Lorsqu’un créancier accorde un crédit ou s’engage dans une relation contractuelle, sa principale préoccupation est de s’assurer du paiement de sa créance. Le risque d’insolvabilité du débiteur est une réalité économique qui peut mettre en péril l’équilibre financier de toute entreprise. Parmi l’éventail des garanties intrinsèques offertes aux créanciers, comme détaillé dans notre guide complet des garanties des créanciers en droit des obligations, la solidarité passive et l’indivisibilité des obligations jouent un rôle primordial. Ces mécanismes, en apparence complexes, sont en réalité des outils juridiques puissants qui, par l’adjonction de plusieurs débiteurs, augmentent considérablement les chances de recouvrement.
La solidarité passive : une mutualisation des risques d’insolvabilité
La solidarité passive est une technique juridique qui renforce la position du créancier en lui permettant de réclamer la totalité de sa créance à n’importe lequel de ses codébiteurs. Elle agit comme une véritable garantie personnelle, répartissant le risque d’impayé sur plusieurs patrimoines. Sa souplesse et son efficacité en font une alternative souvent privilégiée au cautionnement. Elle se distingue par ailleurs d’autres garanties personnelles comme la promesse de porte-fort de l’exécution, qui repose sur un engagement de faire et non directement de payer.
Définition et principe de la solidarité passive
Le mécanisme est clairement défini par l’article 1313 du Code civil : « La solidarité entre les débiteurs oblige chacun d’eux à toute la dette. Le paiement fait par l’un d’eux les libère tous envers le créancier. ». Le principe est simple mais ses conséquences sont puissantes. Pour le créancier, cela signifie qu’il n’a pas à diviser ses poursuites. Il peut choisir d’agir contre le débiteur le plus solvable et lui réclamer 100 % du montant dû. Une fois payé, il est désintéressé et l’obligation est éteinte à l’égard de tous.
Cependant, cette règle ne joue qu’à l’égard du créancier, c’est-à-dire dans le rapport d’obligation. Entre les codébiteurs, dans ce que l’on nomme le rapport de contribution, la dette se divise. Celui qui a payé l’intégralité de la dette dispose d’un recours contre les autres coobligés pour leur part et portion. Si l’un des codébiteurs est insolvable, sa part est répartie entre les autres codébiteurs solvables, y compris celui qui a effectué le paiement. La solidarité organise donc un transfert du risque d’insolvabilité du créancier vers les codébiteurs solvables.
Effets principaux de la solidarité passive
Pour le créancier, l’avantage est immédiat et tangible. Le droit de poursuite indivisible lui permet de choisir librement le débiteur qu’il assignera en paiement, sans avoir à respecter un ordre précis. Les débiteurs solidaires ne peuvent lui opposer ni le bénéfice de division, qui les autoriserait à demander que l’action soit divisée entre eux, ni le bénéfice de discussion, qui obligerait le créancier à poursuivre d’abord le débiteur principal.
Cette structure repose sur une vision duale de l’obligation solidaire : une dette unique, mais une pluralité de liens obligatoires. Cette pluralité de liens explique que les engagements des différents codébiteurs puissent être affectés de modalités différentes. L’un peut être engagé purement et simplement, tandis qu’un autre peut bénéficier d’un terme. Le créancier devra respecter ces modalités individuelles mais pourra toujours réclamer la totalité de la dette à ceux dont l’engagement est exigible.
Effets secondaires de la solidarité passive et leur évolution
Traditionnellement, la solidarité passive produisait des effets dits « secondaires », fondés sur une fiction de représentation mutuelle entre les codébiteurs. Un acte accompli par ou contre l’un d’eux était réputé produire des effets à l’égard de tous. La réforme du droit des obligations de 2016 a maintenu certains de ces effets tout en en supprimant d’autres. Par exemple, une demande d’intérêts formée contre un seul débiteur fait courir les intérêts pour tous. De même, l’interruption de la prescription à l’égard d’un seul des coobligés vaut pour tous les autres, conformément à l’article 2245 du Code civil.
En revanche, la réforme a abandonné l’idée que la mise en demeure adressée à un seul vaut pour tous. La jurisprudence avait également étendu cette logique. Ainsi, l’autorité de la chose jugée d’une décision rendue contre un codébiteur est opposable aux autres. Une transaction conclue par l’un peut aussi profiter aux autres. Ces effets, bien que pratiques pour le créancier, sont de plus en plus critiqués car ils peuvent porter atteinte aux droits de la défense des codébiteurs qui n’ont pas été partie à l’instance. La tendance est donc à un recul de cette théorie de la représentation mutuelle au profit d’une analyse plus respectueuse des droits individuels.
L’obligation in solidum : une solidarité d’origine prétorienne
À côté de la solidarité légale ou conventionnelle, la jurisprudence a développé la notion d’obligation in solidum. Il s’agit d’une création des juges, principalement en matière de responsabilité civile, pour des coauteurs d’un même dommage. Lorsque plusieurs personnes ont contribué à la réalisation d’un unique préjudice, sans qu’on puisse déterminer la part de chacune, le juge les condamne in solidum à réparer l’intégralité du dommage. La victime peut alors, comme en matière de solidarité, demander la totalité de l’indemnisation à n’importe lequel des responsables.
La distinction classique réside dans les effets secondaires : l’obligation in solidum, n’étant pas fondée sur une représentation mutuelle, ne les produirait pas. Cependant, cette distinction s’estompe. La Cour de cassation tend de plus en plus à rapprocher les deux régimes, appliquant par exemple les règles de contribution de la solidarité à l’obligation in solidum. Le projet de réforme de la responsabilité civile envisage d’ailleurs d’intégrer l’obligation in solidum dans le giron de la solidarité légale, consacrant ainsi l’unité fonctionnelle de ces deux mécanismes de garantie.
L’indivisibilité : une garantie contre la division successorale
L’indivisibilité est une autre modalité de l’obligation qui, bien que distincte de la solidarité, poursuit un objectif de garantie similaire. Son principal atout est de faire échec à la division de la dette, notamment en cas de décès de l’un des débiteurs. Elle s’ajoute à d’autres mécanismes de garantie qui organisent les paiements en présence de plusieurs acteurs, comme la compensation, la délégation ou encore l’action directe.
Définition et sources de l’indivisibilité
L’article 1320 du Code civil dispose que l’obligation est indivisible soit par nature, soit par contrat. L’indivisibilité est « matérielle » ou « par nature » lorsque son objet ne peut être divisé, comme l’obligation de livrer un animal vivant. Elle est « intellectuelle » ou « conventionnelle » lorsque les parties décident que l’obligation, bien que divisible par nature (comme le paiement d’une somme d’argent), ne pourra être exécutée que pour le tout. C’est cette indivisibilité conventionnelle qui est un instrument de garantie. Les parties stipulent que la dette ne pourra pas être fractionnée, obligeant ainsi chaque débiteur à en assurer le paiement intégral.
Indivisibilité et solidarité : complémentarité des garanties
À première vue, l’indivisibilité et la solidarité se ressemblent beaucoup : dans les deux cas, chaque débiteur est tenu pour le tout. Pourtant, une différence fondamentale les sépare et justifie leur stipulation cumulative dans les contrats. La solidarité ne survit pas au décès d’un débiteur. Si un codébiteur solidaire décède, sa dette se divise entre ses héritiers. Le créancier devra alors poursuivre chaque héritier pour sa part respective dans la succession.
L’indivisibilité, quant à elle, est transmissible aux héritiers. Si la dette était stipulée indivisible, chaque héritier du débiteur décédé sera tenu pour la totalité de la dette, et non simplement pour sa part. C’est la vertu propre et l’intérêt majeur de l’indivisibilité. En stipulant une obligation « solidaire et indivisible », le créancier se prémunit non seulement contre l’insolvabilité de l’un des débiteurs de son vivant, mais aussi contre les conséquences de son décès et la division de sa succession. Il combine ainsi la puissance de la solidarité avec la pérennité de l’indivisibilité, obtenant une garantie maximale.
La maîtrise de ces mécanismes est essentielle pour sécuriser une créance. La solidarité passive et l’indivisibilité offrent des solutions robustes pour mutualiser les risques et garantir le paiement. Face à la complexité de leur mise en œuvre et de leur régime, il est essentiel de s’appuyer sur l’accompagnement juridique pour la mise en place et l’application de sûretés et garanties efficaces, adaptées à la nature de l’engagement et aux risques encourus.
Sources
- Code civil, articles 1309 à 1320 (Obligations solidaires et à prestation indivisible)
- Code civil, article 2245 (Interruption de la prescription)
- Projet de réforme de la responsabilité civile