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Dans le commerce international, le crédit documentaire constitue un puissant outil de sécurisation des paiements. Sa force repose notamment sur son autonomie vis-à-vis du contrat commercial sous-jacent. Mais qu’en est-il lorsque l’exportateur souhaite mobiliser cette créance avant même sa réalisation? La circulation du crédit documentaire répond à des règles strictes qu’il convient de maîtriser pour éviter les écueils juridiques.
Le transfert direct du crédit documentaire
Le transfert direct permet au premier bénéficiaire de céder son droit à un tiers, souvent son propre fournisseur.
Condition préalable : un crédit expressément transférable
Selon l’article 48b des Règles et Usances Uniformes (RUU 600) de la Chambre de Commerce Internationale, « un crédit ne peut être transféré que s’il est expressément qualifié de transférable par la banque émettrice ». Un arrêt de la Cour de cassation du 15 décembre 1975 confirme cette règle en précisant que le banquier n’a pas à apprécier le bien-fondé des modifications apportées lors du transfert, dans les limites prévues par les RUU.
Attention aux termes employés dans l’accréditif : les mentions « divisible », « fractionnable », « assignable » n’équivalent pas à « transférable ».
Limites du transfert
Le crédit ne peut être transféré qu’une seule fois (article 48g RUU). Les transferts partiels sont autorisés si les expéditions partielles ne sont pas interdites.
Le transfert s’opère dans les conditions spécifiées au crédit d’origine, mais quelques modifications sont permises :
- Réduction des prix unitaires et du montant de l’accréditif
- Limitation du délai d’expédition
- Substitution du nom du premier bénéficiaire à celui du donneur d’ordre
En pratique, le transfert exige la création d’un nouvel accréditif au profit du second bénéficiaire.
Les mécanismes indirects de circulation
Quand le transfert direct n’est pas possible, d’autres mécanismes permettent de mobiliser la créance.
La cession du produit du crédit
L’article 49 des RUU distingue le transfert du crédit de la simple cession du produit. Cette cession s’effectue conformément au droit commun de la cession de créance et expose le cessionnaire aux exceptions opposables au cédant.
La Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 13 janvier 1987 a qualifié cette opération d’escompte échappant à l’inopposabilité de droit des procédures collectives.
Le crédit subsidiaire ou « back-to-back »
Ce mécanisme consiste à adosser deux crédits documentaires distincts. La banque émet un second crédit au profit du fournisseur du premier bénéficiaire, en s’appuyant sur l’existence du crédit principal.
Comme l’a rappelé la Cour d’appel de Paris le 13 novembre 1987, ce montage délicat engage la responsabilité de la banque au titre de son devoir de conseil. Elle doit s’assurer de la concordance des conditions entre les deux crédits.
Le mandat de recouvrement
Sans céder sa créance, le bénéficiaire peut mandater sa banque pour recouvrer le montant du crédit. Ce mandat ne crée pas de droit propre pour la banque, qui agit comme simple mandataire.
L’exception de fraude : limite à l’autonomie du crédit documentaire
Le principe d’autonomie du crédit documentaire connaît une limite fondamentale : la fraude, qui impose de bien comprendre les relations juridiques entre les parties.
Conditions d’application de l’exception
Pour que l’exception de fraude soit invoquée avec succès, elle doit :
- Affecter les documents eux-mêmes, non l’exécution du contrat commercial
- Présenter un caractère certain, non simplement allégué
L’arrêt de la Chambre commerciale du 29 avril 1997 précise que « la fraude ne saurait être invoquée si elle n’affecte pas le crédit lui-même, à travers notamment les documents présentés, mais seulement l’exécution du contrat commercial ».
Moment de la découverte et conséquences
Le moment de la découverte de la fraude est déterminant. Dans un crédit réalisable par négociation, la Cour de cassation (23 octobre 1990) a jugé que l’exception de fraude est tardive si invoquée après l’escompte de l’effet.
En cas de fraude manifeste, le banquier est non seulement autorisé mais tenu de refuser le paiement, au risque d’engager sa responsabilité envers le donneur d’ordre (CA Colmar, 14 juin 1985).
Saisie et blocage du crédit documentaire
La saisie-attribution du crédit documentaire obéit à des règles particulières.
Possibilité de saisie par les créanciers du bénéficiaire
Les créanciers du bénéficiaire peuvent saisir la créance née du crédit documentaire, même si celle-ci est conditionnelle (Cass. com., 5 juillet 1983).
Impossibilité de saisie par le donneur d’ordre
En revanche, le donneur d’ordre ne peut pas saisir le montant du crédit, car cela contredirait l’engagement irrévocable qu’il a souscrit (Cass. com., 14 octobre 1981). La Cour de cassation a confirmé cette interdiction même lorsque le donneur d’ordre invoque une créance étrangère au contrat de base (Cass. com., 18 mars 1986).
Seul le blocage judiciaire du crédit, ordonné par le juge des référés en cas de fraude manifeste, reste possible avant la réalisation du crédit (CA Paris, 28 mars 1985).
Pour naviguer dans ces mécanismes complexes, l’accompagnement d’un avocat spécialisé s’avère indispensable. Notre cabinet maîtrise ces subtilités juridiques et peut vous orienter dans vos opérations de commerce international. N’hésitez pas à nous contacter pour sécuriser vos transactions et éviter les pièges de ces montages financiers.
Sources
- Règles et Usances Uniformes relatives aux crédits documentaires, CCI, publication n°600
- Cass. com., 15 décembre 1975, chronique Gavalda et Stoufflet
- Cass. com., 29 avril 1997, Bull. civ. IV, n°213
- Cass. com., 23 octobre 1990, JCP G 1991, II, 21687
- CA Colmar, 14 juin 1985, D. 1985, inf. rap. p. 219
- Cass. com., 5 juillet 1983, Bull. civ. IV, n°202
- Cass. com., 14 octobre 1981, JCP G 1982, II, 19815
- Cass. com., 18 mars 1986, JCP G 1986, II, 20624
- CA Paris, 13 novembre 1987, D. 1989, somm. p. 195
- CA Paris, 28 mars 1985, D. 1986, p. 155
- Stoufflet J., Le crédit documentaire, Paris, 1957
- Caprioli E., Le crédit documentaire : Évolution et perspectives, Litec, 1992
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