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Le secteur financier français est un écosystème complexe, dont la stabilité et la protection des investisseurs sont assurées par un acteur majeur : l’Autorité des marchés financiers (AMF). Cet organisme public indépendant dispose de pouvoirs étendus pour réguler les marchés, superviser les professionnels et, le cas échéant, infliger des sanctions. Comprendre la nature et l’étendue de ces pouvoirs de sanction, qu’ils soient administratifs ou disciplinaires, est essentiel pour toute personne évoluant dans cet environnement. Notre cabinet vous propose une exploration détaillée de ce cadre juridique, pour éclairer les contours de l’intervention de l’AMF et ses implications concrètes, en complément de notre guide complet sur le pouvoir de sanction de l’AMF.
L’héritage historique du pouvoir de sanction de l’AMF
L’Autorité des marchés financiers, telle que nous la connaissons aujourd’hui, est issue de la loi de sécurité financière du 1er août 2003. Cette réforme majeure a conduit à la fusion de plusieurs autorités préexistantes : la Commission des opérations de bourse (COB), le Conseil des marchés financiers (CMF) et le Conseil de discipline de la gestion financière (CDGF). Cette consolidation a permis à l’AMF d’hériter et d’unifier des pouvoirs de sanction qui étaient auparavant disséminés, renforçant ainsi sa capacité à veiller à la protection de l’épargne, à l’information des investisseurs et au bon fonctionnement des marchés financiers.
Avant cette unification, la COB, par exemple, avait déjà été investie d’un pouvoir de sanction administrative par la loi du 2 août 1989. Cette compétence, bien que critiquée à l’époque pour le cumul de pouvoirs qu’elle organisait (élaboration des règlements, application et sanction de leur non-respect), n’a pas été remise en cause dans son principe. L’AMF a ainsi consolidé une approche où la régulation des marchés n’est pas l’apanage exclusif du juge pénal, mais intègre également une dimension administrative forte.
Le pouvoir de sanction administrative de l’AMF : une répression orientée marché
Le pouvoir de sanction administrative de l’AMF se caractérise par sa nature répressive. Il vise à sanctionner la violation de normes générales qui affectent le bon fonctionnement du marché. Sa portée, tant matérielle que personnelle, est particulièrement étendue, lui permettant d’intervenir largement pour garantir l’intégrité des marchés.
Champ matériel des sanctions administratives : une portée élargie
L’article L. 621-15 du Code monétaire et financier (CMF) détaille les manquements visés par les sanctions administratives. Le champ d’application est très large, intégrant des actes qui relèvent à la fois de la nature de l’acte accompli et des instruments financiers concernés. L’AMF peut ainsi sanctionner toute personne qui s’est livrée, ou a tenté de se livrer, à des opérations d’initiés, des manipulations de marché ou la diffusion d’informations fausses, telles que définies par le règlement (UE) n° 596/2014 sur les abus de marché (MAR). Cela inclut également le fait de recommander ou d’inciter à de telles opérations, ou de divulguer illicitement des informations privilégiées.
Au-delà de ces manquements spécifiques, la définition s’étend à toute transgression des obligations visant à protéger les investisseurs contre ces pratiques, ou de toute autre infraction susceptible de nuire à la protection des investisseurs et au bon fonctionnement des marchés. Cela englobe également les manquements aux obligations relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. L’interprétation de l’AMF est souvent téléologique, c’est-à-dire qu’elle se fonde sur l’objectif de protection des investisseurs et du marché, ce qui confère à ses interventions une portée significative. Par exemple, la diffusion d’une information inexacte dans un prospectus peut être sanctionnée, même si le texte vise plus largement les atteintes « de nature à » perturber le marché.
Pour comprendre comment ces manquements sont ensuite traités et sanctionnés, consultez notre article sur la procédure de sanction AMF.
Champ personnel des sanctions administratives : qui est concerné ?
L’expression « toute personne », utilisée par l’article L. 621-15, II, c du Code monétaire et financier, révèle le caractère extensif de la compétence personnelle de l’AMF. Cette portée n’est pas limitée aux professionnels du marché ou aux personnes préalablement liées à l’autorité par une autorisation. Elle inclut les non-professionnels, les personnes physiques et morales, et même des entités comme des commissaires aux comptes, des journalistes ou de simples investisseurs détenant des informations privilégiées.
Une particularité importante est que le pouvoir de sanction administrative de l’AMF n’est pas soumis au principe de la responsabilité personnelle tel qu’appliqué en droit pénal. Concrètement, l’Autorité considère que les personnes morales peuvent être sanctionnées en raison d’un manquement commis par l’un de leurs préposés. La jurisprudence du Conseil d’État confirme cette approche, précisant que les manquements commis par des préposés peuvent être imputés directement à la personne morale, dès lors qu’ils agissent dans le cadre de leurs fonctions, à moins que la société ne démontre avoir mis en œuvre des dispositifs pour prévenir ces agissements. Cette approche élargit la base de la responsabilité et la capacité de l’AMF à atteindre les entités organisationnelles au-delà des seuls individus.
Montant des sanctions administratives : des plafonds dissuasifs
Les sanctions administratives sont exclusivement de nature pécuniaire. Leurs plafonds, considérablement alourdis par la loi du 22 octobre 2010, sont fixés à 100 millions d’euros ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés. Ce montant peut même être porté à 15 % du chiffre d’affaires annuel total de la personne sanctionnée pour certains manquements graves liés aux règlements européens sur les abus de marché ou les marchés d’instruments financiers.
La détermination du montant de la sanction repose sur plusieurs critères énoncés à l’article L. 621-15, III ter du Code monétaire et financier. Ces critères incluent la gravité et la durée du manquement, la qualité et le degré d’implication de la personne, sa situation et capacité financières, l’importance des gains obtenus ou des pertes évitées, les préjudices subis par des tiers, le degré de coopération avec l’AMF, les manquements antérieurs, et toute autre circonstance propre à la personne en cause, comme les mesures correctives prises. Cette exigence de proportionnalité est fondamentale et permet de moduler la sanction au cas par cas. La jurisprudence considère d’ailleurs ces sanctions comme relevant de la « matière pénale » au sens de la Convention européenne des droits de l’homme, ce qui implique des garanties procédurales renforcées.
Le pouvoir de sanction disciplinaire de l’AMF : protection des professionnels et de leurs clients
L’AMF exerce également un pouvoir de sanction disciplinaire, hérité notamment du Conseil des marchés financiers et du Conseil de discipline de la gestion financière. Ce pouvoir vise principalement à protéger les professionnels et leurs clients en assurant le respect des obligations professionnelles et des règles de bonne conduite.
Le manquement disciplinaire : obligations professionnelles et règles de bonne conduite
Le manquement disciplinaire, selon l’article L. 621-15, II, a du Code monétaire et financier, concerne la violation des obligations professionnelles définies par les règlements européens, les lois, règlements, et règles professionnelles approuvées par l’AMF. Il s’agit d’un vaste ensemble de normes, incluant notamment les « règles de bonne conduite » énoncées par le règlement général de l’AMF, qui sont souvent rédigées en termes généraux, laissant à l’Autorité une marge d’appréciation importante.
La finalité du pouvoir disciplinaire a évolué. Historiquement centrée sur la protection d’une profession, elle est désormais davantage orientée vers la protection des clients des professionnels et, plus largement, du marché financier. Cette évolution reflète une dilution de la notion classique de « discipline » au profit d’une approche plus globale de la régulation.
Il est important de noter que l’AMF articule ses compétences disciplinaires avec celles d’autres autorités de contrôle, comme l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Bien qu’il existe une répartition fonctionnelle des pouvoirs, des chevauchements peuvent subsister, nécessitant une coordination entre ces institutions pour éviter la double poursuite ou garantir la cohérence des sanctions.
Personnes concernées par les sanctions disciplinaires : professionnels, salariés et mandataires
Le pouvoir disciplinaire de l’AMF s’applique à deux grandes catégories de personnes. D’une part, les professionnels eux-mêmes, qu’ils soient personnes physiques ou morales, désignés par l’article L. 621-9, II du Code monétaire et financier. Cette liste inclut les prestataires de services d’investissement, les sociétés de gestion de placements collectifs, les dépositaires centraux, les intermédiaires en biens divers, les analystes financiers, et bien d’autres acteurs directs du marché.
D’autre part, cette compétence s’étend à leurs salariés et aux personnes agissant pour leur compte. La responsabilité des dirigeants est particulièrement étendue, la commission des sanctions estimant qu’ils sont tenus de surveiller et de contrôler leurs préposés. Un manquement commis par un salarié peut ainsi entraîner la responsabilité du dirigeant pour manquement à son obligation de surveillance, sauf s’il démontre avoir mis en place des mesures adéquates pour prévenir de tels agissements.
Nature et montant des sanctions disciplinaires
Les sanctions disciplinaires sont variées et peuvent être de nature morale, professionnelle ou pécuniaire. Les sanctions morales incluent l’avertissement ou le blâme. Les sanctions professionnelles, plus sévères, peuvent prendre la forme d’une interdiction temporaire ou définitive d’exercer tout ou partie des services ou activités, ou le retrait de la carte professionnelle. Ces mesures affectent directement la capacité de la personne à exercer dans le secteur financier.
Les sanctions pécuniaires, quant à elles, peuvent être prononcées en sus ou à la place des sanctions morales et professionnelles. Leur montant a également été considérablement alourdi. Pour les professionnels, le plafond est identique à celui des sanctions administratives, soit 100 millions d’euros ou le décuple de l’avantage tiré du manquement. Pour les salariés ou mandataires, le plafond est de 15 millions d’euros ou le décuple de l’avantage retiré, si le montant peut être déterminé. L’alourdissement de ces montants souligne la volonté de l’AMF de disposer d’un pouvoir de dissuasion fort.
Il est important de distinguer une sanction disciplinaire d’une décision administrative de retrait d’agrément, même si leurs effets sur l’exercice professionnel sont similaires. La distinction réside dans la nature du comportement : la sanction disciplinaire vise la violation de règles professionnelles, tandis que le retrait d’agrément constate que le professionnel ne remplit plus les conditions objectives nécessaires à l’exercice de son activité.
Il est important de noter que ces sanctions peuvent faire l’objet de recours, dont les modalités sont détaillées dans notre article sur les voies d’appel contre les sanctions AMF.
Le principe de la personnalité des peines et ses implications pour les sanctions AMF
Le principe de la personnalité des peines, fondamental en droit pénal, soulève des questions complexes lorsqu’il s’applique aux sanctions prononcées par l’AMF, notamment en cas de réorganisation de sociétés (fusion, scission). Ce principe stipule qu’une peine ne peut frapper que l’auteur de l’infraction.
Historiquement, la jurisprudence a divergé entre l’ordre judiciaire et l’ordre administratif. La Cour de cassation, dans le cadre des sanctions administratives, a d’abord tendu à annuler les décisions sanctionnant des sociétés issues d’une scission pour des manquements imputables à la société scindée, invoquant le principe de la personnalité des poursuites et des sanctions (Cass. com., 15 juin 1999). Cela signifie qu’elle mettait l’accent sur la personnalité juridique de l’entité au moment des faits. En revanche, le Conseil d’État, pour les sanctions disciplinaires, a adopté une approche plus nuancée. Il a jugé que le blâme ne pouvait être infligé à la société absorbante pour des faits de l’absorbée, mais que la sanction pécuniaire, elle, pouvait être transmise en raison de la continuité économique de l’entreprise et de la transmission universelle du patrimoine (CE, 22 nov. 2000). Cette divergence, entre la protection des individus et l’efficacité de la régulation, a longtemps été un point de tension. L’évolution législative et jurisprudentielle tend cependant à prendre en compte la réalité économique des entités, tout en veillant aux garanties fondamentales des personnes mises en cause.
L’articulation complexe avec les sanctions pénales : la question du non bis in idem
L’une des questions les plus délicates concernant les pouvoirs de sanction de l’AMF est leur articulation avec les sanctions pénales, en particulier en raison du principe du non bis in idem, qui signifie qu’une personne ne peut être jugée ou punie deux fois pour les mêmes faits. Longtemps, le droit français a admis un cumul des sanctions administratives et pénales, en se basant sur la distinction de leur nature juridique et de leurs finalités différentes.
Cependant, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), notamment dans des affaires comme Zolotoukhine c/ Russie (2009) et Grande Stevens et a. c/ Italie (2014), a remis en question cette approche. La CEDH a jugé que les sanctions administratives les plus sévères relevaient de la « matière pénale » au sens de la Convention, rendant ainsi le principe non bis in idem applicable au cumul de poursuites et de sanctions administratives et pénales. Pour une analyse plus ciblée de ce principe, nous vous invitons à consulter notre article sur le principe non bis in idem et ses implications pour le cumul des sanctions AMF et pénales.
Face à cette évolution, le Conseil constitutionnel français, par ses décisions QPC de mars 2015, a tranché en faveur de l’interdiction du cumul des sanctions pénales et administratives pour les mêmes faits et la même personne. Cette évolution a été consacrée par la loi du 21 juin 2016, qui a réformé le système de répression des abus de marché. Pour une analyse approfondie des implications du principe fondamental du non bis in idem et son impact sur le cumul des sanctions AMF et pénales, consultez notre article dédié. Dès lors, un mécanisme d’aiguillage a été mis en place : ni l’AMF ni le procureur de la République ne peuvent engager de poursuites sans en informer l’autre, afin de déterminer qui est le plus apte à poursuivre les faits. Ce dispositif vise à éviter la double répression, tout en garantissant l’efficacité de la lutte contre les manquements. Pour une compréhension détaillée des étapes de la procédure de sanction menée par l’AMF, de l’enquête à la décision, notre cabinet a rédigé un article spécifique sur les étapes détaillées de la procédure de sanction de l’AMF.
Quant à l’articulation entre sanctions pénales et disciplinaires, le principe du cumul était également admis, arguant de finalités différentes (ordre public général pour le pénal, discipline professionnelle pour le disciplinaire). Cependant, les décisions du Conseil constitutionnel de 2015 ont également impacté ce domaine, conduisant à une réécriture de l’article L. 621-16 du Code monétaire et financier, ce qui signifie que les sanctions pécuniaires et pénales concernant les mêmes faits ne peuvent plus se cumuler. Ces réformes témoignent d’une volonté d’harmoniser le droit français avec les exigences européennes de garanties du procès équitable.
L’accompagnement d’un avocat expert : un atout majeur
La complexité et la technicité des pouvoirs de sanction de l’AMF, qu’ils soient administratifs ou disciplinaires, soulignent l’importance d’un accompagnement juridique qualifié. Se retrouver au centre d’une procédure de sanction, qu’il s’agisse d’une enquête préliminaire, d’une notification de griefs ou d’une audience devant la commission des sanctions, peut avoir des conséquences significatives, tant sur le plan financier que professionnel ou réputationnel.
Notre cabinet, doté d’une pratique dédiée au droit bancaire et financier, se tient à votre disposition pour vous conseiller et vous défendre à chaque étape. Que ce soit pour comprendre les fondements des manquements reprochés, préparer vos observations, assurer votre représentation lors des auditions ou gérer les voies de recours, notre expertise peut faire une différence notable. Un avocat expert en droit bancaire et financier vous apportera une défense adaptée, en vous guidant à travers les nuances de la procédure, les principes de proportionnalité des sanctions et les implications du non bis in idem. Si vous êtes concerné par une procédure de sanction de l’AMF, notre équipe est à vos côtés pour analyser votre situation et construire une stratégie de défense pertinente, incluant l’exploration de toutes les sûretés et garanties juridiques possibles. Pour une défense adaptée, n’hésitez pas à contacter un avocat expert en droit bancaire et financier de notre cabinet.
Pour une analyse approfondie de votre situation et un conseil adapté, prenez contact avec notre équipe d’avocats.
Sources
- Code monétaire et financier
- Code de commerce
- Code de procédure pénale
- Code de justice administrative
- Règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché (MAR)
- Directive 2014/57/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relative aux sanctions pénales applicables aux abus de marché (MAD 2)
- Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH)
- Protocole n° 7 additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales
- Loi n° 2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière
- Loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière
- Loi n° 2016-819 du 21 juin 2016 réformant le système de répression des abus de marché
- Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite « Loi Sapin II »)
- Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (dite « Loi PACTE »)
- Règlement Général de l’Autorité des marchés financiers (AMF)
- Fasc. 1511 : AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS. – Pouvoir de sanction, JurisClasseur Droit bancaire et financier, par Régis Vabres et Samia Maouche, Première publication : 27 janvier 2023.
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