judiciaire et mise en œuvre de l’acte de saisie
Une des grandes spécificités du droit maritime est l’exigence quasi-systématique d’une autorisation judiciaire pour pratiquer une saisie conservatoire. Contrairement au droit commun où un créancier muni d’un titre exécutoire peut agir sans autorisation préalable, en matière de saisie de navire, le passage devant le juge est une condition de validité de la mesure. Cette procédure se déroule sur requête, c’est-à-dire de manière non contradictoire, afin de préserver l’effet de surprise et d’éviter que le navire ne quitte le port avant que la saisie ne soit effective.
Une fois l’ordonnance d’autorisation obtenue, le créancier doit la faire exécuter par un huissier de justice. Ce dernier établit un acte de saisie, dont le contenu est strictement réglementé par l’article R. 5114-18 du Code des transports. À peine de nullité, cet acte doit notamment mentionner l’autorisation du juge, l’identité des parties, le montant de la créance, les caractéristiques du navire et l’interdiction pour ce dernier de quitter le port. L’acte est ensuite notifié au capitaine du navire et à la capitainerie du port, ce qui rend l’immobilisation effective.
L’action au fond et la validité de la saisie
La saisie conservatoire n’est qu’une mesure provisoire. Pour qu’elle débouche sur un paiement, le créancier doit impérativement obtenir une décision de justice reconnaissant définitivement sa créance. Cette étape est encadrée par des délais stricts et des règles de compétence précises.
Obligation d’engager une action au fond et risque de caducité (droit français vs. Convention de 1952)
En droit français, le créancier qui a pratiqué une saisie conservatoire sans détenir de titre exécutoire a l’obligation d’engager une procédure pour en obtenir un. L’article R. 511-7 du Code des procédures civiles d’exécution lui impose d’agir « dans le mois qui suit l’exécution de la mesure ». Cette action peut être une assignation au fond ou toute autre formalité nécessaire à l’obtention d’un titre, comme l’introduction d’une procédure d’arbitrage. Le non-respect de ce délai d’un mois est sanctionné par la caducité de la saisie. La mesure conservatoire est alors anéantie rétroactivement, comme si elle n’avait jamais existé.
Cette règle de la caducité mensuelle est une particularité du droit français. Elle ne s’applique pas lorsque la saisie est fondée sur la Convention de Bruxelles de 1952. Dans ce cadre, si le juge qui autorise la saisie n’est pas compétent au fond, il peut fixer un délai au créancier pour engager son action. Toutefois, le non-respect de ce délai n’entraîne pas une caducité automatique. Le débiteur pourra seulement demander la mainlevée de la saisie, ce qui constitue une différence de régime notable et protectrice pour le créancier agissant sous l’empire de la convention internationale.
Juridiction compétente au fond et limites du forum arresti
La question de la juridiction compétente pour juger le fond du litige est distincte de celle de la compétence pour autoriser la saisie. Pendant longtemps, la jurisprudence française a admis la compétence du forum arresti : le tribunal du lieu de la saisie était compétent pour statuer sur la créance elle-même. Cette solution a été abandonnée. Aujourd’hui, le simple fait qu’un navire ait été saisi en France ne suffit plus à fonder la compétence des juridictions françaises pour connaître du fond de l’affaire.
La compétence doit être établie sur la base d’autres critères de rattachement (lieu de résidence du défendeur, lieu d’exécution du contrat, etc.). Cependant, la Convention de Bruxelles de 1952 prévoit des exceptions à ce principe. L’article 7 de la Convention énumère six cas dans lesquels le tribunal du lieu de la saisie sera compétent pour juger le fond, notamment si le demandeur a sa résidence dans cet État, si la créance maritime est née dans cet État, ou encore si elle provient d’un abordage ou d’une opération d’assistance. En dehors de ces cas, le créancier devra porter son action devant la juridiction étrangère compétente.
Les suites de la saisie : immobilisation, mainlevée et autorisation d’exploitation
Une fois la saisie pratiquée, le navire est immobilisé. Cette situation, très préjudiciable pour l’armateur, ouvre une phase de négociation ou de contestation judiciaire où le débiteur cherchera à obtenir la libération de son bien.
Effet principal de la saisie : l’immobilisation physique et juridique du navire
La conséquence la plus immédiate et la plus tangible de la saisie est l’interdiction pour le navire de quitter le port. Cette immobilisation, notifiée à la capitainerie, est à la fois physique et juridique. Le départ du navire constituerait un délit de détournement d’objet saisi, pénalement sanctionné. Si l’immobilisation est l’effet premier, une question subsiste sur l’étendue de l’indisponibilité juridique du bien. Alors qu’un texte ancien précisait que la saisie ne portait pas atteinte aux droits du propriétaire, son abrogation a pu laisser place à un doute. Il est généralement admis que le propriétaire conserve la faculté de disposer de son navire (le vendre, par exemple), mais l’acquéreur le recevrait grevé de la saisie. Pour une analyse plus détaillée de cette question, consultez notre article sur les effets de la saisie sur le navire et l’équipage.
L’opposition du débiteur saisi : rétractation, mainlevée contre garantie, caducité pour inaction
Face à l’immobilisation de son navire, le débiteur dispose de plusieurs voies de recours pour contester la mesure. Premièrement, il peut demander au juge qui a autorisé la saisie de rétracter son ordonnance. Cette action, menée en référé, lui permet d’instaurer un débat contradictoire et de démontrer que les conditions de la saisie (par exemple, une créance paraissant fondée en son principe) n’étaient pas réunies. Deuxièmement, et c’est la voie la plus fréquente, il peut solliciter la mainlevée de la saisie en proposant une garantie financière suffisante pour couvrir la créance. Troisièmement, il peut invoquer la caducité de la mesure si le créancier n’a pas engagé d’action au fond dans le délai d’un mois imparti par le droit français. Pour en savoir plus sur les mécanismes généraux, vous pouvez consulter notre page sur la mainlevée de la saisie.
Les conditions de la mainlevée contre fourniture d’une garantie (types, montant, fonds de limitation)
La mainlevée contre garantie est un droit pour le débiteur. Le juge est tenu de l’accorder si une « garantie suffisante » est constituée. Cette garantie prend le plus souvent la forme d’une caution bancaire irrévocable ou d’une lettre de garantie émise par un P&I Club (les mutuelles d’assurance des armateurs). Le montant de la garantie est un enjeu central. À défaut d’accord entre les parties, le juge le fixe souverainement. Il doit être suffisant pour désintéresser le créancier. Le débat porte souvent sur le point de savoir si ce montant doit correspondre à la valeur de la créance ou à celle, parfois bien inférieure, du navire. En principe, la garantie remplace le navire et ne devrait pas excéder sa valeur.
Un cas particulier est celui de la constitution d’un fonds de limitation de responsabilité, conformément à la Convention LLMC de 1976. Si le débiteur est en droit de limiter sa responsabilité pour la créance en question, la constitution de ce fonds oblige le juge à ordonner la mainlevée de la saisie.
L’autorisation d’exploitation du navire saisi pour des voyages déterminés
Dans des circonstances exceptionnelles, l’article L. 5114-21 du Code des transports permet au juge de l’exécution d’autoriser un navire saisi à effectuer « un ou plusieurs voyages déterminés ». Cette mesure, qui n’est pas une mainlevée, est soumise à la fourniture d’une garantie suffisante. Elle reste rare en pratique, notamment parce que la mainlevée contre garantie est une solution plus simple et définitive. Elle trouve principalement son intérêt dans des situations où la mainlevée est impossible, par exemple en cas de litige portant sur la propriété même du navire, où la garantie ne peut pas simplement se substituer au bien.
Responsabilité, garde et entretien du navire saisi
L’immobilisation d’un navire à quai pendant une période prolongée soulève des questions complexes quant à sa garde, son entretien et la responsabilité en cas de dommage.
Identification du gardien et responsabilité en cas de dommages ou pillage
Le droit positif est relativement silencieux sur l’identité du gardien du navire saisi à titre conservatoire. Contrairement à la saisie-exécution, l’huissier n’a pas l’obligation formelle de désigner un gardien. La jurisprudence, face à ce vide, a développé une approche nuancée. Le propriétaire n’étant pas juridiquement dessaisi de son bien, il conserve une part de responsabilité dans sa conservation. Cependant, le créancier saisissant n’est pas pour autant déchargé de toute obligation. Il est tenu de prendre les mesures nécessaires à la sauvegarde du navire, surtout contre des risques extérieurs comme le pillage, le vandalisme ou les événements météorologiques. La jurisprudence a ainsi pu retenir la responsabilité du créancier pour négligence, par exemple en cas de défaut de surveillance ou d’absence d’instructions appropriées données au gardien, s’il y en a un. La responsabilité est souvent partagée, appréciée au cas par cas par les tribunaux.
Charge de l’entretien du navire saisi
La question de l’entretien courant du navire (maintenance des machines, peinture, etc.) est plus clairement tranchée. La saisie conservatoire n’a pas pour effet de transférer cette charge sur le créancier. Comme le propriétaire n’est pas privé de ses droits sur le navire, il lui incombe de continuer à assurer son entretien normal. La responsabilité du créancier saisissant ne pourrait être engagée sur ce terrain que si le propriétaire démontrait avoir été empêché d’entretenir son navire par la faute ou les agissements de ce dernier. Le coût de l’immobilisation et de la maintenance reste donc, en principe, un fardeau pour le débiteur saisi, ce qui renforce l’efficacité de la mesure comme moyen de pression.
La procédure de saisie conservatoire de navire est technique et ses conséquences financières peuvent être considérables. Que vous soyez créancier cherchant à garantir vos droits ou armateur faisant face à une immobilisation, l’intervention d’un cabinet d’avocats expert dans ce domaine est déterminante. Pour une analyse approfondie et une stratégie adaptée à votre situation, prenez contact avec notre équipe d’avocats en droit maritime et voies d’exécution.
Sources
- Convention de Bruxelles du 10 mai 1952 pour l’unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des navires de mer
- Code des transports, notamment les articles L. 5114-21 et L. 5114-22, et R. 5114-15 à R. 5114-19
- Code des procédures civiles d’exécution, notamment les articles L. 511-1 et suivants, et R. 511-1 et suivants