Le démarchage bancaire et financier est une activité encadrée par un corpus de règles strictes destinées à protéger les épargnants et les investisseurs. Lorsque ces dispositions ne sont pas respectées, les conséquences peuvent être particulièrement lourdes pour les démarcheurs, mais également pour les établissements qui les emploient. Loin d’être une simple irrégularité administrative, le démarchage illicite expose ses auteurs à un arsenal de sanctions civiles, pénales et disciplinaires. Il est donc fondamental de bien comprendre les règles générales du démarchage bancaire et financier pour mesurer l’étendue des risques encourus. Cet article détaille la nature et la portée de ces sanctions.
Les sanctions civiles du démarchage illicite
Au-delà des poursuites pénales, le non-respect des règles de démarchage peut entraîner des conséquences civiles significatives. Celles-ci visent principalement à réparer le préjudice subi par la personne démarchée et à priver d’effet les actes conclus en violation de la loi. La responsabilité peut être recherchée à plusieurs niveaux, touchant aussi bien l’individu qui réalise l’acte de démarchage que l’entité pour le compte de laquelle il agit.
La responsabilité civile du démarcheur (faute, préjudice, lien de causalité)
La responsabilité civile du démarcheur peut être engagée sur le fondement de l’article 1240 du Code civil. Pour cela, la victime doit prouver la réunion de trois conditions cumulatives : une faute, un préjudice et un lien de causalité direct entre les deux. La faute est généralement simple à établir. Tout manquement aux obligations légales ou réglementaires qui pèsent sur le démarcheur constitue une faute civile. Il peut s’agir, par exemple, de l’absence de carte de démarchage, de la fourniture d’informations trompeuses ou du non-respect du délai de rétractation.
Le préjudice peut être de nature diverse. Le plus souvent, il est matériel et correspond à la perte financière subie par la personne démarchée (sommes investies à perte, frais engagés). Il peut également être moral, notamment si les pratiques du démarcheur ont causé un stress ou une anxiété importants. Enfin, la victime doit démontrer que son préjudice découle directement de la faute du démarcheur. Ce lien de causalité est souvent l’élément le plus discuté devant les tribunaux, le démarcheur tentant parfois de soutenir que la perte financière résulte des aléas du marché plutôt que de ses propres manquements.
La responsabilité du principal (employeur, mandant)
Le démarcheur agit rarement pour son propre compte. Il est le plus souvent le salarié ou le mandataire d’un établissement financier, d’une banque ou d’une société de conseil. Dans ce cas, la responsabilité de ce « principal » (le commettant) peut être engagée du fait des agissements de son préposé. Ce mécanisme, prévu à l’article 1242 du Code civil, permet à la victime d’agir directement contre l’entreprise qui a missionné le démarcheur fautif.
Cette responsabilité est fondée sur le risque que l’entreprise fait courir aux tiers en employant des démarcheurs. Elle est dite « de plein droit », ce qui signifie que le principal ne peut s’exonérer en prouvant qu’il n’a pas commis de faute personnelle. Sa responsabilité est engagée dès lors que la faute de son préposé est établie et que celle-ci a été commise dans le cadre de ses fonctions. Cette solution est protectrice pour la victime, qui peut ainsi diriger son action contre une entité souvent plus solvable que le démarcheur personne physique. Cette situation n’est pas sans rappeler les mécanismes engageant la responsabilité civile des dirigeants pour des fautes commises dans le cadre de leur gestion.
La nullité des actes conclus à la suite du démarchage illicite (conditions, portée)
Une sanction civile particulièrement efficace est la nullité du contrat souscrit à la suite d’un démarchage irrégulier. Le Code monétaire et financier prévoit cette sanction de manière explicite. Par exemple, tout contrat conclu en violation des règles sur le démarchage est nul. De même, si le démarcheur a reçu des fonds avant l’expiration du délai de rétractation de 14 jours, le contrat est frappé de nullité.
La question s’est posée de savoir si un contrat conclu par une personne n’ayant pas le droit d’exercer l’activité bancaire (exercice illégal de la profession) pouvait être annulé. La jurisprudence a longtemps été divisée. La première chambre civile de la Cour de cassation considérait que l’interdiction visait à protéger l’intérêt général de la profession bancaire, et non les intérêts privés du client, ce qui empêchait ce dernier de demander la nullité. À l’inverse, la chambre commerciale jugeait que ces règles protégeaient également le crédit-preneur, qui pouvait donc invoquer la nullité. Un arrêt de chambre mixte du 12 juillet 2013 a tranché en faveur de la nullité, unifiant la position de la Cour. Ainsi, les contrats conclus en violation des règles de monopole bancaire sont entachés d’une nullité qui peut être invoquée par le client.
Les sanctions pénales du démarchage illicite
Le législateur a criminalisé de nombreux comportements liés au démarchage pour marquer la gravité des atteintes portées à l’ordre public économique et à la protection des consommateurs. Les infractions sont classées en fonction de leur gravité, allant de délits mineurs, souvent liés à des manquements formels, à des délits majeurs qui touchent au cœur même de l’activité.
Les délits mineurs
Le Code monétaire et financier énumère une série d’infractions qualifiées de délits, même si leur gravité peut sembler moindre. Ces manquements sont cependant considérés comme suffisamment importants pour justifier une réponse pénale. Parmi eux, on trouve :
- Le fait de se livrer au démarchage sans être titulaire de la carte professionnelle.
- La communication d’informations inexactes ou incomplètes au client potentiel.
- L’absence sur les documents remis au client de la signature et du nom du démarcheur.
- Le non-respect du droit de rétractation, notamment par l’omission de remettre le formulaire adéquat.
- Le fait de recevoir un paiement ou une contrepartie quelconque de la part du client avant l’expiration du délai de réflexion de 14 jours.
Chacun de ces actes, pris isolément, constitue une infraction pénale susceptible d’entraîner des poursuites.
Les délits majeurs
D’autres infractions sont considérées comme plus graves en raison de la nature de l’interdit transgressé. Ces délits majeurs portent atteinte aux fondements de la régulation du secteur financier. Il s’agit notamment :
- Du démarchage réalisé par une personne qui n’y est pas habilitée, soit parce qu’elle n’a pas de mandat, soit parce qu’elle fait l’objet d’une interdiction d’exercer.
- La proposition de produits financiers qui ne figurent pas sur la liste de ceux autorisés au démarchage. Cette liste est fixée par la loi pour écarter les produits les plus risqués.
- La proposition de produits ou services de prestataires qui ne bénéficient pas de l’agrément nécessaire pour les fournir en France.
Ces pratiques sont particulièrement dangereuses car elles peuvent s’inscrire dans des schémas de fraudes commerciales et financières plus vastes, visant à tromper sciemment les épargnants avec des offres illégales ou fictives.
Peines applicables aux personnes physiques
Les démarcheurs, personnes physiques, reconnus coupables de démarchage illicite s’exposent à des peines sévères. Les peines principales prévues par le Code monétaire et financier peuvent aller jusqu’à 6 mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende. Pour les infractions les plus graves comme la proposition de produits interdits, les peines sont portées à des niveaux supérieurs. En plus de ces peines principales, des peines complémentaires peuvent être prononcées, telles que l’interdiction d’exercer une profession commerciale ou industrielle, ou l’interdiction des droits civiques, civils et de famille.
Peines applicables aux personnes morales
La responsabilité pénale de la personne morale (la société qui emploie le démarcheur) peut également être engagée. L’amende encourue par une personne morale est, en principe, égale au quintuple de celle prévue pour les personnes physiques. Ainsi, pour un délit puni de 7 500 euros d’amende, la société risque une amende de 37 500 euros. Des peines complémentaires spécifiques peuvent aussi être prononcées, comme la dissolution de la société, l’interdiction d’exercer l’activité à l’occasion de laquelle l’infraction a été commise, la fermeture d’établissements ou encore l’exclusion des marchés publics.
Les pouvoirs d’investigation et de contrôle
Pour assurer l’effectivité des sanctions, les autorités publiques disposent de pouvoirs d’enquête étendus qui leur permettent de détecter, constater et poursuivre les infractions relatives au démarchage.
Les autorités compétentes
Le contrôle est principalement exercé par les agents de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Ces fonctionnaires sont habilités à rechercher et constater les infractions prévues par le Code monétaire et financier sur l’ensemble du territoire. Ils agissent soit d’office, soit à la suite de plaintes de consommateurs. D’autres autorités, comme l’Autorité des marchés financiers (AMF) ou l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), disposent également de pouvoirs de contrôle sur les entités et les intermédiaires qui relèvent de leur champ de compétence.
Les modalités d’enquête
Les agents de la DGCCRF disposent de prérogatives importantes pour mener leurs investigations. Ils peuvent accéder à tous les locaux professionnels, demander la communication de tout document utile à leur enquête (contrats, registres, factures, correspondances) et en prendre copie. Ils peuvent également recueillir des témoignages et procéder à des saisies de documents ou de matériel si nécessaire. En cas d’obstacle à leurs fonctions, par exemple un refus de communication de documents, ils peuvent requérir l’assistance de la force publique. Ces enquêtes peuvent aboutir à la rédaction d’un procès-verbal de constatation d’infraction, qui est ensuite transmis au procureur de la République, lequel décidera de l’opportunité des poursuites pénales.
Les sanctions disciplinaires
Enfin, une dernière catégorie de sanctions, de nature administrative, peut être prononcée par les autorités de régulation du secteur financier. Tout manquement aux lois, règlements et obligations professionnelles applicables au démarchage peut être sanctionné par l’AMF ou l’ACPR. Ces sanctions sont indépendantes des sanctions pénales et civiles.
Elles visent les professionnels régulés (établissements de crédit, entreprises d’investissement, conseillers en investissements financiers, etc.). La commission des sanctions de l’autorité compétente peut prononcer diverses mesures : l’avertissement, le blâme, l’interdiction temporaire ou définitive d’exercer certaines activités, voire le retrait de l’agrément. Des sanctions pécuniaires peuvent également être infligées, dont les montants peuvent être très élevés, proportionnés à la gravité des manquements et à la situation financière de l’entreprise sanctionnée.
La complexité des réglementations et la gravité des sanctions encourues en cas de démarchage illicite rendent indispensable une défense juridique rigoureuse. Face à une mise en cause civile, pénale ou disciplinaire, le recours à l’accompagnement d’un avocat compétent en droit bancaire et financier est essentiel pour faire valoir ses droits et construire une stratégie de défense adaptée.
Sources
- Code monétaire et financier
- Code civil
- Code pénal
- Code de la consommation