La France représente une destination attractive pour de nombreux entrepreneurs venus d’horizons divers, désireux de développer leur projet dans un environnement économique dynamique. Toutefois, s’installer et lancer une activité commerciale, industrielle ou artisanale sur le territoire français lorsqu’on est ressortissant d’un pays tiers (hors Union Européenne, Espace Économique Européen et Suisse) implique de naviguer dans un cadre réglementaire spécifique. Comprendre les obligations liées au séjour est une étape fondamentale pour sécuriser votre projet et votre installation personnelle. Cet article a pour but de vous éclairer sur les exigences principales et les options qui s’offrent à vous si vous envisagez de résider en France pour y devenir votre propre patron.
L’obligation générale : un titre de séjour pour entreprendre
Depuis une réforme importante intervenue en 2006, la nécessité pour un étranger souhaitant résider en France et y exercer une activité non salariée de détenir une autorisation spécifique a été clarifiée. L’ancienne « carte d’identité de commerçant étranger » a été supprimée. Aujourd’hui, le principe est clair : pour vivre en France et y diriger votre entreprise ou exercer votre métier d’artisan, vous devez, sauf exceptions, être titulaire d’un titre de séjour qui vous y autorise explicitement.
Cette exigence découle notamment des dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). L’article L. 313-10 de ce code prévoit par exemple la délivrance de cartes de séjour temporaires permettant l’exercice d’une activité professionnelle, y compris non salariée. Sans ce sésame, vous risquez de vous retrouver en situation irrégulière non seulement au regard de votre séjour, mais aussi de votre activité professionnelle.
Qui est concerné par cette obligation ?
L’obligation de détenir un titre de séjour adéquat ne vise pas uniquement une catégorie d’entrepreneurs. Elle s’applique largement, que vous envisagiez de créer une petite structure ou de prendre les rênes d’une société plus importante.
L’entrepreneur individuel (personne physique)
Si vous projetez d’exercer votre activité en nom propre, que ce soit comme commerçant inscrit au Registre du Commerce et des Sociétés (RCS) ou comme artisan au Répertoire des Métiers (RM), vous êtes directement concerné. Vous devrez justifier d’un titre de séjour vous permettant cette activité.
Il est utile de noter une précision apportée par la loi du 26 janvier 2024 (loi n° 2024-42) : elle confirme que les étrangers non européens ne peuvent accéder au statut d’entrepreneur individuel que s’ils détiennent un titre de séjour les y autorisant. Cela renforce la nécessité d’anticiper ces démarches administratives avant même de pouvoir officiellement lancer son activité sous ce statut.
Les dirigeants et associés de sociétés
L’obligation s’étend également aux étrangers qui exercent des fonctions clés au sein de personnes morales (sociétés, associations, GIE…). Sont notamment visés par l’obligation de détenir un titre de séjour approprié, selon l’article R. 313-16 du CESEDA :
- L’associé d’une société civile tenu indéfiniment des dettes sociales.
- L’associé d’une société en nom collectif (SNC) ou l’associé commandité d’une société en commandite (SCS), responsables indéfiniment et solidairement.
- Le membre d’un Groupement d’Intérêt Économique (GIE) ou d’un Groupement Européen d’Intérêt Économique (GEIE).
- Toute personne, associée ou non, ayant le pouvoir de diriger ou gérer la société (par exemple : le gérant d’une SARL ou d’une société civile, le président d’une SAS, le directeur général ou le président du directoire d’une SA).
- La personne physique déléguée par une personne morale dirigeante (cas possible en SAS ou SNC) pour exercer la direction effective.
- Le représentant légal d’une association (loi 1901) émettant des obligations ou exerçant une activité économique récente (moins de deux ans).
- L’administrateur ou le représentant d’un GIE à objet commercial.
- La personne physique ayant le pouvoir d’engager une société étrangère via un établissement, une succursale ou une représentation commerciale en France.
En revanche, des fonctions sans pouvoir de gestion direct, comme celles de simple administrateur ou membre du conseil de surveillance d’une société anonyme (même le président de ce conseil), ne rendent pas, en principe, nécessaire la détention d’un titre de séjour spécifique pour l’exercice de cette seule fonction.
Les principales portes d’entrée : quel titre de séjour choisir ?
Heureusement, le droit français prévoit plusieurs types de titres de séjour conçus pour accueillir les talents et les projets entrepreneuriaux étrangers. Le choix dépendra de la nature de votre projet, de son ampleur, de votre parcours et de vos ambitions. Voici un aperçu des options les plus courantes.
La carte de séjour « entrepreneur/profession libérale »
Prévue par l’article L. 313-10, 3° du CESEDA, cette carte de séjour temporaire (généralement d’un an renouvelable) est l’option « standard » pour celui qui souhaite créer ou reprendre une activité commerciale, industrielle ou artisanale en France.
La condition essentielle pour l’obtenir est de démontrer la viabilité économique de votre projet. Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? L’administration va évaluer si votre activité est susceptible de vous procurer des moyens d’existence suffisants. Généralement, le critère retenu est un revenu au moins équivalent au Salaire Minimum Interprofessionnel de Croissance (SMIC) annuel brut pour un temps plein. Vous devrez donc présenter un dossier solide, incluant souvent un business plan et des prévisions financières, pour convaincre de la faisabilité et du potentiel de votre entreprise. La jurisprudence administrative, comme un arrêt de la Cour Administrative d’Appel de Paris de janvier 2021 (n° 20PA02407), montre que l’administration examine attentivement la consistance du projet (analyse de marché, stratégie commerciale, etc.) avant d’accorder ce titre.
Le « passeport talent » pour les projets ambitieux
Le dispositif « passeport talent », codifié à l’article L. 313-20 du CESEDA, vise à attirer des profils et projets considérés comme particulièrement intéressants pour l’économie française. Il regroupe plusieurs catégories et offre l’avantage d’être souvent une carte de séjour pluriannuelle (jusqu’à 4 ans), renouvelable. Plusieurs mentions du « passeport talent » peuvent concerner les entrepreneurs :
- Créateur d’entreprise : Pour ceux qui justifient d’un projet de création réel et sérieux et d’un diplôme au moins équivalent au master ou de 5 ans d’expérience professionnelle comparable.
- Projet économique innovant : Pour ceux dont le projet a été reconnu comme innovant par un organisme public.
- Investisseur économique : Pour ceux réalisant un investissement direct significatif en France (personnellement ou via une société contrôlée).
- Mandataire social : Pour les dirigeants nommés dans une entreprise française, sous conditions de seuil de rémunération.
Par ailleurs, l’article L. 315-1 du CESEDA prévoit la carte de séjour « compétences et talents ». Bien que distincte du « passeport talent » au sens strict, elle vise aussi des profils d’exception susceptibles de contribuer de manière significative au développement économique ou au rayonnement de la France. Les critères d’obtention sont définis par une commission nationale et sont réputés très sélectifs.
Cas particulier : la carte « recherche d’emploi ou création d’entreprise »
Introduite par la loi du 10 septembre 2018 (modifiant l’article L. 313-7 du CESEDA), cette carte s’adresse spécifiquement aux étrangers qui viennent de terminer leurs études supérieures (niveau master minimum) ou leurs travaux de recherche en France et qui souhaitent y rester pour chercher un emploi ou créer une entreprise.
Ce titre, d’une durée maximale de 12 mois et non renouvelable, leur offre un temps précieux pour concrétiser un projet entrepreneurial en lien avec leur formation ou leurs recherches. Pour l’obtenir, il faut justifier de son diplôme (ou de l’achèvement des recherches), d’une assurance maladie et présenter un projet de création d’entreprise crédible. Si, à l’issue de cette période, l’entreprise est créée et jugée viable, l’étranger pourra alors solliciter un changement de statut vers une carte « entrepreneur/profession libérale » ou un « passeport talent ».
Les exceptions importantes : qui est dispensé de ces démarches spécifiques ?
Si la règle générale est la nécessité d’un titre de séjour « entrepreneur », il existe des situations où cette démarche n’est pas requise. Il est bon de les connaître pour éviter des démarches inutiles.
Les citoyens de l’Union Européenne, de l’EEE et de la Suisse
C’est l’exception la plus notable. En vertu des principes de libre circulation et de liberté d’établissement garantis par les traités européens, les ressortissants des États membres de l’UE, ainsi que de l’Islande, du Liechtenstein, de la Norvège (EEE) et de la Suisse, peuvent venir s’installer et entreprendre en France sans avoir besoin d’un titre de séjour. La seule formalité administrative qui leur incombe est de se faire enregistrer auprès de la mairie de leur lieu de résidence dans les trois mois suivant leur arrivée, comme le prévoit l’article L. 121-1 du CESEDA. Les régimes transitoires qui ont pu exister par le passé pour certains nouveaux États membres (comme la Roumanie et la Bulgarie jusqu’en 2014) ont tous pris fin.
Les étrangers déjà titulaires de certains titres de séjour
Certains étrangers résidant déjà légalement en France n’ont pas non plus besoin de solliciter un titre spécifique pour créer leur entreprise, car leur titre actuel les y autorise déjà. C’est le cas notamment des titulaires :
- D’une carte de résident (valable 10 ans).
- D’une carte de résident mention « résident de longue durée – UE ».
- D’un certificat de résidence algérien de 10 ans.
- D’une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle mention « vie privée et familiale ».
Ces titres, en vertu des articles L. 313-12, L. 314-4 du CESEDA ou de l’accord franco-algérien, permettent l’exercice de toute activité professionnelle, salariée ou non salariée. Attention toutefois au moment du renouvellement de ces titres : il faut s’assurer de toujours remplir les conditions d’obtention. La Cour de cassation a rappelé fin 2023 (Soc. 29 nov. 2023, n° 22-10.004), sur la base de l’ancien article L. 311-4 du CESEDA, l’importance de déposer sa demande de renouvellement dans les délais (deux mois avant l’expiration) pour pouvoir bénéficier de la période de trois mois après expiration durant laquelle les droits, y compris celui de travailler, sont maintenus.
Quid des autres nationalités ? (Algériens, Marocains, Tunisiens, Africains subsahariens)
Pour les ressortissants de pays liés à la France par des accords bilatéraux spécifiques, comme l’Algérie, le Maroc, la Tunisie ou certains pays d’Afrique subsaharienne, la règle générale reste l’obligation de solliciter un titre de séjour autorisant l’activité non salariée. Cependant, les conditions précises d’obtention et les types de titres disponibles peuvent être régis par ces accords spécifiques. Par exemple, l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié contient des dispositions propres aux commerçants et artisans algériens souhaitant s’établir en France. Il est donc recommandé de vérifier le contenu de l’accord applicable à sa nationalité.
Cumul d’activités : une vigilance nécessaire
Une situation qui mérite une attention particulière est celle de l’étranger déjà présent en France avec un titre de séjour « étudiant », « salarié », « visiteur » ou autre, et qui souhaite démarrer une activité commerciale ou artisanale, peut-être même à titre accessoire au début. Il est essentiel de comprendre que le titre de séjour initial ne couvre généralement pas cette nouvelle activité non salariée.
En pratique, cela signifie qu’il est indispensable de demander un changement de statut auprès de la préfecture de son lieu de résidence avant de commencer l’activité entrepreneuriale. Ignorer cette étape, même si l’activité est secondaire, expose à des complications sérieuses, notamment le risque d’exercer une activité professionnelle sans autorisation et de compromettre son droit au séjour. Mieux vaut anticiper et régulariser sa situation administrative en amont.
Naviguer dans les différentes options de titres de séjour, comprendre les critères d’éligibilité et anticiper les exigences administratives peut s’avérer complexe. Chaque situation est unique et mérite une analyse approfondie. Pour une analyse personnalisée de votre situation et vous assurer de choisir la voie la plus adaptée à votre projet entrepreneurial en France, notre équipe se tient à votre disposition.
Sources
- Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), notamment articles L. 121-1, L. 311-4 (ancienne rédaction), L. 313-7, L. 313-10, L. 313-12, L. 313-20, L. 314-4, L. 315-1, R. 313-16.
- Loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration.
- Loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie.
- Accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié.